L’étrange tactique anti-BRIC du Pentagone

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Il semblerait parfois, et même de plus en plus souvent au gré de leur bureaucratie proliférante, que les USA travaillent avec alacrité à entraver leurs propres intérêts. Voici donc l’épisode concernant la version navale du programme indien LCA (Light Combat Aircraft). L’Inde cherchait un conseiller coopérant pour développer cette version navale de leur programme central d’avion de combat léger (LCA) développé pour la force aérienne. Il croyait l’avoir trouvé avec l’américain Lockheed Martin (LM), qui s’est finalement désisté.

Defense News donne des précisions sur cette affaire, le 5 octobre 2009.

»India has decided to look for global partners in developing the naval version of the Light Combat Aircraft (LCA), as Lockheed Martin failed to get needed security clearances. […] Lockheed Martin ran out of time in getting the necessary clearances from the U.S. government to enter into a contract with India on providing consulting services in the design and development of the naval version of the LCA, said a senior Indian Defence Ministry official. The ministry has no choice but to look for partners in the Western world other than the United States, so that the LCA (naval) program does not suffer further delays, the ministry official added.

»Lockheed executives based in India were unavailable for comment.»

@PAYANT Depuis quatre ans, l’Inde est une très haute priorité des USA pour nouer des liens stratégiques majeurs, pour tenter de renforcer une puissance capable, à leurs yeux, d’équilibrer la puissance chinoise. La coopération lancée par les USA a jusqu’ici essentiellement porté sur le nucléaire et, éventuellement, les armements. Sur le nucléaire, l’accord signé entre les USA et l’Inde, qui est une pièce maîtresse de cette volonté de coopération, va extrêmement loin et est considéré par les experts en questions nucléaires comme une initiative extrêmement antagoniste des efforts de non-prolifération prétendument suivis par les USA.

Au niveau des armements, après quelques contrats d’importance mineure, les USA espèrent beaucoup emporter le marché considérable des 126 avions de combat pour le rééquipement de la force aérienne indienne, avec essentiellement le Boeing F/A-18E/F Super Hornet. Ils espèrent notamment établir à cette occasion des liens de coopération “à l’américaine”, c’est-à-dire enchaînant le pays acheteur aux livraisons US tout en limitant autant que possible les transferts de technologies, ou en les assurant d’une surveillance tatillonne et constante. Dans un premier temps, il faut tout de même établir des liens de confiance pour espérer emporter une première grosse commande et établir ces liens. Cette affaire du LCA et de Lockheed Martin tombe on ne peut plus mal.

LM s’est présenté comme conseiller de la “navalisation” du LCA au nom de l’expérience qu’il aurait acquise avec le développement du JSF en plusieurs versions, dont une version navalisée (le F-35C) par rapport à la version USAF (F-35A) normale. Cette expérience toute récente dans ce domaine précis semblait correspondre aux besoins indiens et, en même temps, LM bénéficiait des pressions politiques de la diplomatie US sur le gouvernement indien dans le cadre de la coopération lancée il y a 4 ans. Mais la bureaucratie du Pentagone, notamment sous la pression du JSF Program Office (JPO), est intervenue. Le processus de “navalisation” dont LM détient semble-t-il l’expérience est d’abord, pour cette bureaucratie, un processus lié au programme JSF, comme à peu près toutes les activités avancées de LM en matière d’aviation de combat. La paranoïa du secret et de la protection des technologies qui entoure ce programme a joué à plein. LM a été bloqué et a du se retirer. Les Indiens devront chercher un partenaire non-US pour le LCA. Peut-être penseront-ils aux Français?

Cette affaire intervient au moment où les Brésiliens sont en train de sélectionner leur nouvel avion de combat et fixe les idées quant à la rigidité bureaucratique complète des USA pour ce qui concerne le transfert des technologies. L’on sait combien les Brésiliens sont avertis contre ces pratiques, et combien ils seront confirmés dans leur méfiance à cet égard, ce qui devrait jouer son rôle dans le processus en cours au Brésil. Cette similitude fortuite mais significative entre Inde et Brésil conduit également à remarquer que les deux pays font partie du BRIC, groupe que les USA cherchent à pénétrer pour tenter de contrôler son évolution éventuellement politique et militaire. Il y a ici la confirmation de l’absence complète de coordination entre les différents quartiers de la bureaucratie US, alors que la coopération avec LM sur le projet LCA permettait effectivement d’ouvrir un axe de pénétration de l’industrie d’armement US dans le domaine des avions de combat d’un pays du BRIC.


Mis en ligne le 7 octobre 2009 à 12H10

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