L’étrange dilemme

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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L’étrange dilemme

8 septembre 2023 (18H15) – Voici deux nouvelles que l’on met côte-à-côte, ou l’une en-dessous de l’autre sans y voir ni une préférence pour l’une, ni un signe de mépris pour l’autre, avec chacune une photo qui résume la situation.

• Sur l’une, bandeau noir sur l’œil droit (ce n’est pas un signe politique ni le résultat d’un désaccord avec un direct d’extrême-gauche d’Annalena, mais juste l’effet d’un incident dont je ferais l’hypothèse qu’il est la conséquence d’une attaque d’un insecte de nationalité russe) : voici le chancelier Scholz, d’Allemagne, successeur lointain de Bismarck. Vous ne voyez pas la photo mais vous pouvez la regarder sur l’infâme RT.com (‘What else ?’). On y voit Olaf à la tribune, face à un micro, bandeau en bandouillère, tendant dans un grand élan le bras droit, main ouverte, mais sur le côté, comme s’il désignait Annalena et pensait à Adolf, et proclamant :

« L’Allemagne a besoin de plus d’immigrants, – selon le chancelier,

Le pays ne pourra pas tenir sans des travailleurs étrangers a dit Olaf Scholz. »

Tout cela est fortement documenté, à coups de millions, – de travailleurs allemands qui partent à la retraite (13 millions dans les dix prochaines années), d’immigrants qui sont nécessaires, de l’Allemagne qui risque de disparaître étouffée par sa bureaucratie qui rend l’installation d’un immigrant si difficile. Au reste, l’on sait que les sondages, cet évangile de la connaissance, témoignent de l’hostilité grandissante des Allemands vis-à-vis de l’émigration.

Là-dessus, on apprend bien à propos que les Ukrainiens sont devenus la seconde nationalité des 13,4 millions de migrants en Allemagne ; ainsi y a-t-il eu 2,7 millions d’immigrants en Allemagne l’année dernière, dont 1,1 million d’Ukrainiens. J’ose à penser que les  comploteurs du dimanche et les enquêteurs  des quatre-chemins de la scène du crime peuvent commencer à aiguiser leurs hypothèses et leur narrative concernant les causes de la guerre en Ukraine et du soutien allemand de la chose, avec effets et conséquences qu’on sait sur la situation économique allemande.

(... Par ailleurs et pour rassurer ces quelques contestataires et donner du sens à tous ces projets, je vous confierai que 80% des immigrants ukrainiens actuellement en Allemagne sont au chômage. Pensez-en ce que vous voulez, Scholz ne vous entendra pas puisqu’il a un bandeau sur l’œil droit.)

• ... Sur la seconde de ces photos illustrant l’autre nouvelle, un homme, noir de peau précise-je, surmonté d’une casquette de baseball new yorkaise, également sur un podium d’orateur et devant un micro, et s’exclamant mon Dieu sans prendre de gants :

« Les immigrants pourraient “détruire” New York, – selon le maire.

» La ville se trouve confrontée à une ruine financière du fait de l’immigration, avertit le maire démocrate Eric Adams. »

Effectivement, Adams est un Africain-Américain comme l’on dit, ancien policier du NYPD, élu en promettant de remettre un bon ordre démocratique dans cette ville soumise à rude épreuve par son prédécesseur Bill De Blasio, ultra-progressiste, wokeniste en diable, ‘Black Live Maters’ etcetera. Il s’agissait déjà et bien entendu d’un démocrate, qui avait proclamé New York City “ville ouverte”, ce statut qui exonère les immigrants de tout contrôle restrictif selon les lois fédérales.

Une des curiosités exotiques de cette affaire est la recommandation récente faite par une personnalité dont je me garderais bien de citer le nom (d’ailleurs, je l’ai oublié). Elle propose d’organiser la sécession de la ville de New York City, de son arrondissement insulaire de Staten Island, – repaire de blancs et de richards, poudre d’escampette à la ceinture.

Le point de vue de Sirius

Vous avez remarqué que ces deux personnages appartiennent, qu’ils l’approuvent à fond ou émettent des réserves sur la question de l’immigration, à deux communautés, – l’Allemagne et New York City, – qui s’affichent résolument modernistes et suivent strictement la morale moderniste de nos Temps-devenus-fous. Cette morale recommande l’ouverture de tous à tous, et donc applaudit au flux des migrants. Ce flux de migrants provoque de grands désordres en même temps qu’il est peu aimé par ceux-là même qui soutiennent la conception qui lui est pourtant très favorable. Cela permet de nous empêcher de tirer la moindre “morale” (dans le sens littéraire, dans ce cas) de ces deux nouvelles et de leur confrontation. Je veux dire par là : évitons le jeu politique dont plus personne ne connaît les règles, car c’est faire le jeu du désordre pour tenter de donner un sens à ce désordre.

C’est une étrange occurrence d’où l’on peut tirer divers enseignements. Le premier est que le désordre est si grand et exponentiel dans ce monde moderniste et étouffé par la bureaucratie, que l’on ne peut plus identifier précisément, ni effet ni conséquence de son extension. Le second est que ce désordre est si entretenu et nourri si rapidement par divers événement charriés par la communication, que l’on ne cesse d’être confronté à des situations si contradictoires dans tous les sens, qu’on ne peut songer un instant à proposer des hypothèses d’effets et de conséquences.

A regarder ces deux photos si caractéristiques de nos “Temps-devenus-fou”, me vient l’impression, un peu facile certes mais si clairement approprié, de voir un pauvre ver se tortiller au bout d’un hameçon avant de rencontrer son destin sacrificiel. Quelle étrange impression, somme toute, alors que le monde résonne d’affirmations furieuses, de querelles innombrables, d’anathèmes sans  discontinuer, de censures bienveillantes, de discours pleins du miel de la démagogie et des simulacres, de Credos à la gloire de la créature humaine dans ses œuvres... Et du haut de ces vingt siècles (j’arrondis) de civilisation occidentaliste devenant américaniste, cette remarque vous contemple, si abrupte autant que dite d’un ton si détaché : “Tout ça pour ça ?”

Je citerais alors opportunément un mien ami, à qui je posais cette question si impertinente : “Que désires-tu pour ton dernier soupir ?”, – cette réponse si déroutante, si bien faite pour éviter et mépriser les parlottes du café du commerce électronique :

« Je sais bien que, comme je le souhaite, mon dernier soupir sera un soupir  de soulagement. »

Mon Dieu, nous expliqua Sirius, je ne vais pas vous laisser sur une note si basse et une tonalité si lugubre malgré le plaisir du jeu de mots qui est, – je vous le dis et croyez-moi, – l’une des causes principales de cette phrase. D’où je suis, moi qui ne distingue pas les détails, je vous le dis et redis : il n’est de meilleure protection, de meilleure Résistance, de meilleure dignité que l’inconnaissance, celle qui balaye  toutes les interrogations inutiles.

“Je vous rappelle, dit alors Sirius que je cite verbatim, ce qu’un de ces vers de terre, un de ces vermisseaux frémissant, et en plus tentant de définir le sens de la démarche que j’évoque, écrivait :

« L’inconnaissance alors s’impose... L’inconnaissance est une position de sagesse, de retenue de l’émotion trop vite excitée, et surtout une position d’ouverture pour saisir ce qui est essentiel et se dessinera de soi-même. L’inconnaissance fait que nous ne nous saisissons volontairement que de peu de choses dans le foisonnement de détails supposés avérés et d’orientations suggérées, et ne tenons pas à en saisir beaucoup plus, concentrés sur la possibilité de trouver dans ce “peu de choses” ce qui concerne le sort du Système, – et c’est pourquoi notre attention va à cette sorte de choses. Ce que nous voulons, et que nous permet l’inconnaissance, c’est libérer la perception pour une tâche plus essentielle, qui est d’observer et de suivre ce qui semble être le plus indicatif du sort général du Système, de ses fondements tectoniques en pleine tremblements, pour pouvoir mieux les identifier comme tels et les saisir lorsqu’ils se montrent en pleine lumière... »