L’étrange triangle Tea Party-Panarine-GOP

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L’étrange triangle Tea Party-Panarine-GOP

6 novembre 2009 — Il y a, dans la même édition de la publication Mother Jones, qui est à la frange du radicalisme anti-guerre de gauche aux USA, deux articles, chacun étonnant en eux-mêmes, dont la convergence est encore plus étonnante, sinon explosive.

• Le premier, du 5 novembre 2009, décrit ce qui est désigné comme “l’investissement du GOP par le mouvement Tea Party”. (GOP pour Great Old Party, ou parti républicain.) Il s’agit d’un commentaire d’une manifestation très réussie menée par la Représentante républicaine Michele Bachmann, une sorte d’investissement de la Chambre des Représentants le 5 novembre par des milliers d’activistes de Tea Party convoqués par Bachmann. On voit par ailleurs, sur notre Bloc-Notes de ce 6 novembre 2009, détails et commentaires sur cette affaire.

• L’étonnante popularité du Russe Igor Panarine dans le mouvement Tea Party. Invité aux USA par Tea Party, Panarine s’y trouve comme un poisson dans l’eau. On sait que la thèse de Panarine pourrait être un remake pour les USA du livre de 1971 d’Andrei Amalric, assez prémonitoire (L’URSS existera-t-elle en 1984?), cette fois sous le titre “Les USA existeront-ils en 2010?”. La thèse de Panarine est que les USA vont connaître des troubles violents et entamer un processus de désintégration en 2010, avec un fractionnement en plusieurs régions faisant une succession de sécessions par Etats ou groupes d’Etats de l’Union, laquelle mourrait alors de sa belle mort.

«For more than a decade Dr. Igor Panarin, a Russian academic, has been predicting that sometime around 2010 the United States will collapse, splintering into separate states, some of them controlled by foreign powers. Outside of Russia, no one's put much stock in his crackpot and stereotype-based theories—until now, that is. Who are the newest members of the Igor Panarin fan club? Tea partiers who’ve rallied against the Obama administration's policies and blasted the president for pushing a “socialist” agenda. And he's especially big among tea party activists in Texas, who have hosted Panarin and promoted his work.

»In Russia, Panarin, who hosts a weekly radio show, is considered a mainstream expert on the United States. Like Russian Prime Minister Vladimir Putin, Panarin used to work for the KGB. He clearly has the support of the Kremlin, for he teaches at* the school that trains Russia's diplomats. [Parin is professor at the Diplomatic Academy of the Ministry of Foreign Affairs of Russia.] And since the election of Barack Obama last November, Panarin has found a new audience in America among far right activists, many of whom believe Obama is destroying the country. […]

»Since the Drudge Report first highlighted his theories last November, several conservative websites and blogs have featured him. In September, Chuck Baldwin, a perennial far-right presidential candidate on the Constitution Party ticket, observed that Panarin's predictions of “some sort of break up of the United States in the near future” was a "very realistic probability." (Columnist and MSNBC analyst Pat Buchanan linked to Baldwin's article on Panarin.) Joseph Farah, the founder of the arch-conservative website WorldNetDaily, which is famous for promoting “birther” allegations questioning Obama's citizenship, wrote in December that he wasn't “buying into Panarin's entire prédiction” but that “there's something to it.” More than half of the nearly 3,000 WND readers who responded to a poll attached to Farah's piece agreed that “the US is on course to break up soon, and another 18 percent said they thought the United States wouldn't break up, but would ‘continue to lose sovereignty to the UN and other global entities.’”

»This week Panarin made a trip to the United States. Tea party activists were waiting. On Monday night, the Houston Tea Party Patriots sponsored a speech by Panarin at a local Hilton. The event was titled “Global Crisis: Can the United States Remain United?” Panarin's hosts, according to a flier promoting the event, want to “make sure” Panarin's scenario “never happens.” But they weren't sure it wouldn't come to pass. In a blog post promoting the event, these tea party activists noted that Panarin's prediction has been dismissed as a “radical impossibility. But is it?”

»Texas was an appropriate place for Panarin to visit. He has said that he views Republican Gov. Rick Perry's talk of secession, Chuck Norris' offer to run for president of Texas, and the country's political battles over immigration as evidence for his thesis. And it certainly doesn't hurt Panarin's appeal to the far right that he is deeply critical of President Obama, whom he has compared to Mikhail Gorbachev. Obama, he says, “likes to talk but hasn’t really managed to do anything.” Panarin also talks about America's “moral” collapse—a theme popular among social conservatives.

»After his lecture in Texas, Panarin traveled to Washington, DC, on Tuesday to debate his America-is-doomed theory at the city's Russian Cultural Center. He gave his usual spiel—that the US is on the verge of breakup—without producing much in the way of evidence or argument. In the audience were a group of conservative activists who dominated the question-and-answer period. One of them, Bob Hoy, a tea party organizer from Northern Virginia, echoed Panarin's prediction of racial strife, but differed with the Russian on the timeline for America's impending disintegration. He thought it would be a matter of decades, not months. Hoy said that by 2065, “100 years after Ted Kennedy changed the immigration laws,” America would be no more, due to an invasion of immigrants…»

Nous avons cité longuement cet article parce qu’il donne nombre de détails sur l’étonnante et toute nouvelle “popularité” de Panarine aux USA. C’est un événement qui nous est très peu connu, pour certains pas du tout. Ce ne sont pas à ces événements-là que les réseaux officiels, les experts du système et la presse-Pravda affectionnent de donner un large écho. Ce sont ces événements-là qui importent, dès lors qu’ils subissent une transformation, une alchimie tout à fait étrange.

@PAYANT Avançons dans notre constat – nous avons cité longuement cet article parce qu’il donne des détails importants sur un phénomène spécifique en cours, très caractéristique de notre époque, à ce point qu’on peut dire qu’il s’agit désormais d’un phénomène majeur du processus politique – et absolument imprévisible. Il s’agit du cas d’un phénomène marginal, “pas sérieux”, exotique, auquel nul dans l’establishment et dans la presse-Pravda ne prête attention ni ne fait écho; soudain, cette marginalité éclate, elle semble devenir un fait politique à la centralité potentielle explosive. Phénomène très caractéristique de notre temps, parce que notre temps, soumis au virtualisme et à l’attaque constante de la réalité, à la subjectivité systématique de l’information, etc., rend très proches des événements absolument improbables et marginaux, d’un soudain surgissement au centre du débat politique. Notre temps “officiel” dissimule ces événements comme s’ils n’existaient pas, parce que le système ne supporte pas de tels événements qui le mettent en cause; en les contraignant dans l’inexistence “officielle” sous la stricte surveillance du conformisme, il polarise en eux les colères et les frustrations, les charge d’une dynamique potentielle grandissante comme un ressort qu’on tend, jusqu’à ce que l’un ou l’autre de ces événements crève la bulle virtualiste d’inexistence où on l’avait enfermé… Etonnement, affolement et incompréhension – voilà un événement complètement inattendu et farfelu qui s’impose comme réel et important.

Ce qui arrive à l’étrange rencontre Panarine-Tea Party, cela est déjà arrivé à Tea Party: personne n’a rien vu venir, la chose paraissait marginale et exotique – soudain, elle devient d’une importance politique centrale. C’en est alors au point où l’on se demanderait si une parlementaire républicaine ne ferait point l’inverse de ce qu’on attendait, c’est-à-dire s’appuyer sur Tea Party pour lancer une OPA sur son propre parti (le GOP) et préparer une candidature présidentielle pour 2012 (Bachmann en super-Palin?)… Ajoutons-y cette sympathique question subsidiaire: “les USA existeront-ils encore en 2012?”

Le syllogisme de la dévolution des USA

Poursuivons par une sorte de syllogisme – mais en est-ce bien un? Première proposition: Tea Party adopte Panarine et ses théories; deuxième proposition: Tea Party a investi le GOP; conclusion: le GOP adopte Panarine et ses théories. Comme les théories de Panarine prédisent une très rapide fragmentation des USA en plusieurs entités indépendantes, on comprend l’intérêt, d’abord folklorique, puis à la réflexion réellement politique, de ce syllogisme qui n’en est peut-être pas un. Qui sait encore ce qu’est le GOP, ce qu’il représente, dans quelle direction il se dirige? (Mais on pourrait répéter cette série de questions à l’infini, pour Tea Party, pour la stratégie afghane d’Obama, pour l’Europe d’après le traité de Lisbonne; pour le système de l’américanisme, pour notre civilisation et ainsi de suite…)

Tout de même, il y a du goûteux dans tout cela. Un ex-officier du KGB reconverti dans la prévision vraiment très sensationnaliste, pourtant couverte par les autorités officielles russes, venant se faire applaudir au Texas, terre par excellence de l’hyper-capitalisme et de la droite ultra-dure, anti-communiste et vivant parfois toujours au temps de la Guerre froide, cela dans les bagages d’un mouvement dont l’un des buts avoués serait d’empêcher la terre d’élection de la liberté de tomber dans les griffes du “socialisme” où veut la précipiter le président Obama. Ouf…

Au-delà de ces diverses remarques en forme de paradoxes et de contradictions jusqu’à la plus complète confusion, on peut observer que cette conjonction entre Panarine et le mouvement Tea Party conduit à deux observations, elles-mêmes paradoxales et contradictoires.

• D’une part, il y a un aspect qui paraîtrait fort peu sérieux, justement par toutes les contradictions et paradoxes observés, dans cette rencontre entre un étranger, en plus d’origine “suspecte” pour un patriote US moyen dont on connaît l’univers assez borné, et un rassemblement populaire, sinon populiste, qui garde dans tous les cas un aspect patriotique très marqué. Qui plus est, toujours dans ce registre du “fort peu sérieux”, les théories de Panarine ne sont pas considérées, en général, par nos autorités “officielles” et académiques, comme très solides, soit historiquement et politiquement fondées, soit scientifiquement très élaborées. On en parle, dans les aéropages chics de notre système, quand on en parle, avec un sourire mariant, dans une moue classique, mépris et dérision.

• …Cette dernière remarque du premier point permettant justement d’enchaîner sur le second: il est assez probable que l’aspect “fort peu sérieux” des travaux et/ou du personnage de Panarine selon les normes conformistes du système, constitue en l’occurrence un avantage paradoxal, un caractère plutôt en sa faveur du point de vue de Tea Party et de ses membres. Le côté anti-establishment joue évidemment à fond dans ce cas, par ailleurs comme caractère essentiel de Tea Party. Ce n’est pas au CSIS de Georgetown University ou au CFR que vous trouveriez des experts du type de Panarine, et ce n'est pas au CSIS ou au CFR que s'adressera jamais Tea Party..

• Le second point est, par conséquent, que cette étrange connexion, avec tous les caractères qu’on a détaillées, jusqu’à ses aspects “fort peu sérieux”, en font un événement au contraire très sérieux. Il y a la sensation manifeste que Tea Party se sent assez naturellement hors des normes du système, sinon hostile au système; alors il s’adresse à des personnalités hors du système. Qui favorise-t-il dans ce cas, et pourquoi? Un étranger, qu’il faut aussi bien caractériser dans ce cas plus comme non-Américain que comme Russe, venu lui parler de la fin des USA en tant qu’entité fédérale prétendant au statut de nation. Cela se passe comme si, psychologiquement, un mouvement tel que Tea Party, dans le désespoir où il se ressent lui-même de trouver un écho à Washington, ou une réalisation à Washington de ce qu’il juge essentiel pour ses membres, ne voyait comme issue que la fin de Washington (signification principale de la fin des USA comme assemblage fédéral). Il y a presque un message à la fois subliminal et sublimatoire dans cette rencontre Tea Party-Panarine, qui est de simplement constater que le problème général dont sont comptables les diverses colères et frustrations, diffuses ou précises, exprimées dans Tea Party, ne peuvent espérer trouver d’issue que dans disparition du tourmenteur principal qu’est Washington D.C., le cœur du système et le moteur de la machinerie du système. Et, dans ce cas, il n’est de meilleure expression de ce message subliminal et sublimatoire qu’un étranger, un non-Américain justement – et, après tout, un Russe, ancien du KGB, c'est la cerise sur le gâteau..

Là-dessus, et revenant à la politique plus courante, dans un contexte de crise générale où l’on ne voit rien, bien au contraire, qui puisse apaiser les tensions soutenant Tea Party, se pose la question des rapports entre Tea Party et la machinerie politique du parti républicain. La question est d’autant plus intéressante que se glisse par ailleurs l’oiseau rare Michele Bachmann, jouant le rôle de maverick du parti, qui appuie désormais d’éventuelles ambitions politiques beaucoup plus sur l’élan populiste et contestataire de Tea Party que sur les normes du parti républicain. Cet étrange amalgame ne va-t-il pas dévoyer une partie du parti républicain vers une tendance sécessionniste de plus en plus affirmée? On trouve un signe dans ce sens lorsqu’on constate que Panarine va parler au Texas où il est bien accueilli, que c’est le gouverneur (républicain) du Texas qui a parlé le plus précisément de sécession, que c’est la délégation du Texas massivement qui, la première, a rejoint Bachmann et la manifestation au Congrès, hier, de Tea Party. Ici, c’est moins parler de l’importance ou pas du Texas, de ses tendances, etc., que de constater que le lien entre tous ces éléments disparates est bien la situation de se trouver tenté, à un moment ou l’autre, par une orientation sécessionniste et fractionniste, c’est-à-dire une tendance déstructurante des USA et du système qu’impliquerait ce mouvement de dévolution qui est dans certains esprits, pour exprimer la révolte générale diffuse qui rôde aujourd’hui aux USA, tout juste sous la surface des choses, et qui crève épisodiquement cette surface en autant de signes prémonitoires. L’affaire Panarine-Tea Party en est un.