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4281Mon cher Georges,
J’évite de t’écrire quand l’humeur ambiante chagrine ou impatiente risque de ternir l’aimable cordialité que tu offres à tes correspondants. L’éclat de ta foi inattaquable irradie quand tu leur consacres des conversations exigeantes, souriantes et exquises. Mais ici, il arrive souvent que les instants crépitent d’incertitudes. Le feu qui consume l’éphémère c’est-à-dire l’injuste ronronne, il flambe cependant de plus en plus fréquemment. De sorte que se vivifie parmi les cendres des illusions ce qui est utile pour l’homme.
Les Chiliens viennent de perdre la peur qui les a bridés depuis l’intervention étasunienne du 11 septembre 1973 soldée par l’assassinat de Salvador Allende et la mise en pratique d’un capitalisme débridé sous l’autorité d’une dictature militaire sanglante. La mémoire traumatique des exécutions sommaires, des disparitions a été dépassée, grèves et manifestations géantes ont eu lieu malgré les blindés et les unités spéciales de l’armée dans les rues. Le chant de Victor Jara, tué d’une rafale de balles après que la junte lui aie brisé les poignets pour le punir d’avoir défendu la paix au Vietnam, retentissait depuis toutes les fenêtres ouvertes après l’heure du couvre-feu, signe de ralliement d’un peuple qui n’en peut plus de l’absence de services publics tous privatisés et des inégalités d’un niveau incompatible avec toute vie sociale. Cette séquence chilienne des services de la CIA en Amérique du Sud avait initié le triomphe de la théorie néo-libérale de Milton Friedman et le reflux mondial des mouvements qui revendiquaient la propriété collective des moyens de production déjà fortement socialisés. Les morts du stade de Santiago du Chili sont venus contaminer le mode de répression des militants partout dans le monde, jusqu’au Maroc où les opposants pouvaient connaître comme sépulture l’Océan Atlantique dans lequel s’engloutissaient des corps jetés depuis des hélicoptères, les pieds entravés et alourdis de kilos de béton comme viatique pour atteindre les fonds marins. La tradition de la répression s’est perpétuée mais avec une présentation moins sauvage. De lourdes peines de prison ont sanctionné la participation de quelques activistes au formidable Hirak du Rif en 2016-2017. Des centaines de milliers de Marocains étaient sortis dire leur refus de la tyrannie et de la corruption après le broyage d’un poissonnier dans une benne à ordure française à Al Hoceima.
Les plus vivants parmi nous sont enferrés dans des cachots et privés de soleil.
Tu en fais partie.
Tu entames en cette fin d’octobre ta trente-sixième année de détention et c’est en ton honneur que fut réinventée en France la prison à perpétuité puisque tu es libérable depuis maintenant vingt ans et que les montagnes du Liban et leurs cèdres se languissent de ta présence. Nous savons que tu es un prisonnier politique, le plus anciennement détenu en Europe, en dépôt dans une prison française pour le compte des Usa et d’Israël. Tu représentes une mesure indirecte précise de l’assujettissement d’une République française aveulie qui a renoncé à toute souveraineté et confond depuis trop longtemps le judiciaire, le législatif et l’exécutif – si tant est qu’une réelle séparation des pouvoirs, jamais populaires- eusse eu une quelconque réalité.
Tu n’es pas seul à nourrir les appétits de vengeance de la barbarie étasunienne et sioniste en Europe. Tu as été rejoint par un autre ‘extra-européen’, australien d’origine, qui s’est rendu célèbre et divulguant les infâmes exactions de l’armée d’occupation en Irak après l’invasion de 2003.
Julian Assange, un informaticien talentueux, a appartenu dans sa jeunesse à un réseau de cypherpunksqui élaborait des techniques de chiffrement susceptibles de permettre aux individus d’échapper à la surveillance des Etats sur internet. Il n’est pas de la mouvance anarchiste et n’a jamais eu d’affinité pour le communisme qu’il semble confondre et résumer à un autoritarisme stalinien. Il avait revendiqué sa proximité idéologique avec le libéralisme économique. La démarche qui l’a motivé pour se lancer dans l’aventure ‘Wikileaks ‘ se fonde sur l’idée de défendre le citoyen de l’intrusion de l’Etat, d’œuvrer pour rendre moins asymétrique la diffusion (et surtout la rétention) d’informations. Sa conviction politique était circonscrite à la croyance assez naïve que l’outil mathématique maîtrisé appliqué à internet dispensait à l’individu une liberté inaliénable qu’aucun gouvernement ne peut spolier ni restreindre.
Assange ne s’inscrit dans aucune filiation de lutte comme la tienne qui a compris les soubassements matériels, sociologiques, institutionnels et idéologiques qui déterminent nos vies. La mouvance informe qui est parfois désignée par ‘Dissidence éclairée’ avait accueilli au début les documents fuités par Wikileaks de manière assez suspicieuse. Elle avait expérimenté dans sa chair les psy-ops, les attentats menés sous faux drapeaux et les informations opportunément distillées en vue de manipulations par les agences de renseignements. Il avait été remarqué par exemple qu’Israël n’en a jamais été la cible. Des rumeurs qu’une officine de l’Open Foundationde Georges Soros apportait un soutien et offrait un financement à Wikileaks avaient circulé de manière prégnante. Oui, mon cher Georges, ces décennies ont développé chez les militants ‘anti-système’ une tendance paranoïaque, une méfiance plus aiguisée salutaire certes mais aussi paralysante. En réalité, en dehors de la rémunération de ses contributeurs, un site web qui publie ce type de documents peut fonctionner avec moins de 100 dollars par mois. Les 391 831 documents qui relatent les horreurs pratiquées par l’armée américaine en Irak, tortures, exécutions injustifiées de civils, comportements inappropriés des soldats qui furent livrés au public en 2010 ont fini par dissiper cette réserve. Il y eut ensuite en 2012 la livraison de 250 000 câbles diplomatiques, de comptes-rendus élaborés par les ambassades étasuniennes qui témoignaient d’une grande médiocrité d’observation de la part de leurs rédacteurs. Puis des documents classés secret-défense auxquels a eu sans doute accès l‘analyste de l’armée Bradley Meaning devenu depuis Chelsea Meaning grâce à une clé informatique fournie par Assange. Il devenait urgent pour l’Etat fédéral des Usa mettre fin à cette hémorragie qui gêne leur renseignement et le secret de leur politique.
Tout ce travail de dénonciation dangereux pour ses acteurs n’a pas changé fondamentalement l’ordre des choses. (*) L’opinion fut saisie d’indignation le temps que d’autre sujets préparés par les scénaristes dûment payés des médias mainstream lui servent d’autres épisodes, d’autres émotions, support de divertissement et de division.
Julian Assange conscient d’être poursuivi par la vindicte étasunienne est allé en Suède donner une conférence en août 2010 et demander l’asile politique, ce pays n’ayant pas de convention d’extradition vers des pays en dehors de l’Union européenne. Non seulement il n’a obtenu aucune protection, mais un piège grossier s’est refermé sur lui.
Une jeune femme qui l’avait invité à partager sa couche l’a accusé d’un rapport non consenti (pendant qu’elle dormait), de viol donc. La plaignante, Anna Ardin traîne une réputation de gauchiste, elle a travaillé dans un groupe de femmes anticastriste qui recevait des fonds du gouvernement US et était soutenu par un agent de la CIA, terroriste et assassin notoire.Après avoir fait une fête en l’honneur de son violeur, elle donne des versions contradictoires à la police du crime pour finir par admettre que le rapport fut consenti mais qu’il se serait achevé sans préservatif. Voilà l’étrange charge accusatoire contre l’homme qui a fait connaître au monde la manière dont se déroulent les guerres frauduleuses de l’Occident contre l’Afghanistan et l’Irak. Il s’est trouvé un procureur dans la grande démocratie suédoise pour déclarer recevables de telles balivernes. Mon cher Georges, tu es certainement choqué de t’apercevoir combien le féminisme s’est dévoyé et a dégénéré et combien les préoccupations sociétales sont venues se substituer aux contradictions profondes du capitalisme.
Sous le coup d’un mandat d’arrêt européen lancé par la Suède en novembre 2010, il se livre à la police du Royaume-Uni début décembre puis est assigné à résidence. En 2011, un tribunal à Londres valide puis confirme l’extradition pour la Suède. Il épuise tous les recours pour éviter l’extradition en Suède qui signifie en réalité une livraison aux Usa ce qui équivaut à une mort certaine et finit par se réfugier dans l’ambassade d’Equateur en juin 2012. Un groupe de travail de l’ONU a très tôt déclaré qu’Assange est victime d’une détention arbitraire mais cet avis n’est pas contraignant. La Suède classe sans suite en 2017 l’enquête pour viol sans le disculper. Le Royaume Uni déclare qu’il poursuivra pour non respect des conditions de la liberté sous caution. Le nouveau Président à la tête de l’Equateur élu en 2017 est beaucoup moins bienveillant à l’égard du réfugié, il adopte une politique économique néolibérale avec restriction budgétaire conforme aux vœux du FMI auprès duquel il sollicite un prêt. Déjà en situation de confinement dans une chambre, sa situation se durcit, il a moins de liberté pour communiquer avec l’extérieur tout en subissant une surveillance étroite de son courrier, de son courriel et de ses appels téléphoniques.
Julian Assange se fait arrêter en avril 2019 par la police britannique à l’ambassade d’Equateur, ce qui constitue un déni grave du droit l’asile signé par la plupart des Etats de la part des deux gouvernements, britannique et équatorien. Un homme est saisi depuis un espace garanti par l’immunité diplomatique pour non respect des conditions de liberté sous caution pour un mandat d’arrêt suspendu depuis 2017, lui-même structuré autour d’une plainte surréaliste, un bijou de fabrication maladroite pour faire tomber l’animateur de Wikileaks. L’opinion publique ne s’est pas soulevée à l’annonce de cette arrestation illégale et abracadabrantesque car elle a été travaillée en amont et perçoit Assange non pour ce qu’il est, un homme traqué par la machinerie judiciaire capitaliste et impérialiste sans limitation de frontière pour ses ramifications mais comme un violeur.
Assange aurait pu continuer à moisir dans sa petite chambre à l’ambassade, épié et condamné à une mort lente. La divulgation de la messagerie de la Convention démocrate étasunienne a relancé un processus. Assange avait mis en évidence que la CIA pouvait trafiquer les circuits empruntés par des messages transitant par internet et simulant leur provenance, fabriquer ainsi des opérations électroniques ‘sous faux drapeaux’.
Le verdict de 50 semaines de prison pour un délit formel de surcroît dans une prison de haute sécurité réservée aux criminels dangereux est tombé, avec l’examen de la demande d’extradition de la part des Usa en cours. Ses visiteurs, quand ils parviennent à le voir, témoignent tous de son aspect émacié et de l’évidence de la torture psychologique qu’on lui inflige, liée au moins à l’isolement dont il n’est tiré qu’une heure par jour. Assange ne peut compter sur sa famille et encore moins sur sa défense, sans doute recevant des subsides de ses adversaires. Son avocate Jennifer Robinson avait forgé ses armes en offrant une assistance juridique bénévole ‘droitdelhommiste’ aux activistes du mouvement séparatiste de la Papouasie occidentale en Indonésie. Lors de la dernière comparution de Julian devant une juge britannique que l’aberration de la détention de la grande figure de Wikileaks ne perturbe pas, pour examen de la demande d’octroi d’un délai raisonnable pour le dossier de l’extradition, Robinson n’a pas osé remettre en question les conditions inhumaines de son emprisonnement. L’état de destruction de l’homme est avancé au point qu’il a eu du mal à dire sa date de naissance et d’énoncer son nom sans hésiter.
Comme pour toi, lors de ton procès en 1984 où ton avocat a reconnu avoir été quelques mois au service des renseignements français, la Défense d’Assange semble assurée par des traîtres à sa cause, plus ou moins appointés par une officine ou l’autre de Soros.
L’ex-directeur de la DST en fonction à l’époque de ton procès, Yves Bonnet, a admis que ton procès a été bidonné, que tu es victime d’une vengeance d’Etats et qu’il serait temps que la France retrouve un peu de son honneur en te permettant de retourner chez toi.
Le traitement d’Assange risque de le conduire à la mort avant même d’arriver aux Usa. Les techniques de torture psychologique occidentale sont en constante évolution et en perfectionnement. On a vu cela sur les milliers d’Irakiens enfermés dans des camps et travaillés pour devenir la chair à canon pour les mercenaires de la CIA, les innombrables groupuscules ‘islamistes’ qui devaient fragmenter la Syrie et l’Irak en perpétuant une guerre civile sans fin.
Cher Georges, tu sais comme moi que ta libération ne peut plus être si lointaine. L’heure de l’hégémonie étasunienne arrive à sa fin, son système économique construit sur une dette de plus en plus monstrueuse vit ses derniers moments car il est en train de sombrer sous le dynamisme industriel et commercial asiatique. Les classes populaires des Etats occidentaux et de leurs vassaux se soulèvent et réclament que soit mis fin aux privilèges, à l’exploitation, aux guerres, aux mensonges médiatiques. Algérie, Liban, France, Chili, Porto Rico, Haïti, les points chauds se multiplient. Il convient seulement de prendre garde au risque inévitable de la prise en main de révolte par les habituels agents des révolutions colorées.
A bientôt autour d’un café à Beyrouth ou d’un thé à la menthe à Alger ou Rabat.
(*) Une grande audience fut donnée aux révélations de Wikileaks à partir de juillet 2010 quand de grands journaux Comme le New York Times, the Guardian, Le Monde, El Pais et Der spiegel les ont relayées et rendues plus accessibles au public.