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15 janvier 2007 — Tout le monde sur le pont… Même l’agence chinoise Xinhuanet, comme nous le signale un lecteur, se met de la partie des prédictions d’une attaque imminente et évidemment par surprise de l’Iran. D’autres prévisions dans ce sens s’accumulent, si bien que la possibilité de l’attaque contre l’Iran tend de plus en plus à faire partie du lot de la polémique quotidienne.
Il faut dire que l’affaire est paraît-il sérieuse, comme nous le rapporte Dan Plesch parlant du sentiment de GW (avec l’inévitable Blair dans la poche arrière, et aussi Bolton) : «The political context as seen from inside the White House and Downing Street is that we are in a war as serious as the second world war. John Bolton exemplified this outlook when he compared US problems in Iraq with the fighting with Japan after Pearl Harbour.» Lire donc ce texte de Plesch, dans le Guardian d’aujourd’hui, en ayant à l’esprit que si Blair doit être de la fête, cela implique une action avant avril-mai:
«The evidence is building up that President Bush plans to add war on Iran to his triumphs in Iraq and Afghanistan — and there is every sign, to judge by his extraordinary warmongering speech in Plymouth on Friday, that Tony Blair would be keen to join him if he were still in a position to commit British forces to the field.
»“There's a strong sense in the upper echelons of the White House that Iran is going to surface relatively quickly as a major issue — in the country and the world — in a very acute way,” said NBC TV's Tim Russert after meeting the president…
(…)
»Bush has said he will destroy the Syrian and Iranian networks in Iraq. These may include Moqtada al-Sadr's militia, but are also likely to target the Iranian-created Badr brigades, now wearing Iraqi police uniforms. In the south, the withdrawal of British troops to Basra airport looks more like a preparation to avoid a Shia backlash than a handover to the government of Iraq.
(…)
»The Iranian regime seems prepared for confrontation, perhaps confident Washington is bluffing. Next month Iran celebrates its completion of the nuclear-fuel cycle, in defiance of UN sanctions. Expect Bush and Blair to ask what the world will do to prevent a new Holocaust against the Jews. In his Plymouth speech, Blair told us that we could not pick and choose our wars. He may have been telling us more than we realised.»
Rarement un événement nécessairement secret pour avoir une bonne chance de réussir aura autant provoqué d’agitation dans ses prémisses, — et ce n’est certainement pas fini. Aujourd’hui, l’Histoire se noue par avance, elle se débat et se déchire avant même l’événement justifiant ce débat et ce déchirement. C’est une époque originale.
Mais puisque ce n’est pas fini, voici encore ceci. L’originalité va aussi se nicher dans d’étonnantes perspectives.
En “irakisant” la crise iranienne (voir notre F&C du 13 janvier), Bush suscite une modification de l’attitude du Congrès. Tout le monde admettait que le Congrès, devant une attaque US contre l’Iran, devrait dire “amen” au nom de la sécurité nationale (voir encore Buchanan, le 12 janvier, parlant de l’attaque contre l’Iran : «And should this scenario play out, what would Hillary, Biden, Kerry, McCain, Giuliani, and even Pelosi and Obama do? Hail Bush as a Churchill. At first.»). Mais en faisant dépendre une attaque contre l’Iran de la crise irakienne, en faisant passer le soi-disant casus belli du nucléaire iranien annoncé comme inéluctable à une intrusion iranienne en Irak qui sera très probablement mise en doute, en passant d’une attaque-surprise directe contre le nucléaire à une escalade partie de l’Irak où la polémique washingtonienne a toute sa place, GW conduit le Congrès à englober de plus en plus la crise iranienne dans la crise irakienne. Du coup et selon les circonstances, une intervention US contre l’Iran pourrait être l’objet de la même colère anti-Bush du Congrès à propos de l’Irak. GW a fait passer l’affaire du domaine de la sécurité nationale au domaine de la polémique nationale (la crise interne exécutif-Congrès).
Ce qui est remarquable dans le cas de la crise iranienne, c’est l’accélération de la confusion dans les modalités d’une éventuelle attaque, dans sa signification, dans ses conséquences. Le coup de maître de Bush, — faire passer le soi-disant casus belli iranien au niveau du quotidien irakien — recèle de redoutables effets collatéraux. La perspective de l’attaque se rapproche moins qu’elle ne s’actualise en devenant une partie importante du débat en cours à Washington.
(En fait de proximité, il ne faut pas oublier que l’attaque nous est annoncée pour dans les quelques mois à venir depuis janvier 2005 ; que, par exemple, à la conférence du Bilderberg du 8 juin 2005, certains l’annonçaient pour le mois d’août 2005.)
Mais au fait, va-t-il y avoir une attaque ? Cette question passionne nombre de nos lecteurs, qui pour affirmer que c’est bien le cas, qui pour se garder de rumeurs alarmistes. Notre appréciation est bien évidemment que rien ne peut être dit d’une façon rationnelle parce que la perspective de l’attaque est entrée de plain-pied dans le domaine irrationnel qui est celui de l’univers de GW (avec l’auxiliaire Blair, dont on se demande si l’équilibre résistera à la perspective de son départ de Downing Street). Même la question des capacités militaires (dramatiquement réduites du côté US) n’est plus impérative dans un tel climat.
Le domaine complètement novateur est celui des conséquences de l’attaque. Jusqu’ici, on parlait de conséquences sur le terrain, la riposte de l’Iran, etc. ; désormais, il y a la perspective des conséquences à Washington même, directement sur la crise institutionnelle qui se développe. Si l’on ajoute l’avertissement de Joe Biden et d’autres (une attaque contre l’Iran requiert une nouvelle autorisation du Congrès) et celui de Dennis Kucinich (en cas d’attaque de l’Iran, une procédure de destitution pourrait être aussitôt mise en route), on mesure l’étendue du nouveau domaine des conséquences d’une attaque.
Cela arrêtera-t-il GW (et Blair, et les Israéliens)? La question est de savoir si quelqu’un peut encore arrêter GW. Elle se complique du fait de la publicité faite autour de la possibilité de l’attaque. Comment une psychologie aussi exacerbée que celle de GW Bush, aussi proche de la pathologie qu’on s’y tromperait, ne se jugerait-elle pas engagée dans cette perspective par le bruit qui est fait autour d’elle? Comment cet esprit simple n’y verrait-il pas un point d’honneur?
Mais d’autres hypothèses peuvent surgir, puisque nous sommes désormais dans une sorte de Disneyland de l’inconstitutionnalité et de l’irrationalité. Par exemple, dans cette atmosphère folle, peut-on imaginer que le conseil de William S. Lind recommandant aux généraux US de s’opposer à une attaque contre l’Iran prenne l’allure concrète et dramatique d’un refus d’obéissance? La chose est à la fois impensable et proche désormais du domaine du possible.
Une seule certitude : la perspective de l’attaque contre l’Iran, jusqu’ici subie par les commentateurs et les hommes politiques washingtoniens comme une fatalité épouvantable ou nécessaire c’est selon, est aujourd’hui entrée dans le domaine de la polémique nationale de Washington. C’est un facteur d’une importance extraordinaire. Bien malin qui pourrait dire ce qu’il en sortira.