L’étrange cas du F-22

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Le cas de l’avion de combat de l’USAF F-22 Raptor ne cesse d’apparaître de plus en plus étrange. Cela fait plus de deux mois que le F-22, qui représente la capacité technologique décrite dans son domaine comme la plus avancée de l’USAF (et du monde, cela va de soi), est interdit de vol à cause d’un non moins étrange problème d’alimentation en oxygène du pilote. Le système déficient équipe d’autres types d’avions de combat de l’USAF qui, eux, n’ont pas l’air d’être affectés par le défaut de fonctionnement.

DoDBuzz.com s’est intéressé (le 11 juillet 2011) au problème et nous communique, d’abord qu’il ne semble y avoir aucun délai annoncé pour la reprise des vols, ensuite que les pilotes de F-22, qui continuent à s’entraîner sur simulateurs, devront avoir une période d’entraînement pour s’adapter aux nouvelles “conditions” suscitées par les changements réalisés. Pour ajouter le chaos au désordre, la porte-parole de l’USAF qui a informé DoDBuzz.com, précise que, pour autant, en cas de nécessité, – par exemple une troisième Guerre Mondiale, – le F-22 pourrait tout de même effectuer des missions de combat, dans l’état où il se trouve. Sans doute sera-t-il demandé aux pilotes de retenir leur souffle jusqu’au moment où ils auront abattu tous les avions terroristes, chinois ou iraniens, qui auront osé s’approcher de l’espace aérien sacré des USA, et de l’espace aérien non moins sacré du monde dont les USA ont proclamé la maîtrise.

«“The safety of our airmen is paramount and we will take the necessary time to ensure we perform a thorough investigation,” said Master Sgt. Pamela Anderson, a spokeswoman for Air Combat Command. Anderson told Buzz that when the grounding is lifted, there may be a bow wave in optempo for F-22 units — Buzz’s phrase, not hers — as everyone involved gets re-qualified on their jobs under operational conditions, as opposed to working with simulators or static aircraft.

»“Pilots and ground crew continue to train in simulators and perform ground tasks to stay as proficient as possible,” she said. “Once the aircraft are cleared to fly again, there will be a period where the pilots will need in-flight training to become fully proficient on the aspects of flying that simulators cannot replicate. Some live flight is required for high-G maneuvering flight, a true outside visual, and in-flight decision making in a dynamic environment where simulators are lacking.”»

En même temps, on apprend que la panne du système d’alimentation oxygène, outre d’immobiliser la flotte des F-22 en activité, a comme conséquence d’interrompre la production de l’avion par Lockheed Martin. En effet, pour que l’USAF accepte les nouveaux avions sortis d’usine, ceux-ci doivent être testés en vol, ce qui est impossible en raison du problème d’oxygène. Qui plus est, ces avions n’ont pas tout leur équipement de technologies de furtivité, notamment les peintures spéciales, qui ne sont appliquées qu’après ces premiers vols. Le 10 juillet 2011, DefenseTech.org nous informe de cette non moins étrange situation…

«Technically, four aircraft have been delivered to the Air Force, but are being stored at Marietta pending the lifting of the flight restrictions. When the Air Force resumes F-22 flight operations, those aircraft will be flown to Langley Air Force Base (AFB), Va. Two further aircraft, 4182 and 4183, have been completed, but the company and DCMA can’t do required flight testing on those jets, Stinn said. The aircraft are being stored in a near-flight-ready status, she said.

»Aircraft “4182 and 4183 were scheduled to deliver in July, but they’re not in a position to do any sort of test flights, so we can’t deliver,” Stinn said. “Maybe early August, but we don’t have a definitive date”…»

Devant ce déluge d’étranges nouvelles, DefenseTech.org termine sa nouvelle par cette remarque désabusée : «Let’s hope something like this doesn’t happen to the F-35 Joint Strike Fighter fleet when it makes up the vast majority of U.S. tactical fighters.» La remarque marque ainsi la consternation actuelle, exprimée discrètement dans les milieux de la défense US, devant la situation incompréhensible du F-22, présenté pourtant par ses partisans, et par l’USAF lorsqu’elle n’est pas obligée à une attitude politique en fonction du F-35 (concurrence budgétaire entre le F-22, si l’on reprenait sa production, et le F-35), comme le plus formidable atout de l’aviation de combat US. Ce qui surprend, surtout, c’est l’espère d’inconsistance de la communication sur le sort du F-22 qui, cette fois, fait du tort à l’avion et à l’USAF par rapport à la narrative (ou non-narrative) entourant le cas actuel de cet avion.

Effectivement et malgré la consternation dont nous parlons ci-dessus, la situation actuelle du F-22 est en général traitée discrètement, du point de vue de la communication. Cette discrétion, acceptée par une discipline courante à l’intérieur du Système, est perçue pourtant avec un immense malaise. Une explication est que l’USAF, qui n’est pas très heureuse en matière de communication ces dernières années, confirme ainsi cette pauvreté d’attitude. Mais il y a nécessairement plus, puisque cette discrétion-maladrese est également prompte à alimenter les soupçons ; il y a l’idée, le soupçon effectivement, que cette discrétion constitue une tentative (maladroite) pour ne pas alimenter le discrédit à propos des performances de cet appareil. L’interdiction de vol de toute la flotte des F-22 pour un problème qui semblerait ne pas être fondamental, et qui, de plus, se rencontrerait sur d’autres types d’avions utilisant le même système d’alimentation en oxygène mais n’étant touché par aucune restriction de vol, ne peut qu’alimenter le soupçon que le F-22 est touché par d’autres problèmes techniques, ou par une spécificité qui tient à lui et fait de ce problème d’alimentation en oxygène, dans son cas, une circonstance beaucoup plus grave.

On en revient aux multiples ennuis rencontrés par le F-22 depuis sa mise en service, qui tiennent à ses caractères technologiques également spécificiques. La question fondamentale concernant le F-22, au-delà de tel ou tel problème, est celui de la contrôlabilité de cet appareil en fonction des diverses innovations technologique intégrées dans son cas. Il s’agit d’une approche d’une question ontologique concernant le système du technologisme dans son aspect le plus général : n’existe-t-il pas une barrière au-delà de laquelle l’accumulation des technologies très avancées, avec l’appareillage informatique gigantesque qui va avec, met gravement et fondamentalement en question la contrôlabilité du système qui en est doté ? Cette question concerne le fondement du technologisme, c’est-à-dire un aspect très important du système du technologisme et, plus généralement, la question fondamentale d’une possible impasse, – une parmi d’autres, – qui menace la course en avant de la modernité, dito du Système lui-même, bien entendu.

Il y a évidemment de quoi s’interroger sur le sort du F-35 (JSF), dans la meilleure hypothèse où cet appareil finirait pas être opérationnel. Le F-35 constituerait alors l’essentiel de la flotte aérienne de combat des USA. A première vue renvoyant à la logique des choses, il n’y a aucune raison pour que le F-35 ne rencontre pas les mêmes problèmes fondamentaux de contrôlabilité que rencontrerait le F-22, si c’est vraiment cette question qui se pose. Certaines des causes du retard du F-35 ne rendent pas optimiste à cet égard, puisqu’elles concernent le développement extrêmement difficile, sans cesse retardé, du système et de l’habillage informatique énorme dont il dépend. Cette difficulté de développement concerne aussi bien la “construction” du système informatique du F-35, que la capacité de contrôlabilité de ce système. De plus en plus, la deuxième cause va prendre le pas sur la première, accentuant effectivement le problème ontologique ainsi posé, et aggravant l’énorme problème de sécurité nationale que va poser le F-35. Le problème, effectivement bien plus grave, serait, outre et au-dessus des capacités opérationnelles du F-35 (comme dans le cas du F-22), celui de la maîtrise de ces capacités opérationnelles par les utilisateurs. (L’alternative de plus en plus envisagée de cette perspective catastrophique éventuelle est l’accélération exponentielle de la production et de l’utilisation de systèmes sans pilote, type UAV et UCAV, dont les USA font une consommation de plus en plus grande. C’est une fausse alternative. Le problème de la contrôlabilité se pose également dans leur cas, et se posera de plus en plus gravement, tant au niveau opérationnel pur qu’au niveau des résultats obtenus par leur usage opérationnel.)

Dans tous les cas, dans quelque direction que l’on choisisse de porter son jugement, le vrai problème est bien celui du technologisme. La vraie menace se nomme impasse, dans les relations entre les utilisateurs, les sapiens militarisés et galonnés, et les systèmes technologiques avancés, de plus en plus autonomes non des conditions opérationnelles, mais de la maîtrise que devrait en assurer leurs utilisateurs.


Mis en ligne le 13 juillet 2011 à 05H35