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5 juin 2008 — Patrick Cockburn publie, dans The Independent de ce jour, un article présentant ce qui serait le “plan secret” des USA pour garder un contrôle absolu sur l’Irak. Il s’agit d’un accord, une sorte de traité qui serait imposé à l’Irak, qui serait en réalité un plan massif de contrôle de l’Irak, avec 50 bases US, le contrôle de l’espace aérien, l’impunité totale pour les soldats et les contractants privés US, la liberté complète pour les USA de réaliser ce que bon leur semble en Irak. Cockburn signale une réaction caractéristique d’un dirigeant iranien, pourtant l’un des plus modérés selon les normes occidentales puisqu’il s’agit d’Ali Akbar Hashemi Rafsanjani, appréciant que l’accord n’aurait d’autre effet que réduire les Irakiens à l’état d’esclaves des Américains… «[T]he powerful and usually moderate Iranian leader, said yesterday that such a deal would create “a permanent occupation”. He added: “The essence of this agreement is to turn the Iraqis into slaves of the Americans.”»
Cette réaction telle que la cite Cockburn semble bien suggérer que le projet d’accord qu’il présente est une réalité. Cockburn a sans doute eu accès à des sources iraniennes, ou irakiennes proches des Iraniens (on pense à Al Sadr, avec lequel Cockburn a des relations suivies et pour lequel il ne dissimule pas son admiration). Son article présente tout le sérieux voulu pour conduire ses lecteurs à supposer fondé son contenu.
Le “plan” que présente Cockburn est radical. Il implique une main-mise totale des USA sur l’Irak, sans limitation de temps. Cockburn ne dissimule pas les difficultés des négociations en cours, les pressions de l’administration GW, qui veut une signature pour la fin juillet, les retombées politiques probables en Irak, dans la région et aux USA même. Le projet US est vu comme un moyen de verrouiller la présence militaire massive US dans la région et un moyen de forcer la future administration US à rester en Irak.
The terms of the impending deal, details of which have been leaked to The Independent, are likely to have an explosive political effect in Iraq. Iraqi officials fear that the accord, under which US troops would occupy permanent bases, conduct military operations, arrest Iraqis and enjoy immunity from Iraqi law, will destabilise Iraq's position in the Middle East and lay the basis for unending conflict in their country.
»But the accord also threatens to provoke a political crisis in the US. President Bush wants to push it through by the end of next month so he can declare a military victory and claim his 2003 invasion has been vindicated. But by perpetuating the US presence in Iraq, the long-term settlement would undercut pledges by the Democratic presidential nominee, Barack Obama, to withdraw US troops if he is elected president in November.
»The timing of the agreement would also boost the Republican candidate, John McCain, who has claimed the United States is on the verge of victory in Iraq – a victory that he says Mr Obama would throw away by a premature military withdrawal.»
Cockburn décrit toutes les possibles conséquences déstabilisatrices d’un tel accord, en Irak bien entendu mais aussi dans la région. Il semble probable que les fuites dont il a bénéficié poursuivent un but politique en rendant publics les détails de l’accord pour éventuellement provoquer des réactions qui peuvent entraver la bonne marche des négociations. A nouveau, on pense à Al Sadr comme instigateur des fuites dans un but politique, lui qui devrait occuper une position en pointe dans la protestation irakienne contre l’accord (Cockburn signale que Sadr a l’intention d’organiser des manifestations à répétition, chaque vendredi, contrer l’accord). L’un des effets de la divulgation de l’accord pourrait être de provoquer ou d’accentuer des dissensions graves au sein du gouvernement.
«The precise nature of the American demands has been kept secret until now. The leaks are certain to generate an angry backlash in Iraq. “It is a terrible breach of our sovereignty,” said one Iraqi politician, adding that if the security deal was signed it would delegitimise the government in Baghdad which will be seen as an American pawn.
»The US has repeatedly denied it wants permanent bases in Iraq but one Iraqi source said: “This is just a tactical subterfuge.” Washington also wants control of Iraqi airspace below 29,000ft and the right to pursue its “war on terror” in Iraq, giving it the authority to arrest anybody it wants and to launch military campaigns without consultation.
»Mr Bush is determined to force the Iraqi government to sign the so-called “strategic alliance” without modifications, by the end of next month. But it is already being condemned by the Iranians and many Arabs as a continuing American attempt to dominate the region…»
Il y a plusieurs façons d’apprécier cette possible initiative de l’administration GW Bush. L’une d’entre elles est d’étudier l’hypothèse que ce n’est justement pas à proprement parler une initiative de la seule administration GW Bush mais le résultat d’un compromis entre diverses forces au sein du pouvoir US et, notamment, entre la direction de l’administration (GW et Cheney) et le Pentagone, – ou, plus largement parlant, le complexe militaro-industriel (CMI). Dans ce cas, il s’agirait d’un “accord” qui tendrait à écarter toute tentative armée contre l’Iran de la part de GW-Cheney, perspective que le Pentagone n’a jamais appréciée, au profit de cette main-mise sur l’Irak qui ressort de la piraterie pure et simple, mais plutôt dans le mode bureaucratique.
(Bien entendu, les protestations touchantes de GW Bush sur ses intentions de démocratisation de l’Irak, en attendant la région, constituent un cas excellent pour une pinte de bon sang et de bon rire face à ce macro-accord d’oppression structurée, bureaucratisée et militarisée. On notera que cet “accord” serait bien en ligne avec l’installation de la monstrueuse ambassade US à Bagdad, autre pur produit de la stratégie d’occupation par le poids de la bureaucratie américaniste. Toutes ces initiatives vont plutôt dans le sens, bureaucratique effectivement, d’écarter les risques d’actions militaires directes au profit d’une structure militaire bureaucratique tentaculaire.)
Une autre observation renforce éventuellement cette hypothèse, dans tous les cas par défaut et indirectement. L’idée est en train de faire son chemin à Washington, dans les milieux extrémistes qui ont toujours réclamé à grands cris une attaque contre l’Iran, de remplacer cette idée d’une attaque militaire qui rencontre bien des oppositions par celle d’un blocus agressif de ce pays. Cette évolution semblerait renforcer l’analyse générale accompagnant éventuellement l’hypothèse que nous examinons que l’idée d’une attaque militaire de l’Iran est de moins en moins d’actualité.
Il est probable que les effets de cet accord USA-Irak seraient aussi importants, et aussi déstabilisants, aux USA qu’en Irak et au Moyen-Orient. Un tel projet implique non seulement la poursuite de l’occupation de l’Irak mais, aussi, la poursuite d’un budget colossal pour l’Irak, par l’intermédiaire des méthodes de gaspillage (plutôt que “méthodes de gestion”) du Pentagone. S’il a pour but politique de tenter de verrouiller une éventuelle administration Obama dans la perspective d’une présence infinie des forces US en Irak, il aurait pour effet éventuel de confronter le même Obama (mais aussi McCain) à un Pentagone qui voudrait conserver son budget au moins au niveau actuel (les deux candidats voudraient réduire le budget du Pentagone d’une façon assez sensible). De ce point de vue, l’“accord” s’adresse aussi bien à Obama qu’à McCain.
Si cette hypothèse se confirme, on pourrait bien apprécier dans ce projet de l’administration GW Bush un premier acte du transfert du pouvoir actuel, et de la défense de sa politique expansionniste transformée en une “politique d’expansion bureaucratique” dont le Pentagone aurait désormais le contrôle quasi-exclusif. Ce serait, pour GW Bush, le seul moyen qui lui resterait d’assurer son legs, c’est-à-dire son obsession irakienne. Le paradoxe serait alors celui d’une victoire de la bureaucratie du Pentagone qui serait également une défaite “posthume” du Rumsfeld d’avant 9/11, celui du discours du 10 septembre 2001, dénonçant cette même bureaucratie du Pentagone.
Dans tous les cas, si cet accord se concrétise, et en mettant à part l’important et inévitable volet des conséquences en Irak et dans la région, – pour l’instant une perspective particulièrement difficile à embrasser, – la scène washingtonienne serait prête pour la future administration. C’est-à-dire qu’elle serait prête pour un affrontement colossal si cette future administration détermine ou confirme d’autres priorités budgétaires que celle du soutien massif à l’implantation militaire et bureaucratique extérieure; si, par exemple, il y avait le choix de priorités intérieures nécessitant une réduction des moyens donnés au Pentagone. Cela serait sans doute le cas pour une administration Obama, mais éventuellement aussi pour une administration McCain.
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