L’étrange histoire de l’exercice Austere Challenge ’12

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Une des grandes controverses de janvier 2012, dans le cadre de la crise iranienne, fut celle de l’exercice israélo-américaniste Austere Challenge ’12, figurant l ‘organisation d’une riposte israélienne (avec aide US) à une attaque de missiles iraniens. Cet exercice, prévu pour le 15 janvier 2012, fut annulé deux jours avant ses débuts. La première version explicative fut qu’il s’agissait d’une décision US, de crainte de paraître trop provocateur pour les Iraniens ; la deuxième version fut qu’il s’agissait d’une décision israélienne, pour montrer le mécontentement de Netanyahou devant ce qu’il considérait comme la “mollesse” des USA face à l’Iran, ; un troisième prolongement est que l’exercice aurait lieu en octobre 2012, et qu’il pourrait être l’occasion du déclenchement d’une attaque (voir le 31 janvier 2012).

Dans son article du 2 février 2012, que nous citons déjà dans notre texte de ce 3 février 2012, Gareth Porter inclus un long développement sur cette affaire de l’exercice Austere Challenge ’12. Le sujet vaut la citation.

«Dempsey’s meetings with Netanyahu and Barak also failed to resolve the issue of the joint U.S.-Israeli military exercise geared to a missile attack, “Austere Challenge ’12”, which had been scheduled for April 2012 but had been postponed abruptly a few days before Dempsey’s arrival in Israel.

»The postponement has been the subject of conflicting and unconvincing explanations from the Israeli side, suggesting disarray in the Netanyahu government over how to handle the issue. To add to the confusion, Israeli and U.S. statements left it unclear whether the decision had been unilateral or joint as well as the reasons for the decision.

»Panetta asserted in a news conference on Jan. 18 that Barak himself had asked him to postpone the exercise. It now clear that both sides had an interest in postponing the exercise and very possibly letting it expire by failing to reach a decision on it.

»The Israelis appear to have two distinct reasons for putting the exercise off, which reflect differences between the interests of Netanyahu and his defense minister. Netanyahu’s primary interest in relation to the exercise was evidently to give the Republican candidate ammunition to fire at Obama during the fall campaign by insinuating that the postponement was decided at the behest of Obama to reduce tensions with Iran.

»Thus Mark Regev, Netanyahu’s spokesman, explained it as a “joint” decision with the United States, adding, “The thinking was it was not the right timing now to conduct such an exercise.” Barak, however, had an entirely different concern, which was related to the Israeli Defence Forces’ readiness to carry out an operation that would involve both attacking Iran’s nuclear facilities and minimizing the Iranian retaliatory response.

»A former U.S. intelligence analyst who followed the Israeli military closely told IPS he strongly suspects that the IDF has pressed Barak to insist that the Israeli force be at the peak of readiness if and when they are asked to attack Iran. The analyst, who insisted on anonymity because of his continuing contacts with U.S. military and intelligence personnel, said the 2006 Lebanon War debacle continues to haunt the thinking of IDF leaders. In that war, it became clear that the IDF had not been ready to handle Hezbollah rocket attacks adequately, and the prestige of the Israeli military suffered a serious blow.

»The insistence of IDF leaders that they never go to war before being fully prepared is a primary consideration for Barak, according to the analyst. “Austere Challenge ’12” would inevitably involve a major consumption of military resources, he observes, which would reduce Israeli readiness for war in the short run. The concern about a major military exercise actually reducing the IDF’s readiness for war against Iran would explain why senior Israeli military officials were reported to have suggested that the reasons for the postponement were mostly “technical and logistical.”

»The Israeli military concern about expending scarce resources on the exercise would apply, of course, regardless of whether the exercise was planned for April or late 2012. That fact would help explain why the exercise has not been rescheduled, despite statements from the U.S. side that it will be.

»The U.S. military, however, has its own reasons for being unenthusiastic about the exercise. IPS has learned from a knowledgeable source that, well before the Obama administration began distancing itself from Israel’s Iran policy, U.S. Central Command chief James N. Mattis had expressed concern about the implications of an exercise so obviously based on a scenario involving Iranian retaliation for an Israeli attack.

»U.S. officials have been quoted as suspecting that the Israeli request for a postponement of the exercise indicated that Israel wanted to leave its options open for conducting a strike on Iran’s nuclear facilities in the spring. But a postponement to the fall would not change that problem. For that reason, the former U.S. intelligence analyst told IPS he doubts that “Austere Challenge ’12”will ever be carried out.

»But the White House has an obvious political interest in using the military exercise to demonstrate that the Obama administration has increased military cooperation with Israel to an unprecedented level. The Defense Department wants the exercise to be held in October, according to the military source in touch with senior flag officers connected to the Joint Chiefs.»

On précisera que le même texte de Gareth Porter se trouve sur Antiwar.com le 2 février 2012, et que Porter est interviewé le 3 février 2012 sur Antiwar.Radio, où il confirme bien entendu ses écrits, et où il insiste sur le fait qu’il tient ses sources du plus haut niveau, du comité des chefs d’état-major («Gareth Porter says his source is close to Chiefs»). On peut le croire sans difficultés, sur la foi de l’expérience, notamment dans la couverture qu’il fit, qui s’est avérée juste, de la “politique” de l’U.S. Navy “face” à l’Iran au printemps 2007 notamment.

Ce que nous amène le texte de Porter, bien plus détaillé que tout ce qui a été écrit sur ce fameux exercice, c’est l’évidence de la très grande complexité du cas. Il est extrêmement difficile de distinguer qui a pris véritablement l’initiative de décommander l’exercice, sinon à remarquer éventuellement que les deux “partenaires” se sont finalement avérés d’accord, selon des démarches différentes et autonomes, pour le décommander. Cela contraste avec les versions publiées ici et là, qui avaient comme caractéristique d’être catégoriques, y compris celle(s) de DEBKAFiles, qui furent catégoriques dans un sens (ce sont les USA qui ont décommandé) puis dans l’autre (c’est Israël qui a décommandé). Mais surtout, ce qui est le plus remarquable, c’est le complet renversement de l’interprétation, par rapport à ce qui été unanimement perçu : la tenue de cet exercice, au lieu d’être un signe belliciste, voire un signe de préparation à la guerre comme on l'interprétait, est exactement le contraire, puisqu’il est principalement présenté comme amenuisant des ressources militaires israéliennes, qui seraient nécessaires à une attaque. Par ailleurs, les USA (le commandement Central Command) n’aiment guère cet exercice parce que le thème est une attaque iranienne (une riposte ?) contre Israël, sans qu’on sache si ce qui inquiète dans cette image c’est le symbole indiquant que, peut-être, une attaque israélienne (contre l’Iran) pourrait bien avoir lieu, attirant la riposte iranienne ; ou le symbole d’une capacité de l’Iran parvenant effectivement à frapper Israël… Dans tous les cas, dans toutes ces versions, on ne trouve guère, dans la décision d’abandon de l’exercice, la notion d’un geste fait pour “apaiser” l’Iran. On retrouve également une complète incertitude sur le fait de savoir si cet exercice aura lieu ou pas.

Au contraire, toutes les interprétations faites autour du 15 janvier, lorsque l’exercice fut abandonné, furent que cette décision constituait un élément de détente, éloignant la possibilité d’une attaque. D’ailleurs, la situation dans le Golfe et dans la Mer D’Oman, se détendit pendant quelques jours, et le prix du pétrole s’abaissa. L’interprétation de la communication, dans des pays comme l’Iran, la Russie, etc., était et reste que l’exercice est le signe de la possibilité très renforcée d’une guerre. (La dernière interprétation, de Russia Today le 27 janvier [voir le 31 janvier 2012], est que l’exercice, qui serait rétabli en octobre, pourrait effectivement annoncer une guerre pour octobre.)

Dans tout cela, on comprend que la “vérité” n’a guère de place, jusqu’a se demander d’ailleurs s’il existe une réelle “vérité”, si la décision de suspension/d’annulation n’est pas la conséquence de processus divers, bureaucratiques et incontrôlables, dont la responsabilité précise est quasiment non identifiée. Il s’agit d’une situation qui correspond parfaitement au temps de crise générale que nous vivons, où la bassesse des politiques, où l’imprécision des perceptions dans le fouillis manipulé des informations, conduit finalement à considérer qu’un concept aussi haut que “la vérité” ne trouve plus aucune place, ni aucun intérêt d’ailleurs, à se manifester clairement en tant que telle. Dès lors, nous sommes obligés, car il existe pourtant, même si elle n’est pas manifestée, une “vérité” des situations, à chercher nous-mêmes à déterminer cette “vérité”. Pour ce faire, on doit se demander ce qui est le plus important pour cette démarche ; il apparaît le plus souvent que l’effet immédiat au niveau du système de la communication tient ce rôle ; dans le cas considéré, celui que nous avons effectivement constaté lors de l’annonce de l’annulation/suspension de l’exercice (une décision qui a semblé effectivement constituer, lorsqu’elle a été annoncée à la mi-janvier, une concession vis-à-vis des Iraniens, et une mise en évidence de la tension entre USA et Israël). Les précisions qu’apporte Porter n’ont finalement guère d’intérêt pour cette situation, désormais dépassée, mais elles en ont pour ce qu’elles nous disent, ou confirment, des relations entre Israël et les USA, également pour l’attitude des USA vis-à-vis d’une attaque de l’Iran (ce qui est le sujet de l’article de Porter) ; également, et c'est encore plus original, pour ce qu'elles nous disent de l'obsession des militaires israéliens pour ce qu'ils perçoivent comme une terrible défaite que leur infligea le Hezbollah à l'été 2006. Aujourd’hui, la question de la “vérité d’une situation” sur l’instant est d’abord fonction d’une enquête où la raison seule, sans parler des “faits” objectifs qui n’existent quasiment plus d’eux-mêmes, ne suffisent évidemment pas, où une intervention importante de l’intuition est par conséquent nécessaire. C’est une démarche bien délicate.


Mis en ligne le 4 janvier 2012 à 11H21