L’étrange bataille pour le FMI

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Tout le monde se met en ligne de bataille pour le grand enjeu, – le remplaçant (la remplaçante…) de DSK à la tête du FMI. Deux formules, deux stratégies si l’on veut, sont avancées : la stratégie classique qui est de donner la direction du FMI à un Européen, et ce serait sans guère de doute une Française, la ministre des Finances Lagarde. Cela prolongerait une remarquable domination française du FMI, ce qui est remarquablement paradoxal ou paradoxalement remarquable pour une nation saluée comme l’archétype de l’anti-globalisation. (4 des 10 directeurs du FMI ont été des Français depuis la création du Fond en 1946, cumulant 35 années de direction sur 65 années d’existence.)

L’autre stratégie, qui serait évidemment qualifiée de nouvelle et de réformatrice, est de confier la direction du Fond à une personnalité d’un pays “émergent”, – ni Europe, ni USA. L’argument est de poids : la décision rendrait compte des nouvelles réalités économiques et éviterait d’établir des conditions de tension supplémentaires, extrêmement dommageables dans cette période de tension extrêmes.

Cette stratégie est fortement soutenue par Liam Halligan, du Daily Telegraph, le 21 mai 2011. Son argument conjoncturel, en plus de la logique stratégique énoncée ci-dessus, est très intéressant. Pour Halligan, DSK a évidemment été un excellent directeur du FMI, – qui ne le dit aujourd’hui, où il est inculpé et démissionnaire de son poste de direction du FMI ? – mais aussi et surtout un excellent agent européen, pour mettre le FMI au service d’une Europe en phase d’effondrement financier à partir de 2009, et cela, notamment, pour des raisons électorales… L’argument est loin d’être négligeable.

«The economic myopia that causes many to insist a European must lead the IMF also underlies the insistence that Strauss-Kahn did a great job. Yes – he energised the organisation and extended more loans. The trouble is that, in a stunning reversal of the IMF's traditional role as a supporter of poorer countries, almost two thirds of its outstanding loans are now to European nations, not least Western Europe – with the $42bn extended to Greece by far the Fund's biggest commitment.

»If Greece eventually restructures its debt, as now looks unavoidable, the IMF loans – being senior to other debt – will reduce what other creditors can recover. This pattern is repeated elsewhere. So while IMF lending has multiplied under Strauss-Kahn, his loans haven't forced change and have damaged the claims of other creditors. As such, the recent expansion of IMF credit has mostly subsidised failure and escalated moral hazard.

»The IMF has massively relaxed its lending conditions under Strauss-Kahn – for reasons, if we are honest, related to his erstwhile French Presidential campaign…»

Dans le même Daily Telegraph, on trouve, le même 21 mai 2011, un article de Joseph Stiglitz sur le même problème. Stiglitz est un fameux réformateur assez radical du système financier international, qui ne mâche pas ses mots, qui assène des vérités de poids, etc. Pourtant, sur ce même sujet de FMI et de la succession de DSK, nous le trouvons, sans qu’il s’en doute nécessairement lui-même, un peu en porte à faux.

Stiglitz est un admirateur de DSK de fraîche date mais extrêmement enthousiaste. Il fait, dans la première partie de son article, un panégyrique très chaleureux du directeur démissionnaire du FMI. Puis il enchaîne en proclamant comme absolument nécessaire, pour la poursuite du travail de réforme de Strauss-Kahn, que la vieille formule de la direction du FMI, l’arrangement originel entre US et Europe pour donner un directeur du FMI à l’Europe, soit illico abandonnée, pour faire place à un non-Européen, un grand dirigeant financier d’un pays “émergent”. (La deuxième partie de l’extrait enchaîne effectivement sur cet argument.) Le porte à faux là-dedans, après tout, est que le réformiste acclamé avec tant de chaleur, et dont il faut poursuivre l’entreprise, est un Européen ; en quoi cela serait-il un argument pour ne surtout pas nommer un Européen (et une Française, qui plus est) comme successeur ?

«And whatever the result of the case against Strauss-Kahn, this much is clear - he was an impressive leader of the IMF and he re-established the credibility of the institution.

»He breathed fresh air into the IMF as he re-examined old doctrines such as those concerning capital controls. He raised new issues as he emphasized the critical role of employment and inequality for stability. He reasserted the role of economic science, including Keynesian economics, over the mishmash of long-discredited Wall Street doctrines, which had been central to the IMF's failures in East Asia, Latin America, and Russia.

»He also listened to the increasingly vocal and informed voices of those in emerging markets. He supported the movement for reforms in the institution, including voting rights and governance.

»As the IMF transitions, it is important to maintain the reforms, and carry them forward. But the hard-fought gains of the institution could easily be lost. That's why the choice of the head – and the process by which the choice is made – is so important.

»It should go without saying that this implies that the head should be chosen on the basis of merit in an open and transparent process, and indeed the G20 has agreed that the old boys' system, in which Europe was entitled to head the IMF (with an American the second-in-command) has to go.

»The understanding was that the next head would come from the emerging markets. To renege on that commitment would be a disaster for the IMF and the world. If the emerging world had no one to offer, that would be one thing. But there is an ample and impressive supply of qualified individuals…»

Nous avions déjà remarqué, en présentant un de ses articles faisant l’éloge de DSK, que Stiglitz omettait de signaler, dans son commentaire, que DSK était un candidat très probable à l’élection présidentielle de 2012 en France, et qu’il avait intérêt, pour cela, à se montrer plus ardent à contenir les effets désastreux de la globalisation, – on sait combien la globalisation est impopulaire en France. (Voir le texte du 9 mai 2011, avec notre titre «L’œil sur 2012, DSK fait de l’anti-globalisation au FMI», et cette remarque concernant l’article de Stiglitz : «Dans le “chapeau”, ou “abstract”, présentant l’article, on nous signale tout de même, ce que Stiglitz omet de faire dans son article lui-même, que DSK file vers une candidature aux présidentielles françaises, redécouvrant par conséquent qu’il est socialiste et que le sort du brave citoyen de base, au budget serré, importe au moment du vote.») Ce fait des ambitions électorales de DSK paraissait-il accessoire à Stiglitz, ou bien l’ignorait-il, ou bien l’omettait-il volontairement ? Il nous paraît, à nous, particulièrement important, parce qu’il influe sur l’explication qu’on veut donner de l’évolution du FMI, de son actuelle position, de son avenir souhaitable (avec quel directeur, etc.). Il nous semble, si l’actuelle crise au FMI avait éclaté en 2008-2009, alors que le FMI n’avait rien vu venir de la grande crise financière de 2008 et se trouvait totalement sur la réserve, avec des évaluations médiocres, que DSK n'eût pas été encensé et salué comme il l’est aujourd’hui, alors qu’il a réalisé un important effort de réforme du FMI dans un sens dont on peut difficilement s’empêcher d’observer qu’il lui donnerait, – qu’il lui aurait donné, semble-t-il qu’il faille écrire aujourd’hui, – de très solides arguments dans une campagne présidentielle en France.

Ainsi comprend-on la confusion qui accompagne indirectement le texte de Stiglitz avec son semi-sophisme implicite (“l’Européen [le Français] DSK a été formidable, donc il ne faut pas que son successeur soit Européen [Française]”)… Elle réside dans le fait que DSK, sur la fin de son mandat brutalement interrompu, s’est montré ardent réformiste, voire presque anti-globalisation, essentiellement parce qu’il se percevait de plus en plus à un niveau national, et au niveau national français où la globalisation n’est pas unanimement appréciée. De même, ses performances unanimement saluées, portant essentiellement sur les années 2010-2011, impliquent, comme l’indique Halligan, une position pro-européenne du directeur du FMI, elle aussi teintée de préoccupations électorales dans la perspective des élections de 2012.

D’un autre côté, l’appel à un changement radical dans la direction du FMI, en passant à un directeur venu d’un pays “émergent”, implique la recherche d’une adaptation de la globalisation aux nouvelles réalités économiques, celles-ci effectivement vues d’un point de vue “globalisé”. Cela signifie, notamment, qu’un tel nouveau directeur du FMI non-Européen, même s’il poursuivait une réforme du FMI, favoriserait beaucoup moins l’Europe que ne le fit DSK, et renforcerait le courant anti-globalisation en Europe (et en France) cette fois-ci en confrontation avec le FMI et d’une façon plus générale avec les institutions de la globalisation. Là aussi, on en revient, par une autre déduction, au constat que la tendance pro-européenne, comme la partie réformiste, de la présidence DSK s’est faite en référence à une vision nationale des problèmes, toujours en fonction de sa propre perspective nationale (2012 en France).

On aboutit donc au problème central, qui est de savoir comment réformer et utiliser des institutions fondamentalement faites pour la globalisation, en fonction des intérêts contradictoires de pays et groupes de pays qui sont surtout favorables à la globalisation quand cette globalisation les favorise. Le FMI est parfaitement dans ce cas, et la présidence DSK, avec ses paradoxes, son éventuel brio de la fin suivant un début médiocre, n’a pas montré la qualité potentielle du FMI mais plutôt implicitement démontré l’impossibilité d’accorder une globalisation avec des pays et des groupes de pays tous en crise, et chacun avec sa propre vision de la crise, et dans ce cas DSK préoccupé des effets de la crise en Europe (en France) parce que candidat en 2012. De ce point de vue et quelle que soit la personnalité qui succédera à DSK, le FMI, comme les autres institutions de la globalisation, sera plus que jamais un semeur de trouble et un révélateur des contradictions formidables entre les intérêts des uns et des autres. Ce n’est pas la globalisation qui mène le bal, c’est la grande crise du Système, – et, par conséquent, notamment la crise de la globalisation. Réformé ou pas, le FMI en subira les effets.


Mis en ligne le 23 mai 2011 à 05H12