Lettre à l’Immonde

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Lettre à l’Immonde

14 mars 2021 – Quelle drôle d’idée d’écrire une lettre à un ectoplasme, car telle est bien la nature d’un Secrétaire Général de l’OTAN, surtout depuis 1999, passées les frasques barbares et infâmantes autant qu’illégales de la Guerre du Kosovo. Pour mon compte, on se souvient à peu près de leur nom et de leur personnalité plus ou moins subreptice jusqu’à Solana, parti en octobre 1999, son forfait accompli (le Kosovo), avec l’intérimaire d’un Britt comme d’habitude aussi arrogant qu’intransigeant (Robertson, 1999-2003), avant d’entrer dans les brumes des pays nordiques. Dès lors, “l’Infâme”, – pardon, “l’Immonde”, – est devenu presqu’invisible, transparent, propre sur lui et sans trop de bruit, – disons “à-bas-bruit” pour faire comme tout le monde. Actuellement, c’est Jens Stoltenberg, aussi sexy qu’une endive au soleil de minuit (Norvège), et il veut révolutionner l’OTAN pour 2030. C’est donc à lui qu’est adressée la lettre.

Après tout, non, c’est une assez bonne idée, une lettre à un ectoplasme... Je veux dire qu’elle offre un bon résumé, et même un exposé implacable de l’infamie qu’est l’OTAN, des infamies qu’a commises l’OTAN, disons depuis 1989-1991. Sauf ceci tout de même, qu’on ignore (c’est mon cas) si une “lettre ouverte” exige une réponse circonstanciée du destinataire, selon le protocole en vigueur au sein du bloc-BAO et en son centre de haute conscience qu’est l’OTAN. Ce serait sûrement jouissif de lire la réponse de la chose, du type “Je vous remercie mon Général, j’ai bien reçu votre courrier très intéressant”, et in French en plus.

... Il faut dire, la “lettre ouverte” du Général de Brigade aérienne (2S) Grégoire Diamantidis n’est pas piquée des vers ; d’autant qu’elle est adressée au nom du Cercle de Réflexion Interarmées qui compte un certain nombre d’autres étoiles parmi ses membres. (Un appel de notes nous renvoie en-dessous du texte où les précisions nécessaires nous sont données.) On y trouve un réquisitoire sans rien laisser de côté, y compris leur folie antirusse.

Au-delà de tout ça, non, c’est encore plus une bonne idée que cette lettre à l’ectoplasme, que le récit ainsi offert, précis et sans ambages inutiles, ait éveillé dans ma mémoire des fièvres de colère que je croyais éteintes, devant, justement, tant d’infamies étalées sans vergogne. L’aventure de l’OTAN depuis 1989-1991 est une prodigieuse épopée en forme d’avalanche d’ordures comme dans les décharges, cascade de tromperies, de fausses promesses, de simulacres et de mensonges, d’alibis pour s’abaisser, de vilenies serviles pour toutes les saisons, bref de l’étalage d’un bombastique maquereautage (le mot existe, et il a son charme en plus d’être hyper-réaliste pour mon goût), – dans le décor d’un vieux port puant le trafic, qui sent le graillon et le mazout, et la combine à deux balles. Là-dessus prolifèrent l’UE, l’occupant-ricain, les gargouillis des droits de l’homme, le marigot du déchaînement d’une maniaco-dépression au temps des EPAD. Comment pouvons-nous supporter cela sans nous boucher le nez et nous laver les paluches, gestes-barrières et érotisme sanitaire ? L’OTAN est notre nef des fous qui tourne en rond, en faisant des ronds-carrés dans l’eau.

Je vous dirais que j’ai connu l’OTAN du temps de sa splendeur presque légitime, lorsqu’elle avait une raison d’être à peu près acceptable. J’ai même connu un SecGen farceur et amusant, du temps où les Hollandais ne se prenaient pas trop au sérieux : le considérable Joseph Luns (SecGen recordman de durée, de 1971 à 1984, et encore né Joseph Marie Antoine Hubert Luns, ce qui est à mourir de rire) ; Luns, avec son gabarit de troisième ligne centre qui tient la boutique et toujours prompt à faire le ménage à la manière Springbok.

(Le n°8, l’homme qui tient la mêlée, comme Crauste en 1959-60 dans l’équipe de France et en face, chez les Springboks héritiers des Boers eux aussi de pure et dure racine hollandaise, un n°8 de légende, – je me souviens bien mal de son nom [peut-être Hopwood ? Je ne sais plus] et par contre tout à fait de son fabuleux surnom dont vous imaginez l’usage : “l’essuie-glace humain”.)

Luns était un rigolard, il racontait des blagues aux journalistes, il tapait dans le dos des ministres, il parlait d’une voix terrible de “la Menace” (le Groupe des Forces Soviétiques en Allemagne, prêt à bondir dans la trouée de Fulda) ; puis là-dessus, vous envoyant un clin d’œil rigolard qui en disait des tonnes. Lors d’une interview dans les formes, en 1979-1980 je crois, on avait parlé de la panique-OTAN en cours à propos d’un monstre-sous-marin soviétique, le Typhoon qui déplaçait autour de 15 000 tonnes ; à ma question, il avait répondu quelque chose comme “Oh, vous savez, on s’affole vite, les Soviétiques ils font de très grosses choses mais c’est pas sûr que ça serve à grand’chose, ni que ça marche bien” ; il détonnait par rapport au discours politiquement-correct. A cette époque, l’OTAN avait de l’allure et Kissinger, en arrivant au Conseil, retrouvait son pote Michel Jobert à qui il racontait des blagues gaillardes avant de l’affronter avec un cynisme incroyable en séance.

Un témoin assistant aux séances de 1973-1974, un ami très cher qui nous a quittés, me disait :
«Kissinger était là, avachi, en train de se curer l’oreille droite avec un crayon qu’il tortillait avec entrain avant de la sucer, après avoir proféré une brutalité inacceptable pour les Européens – Kissinger était d’une grossièreté que vous n’imaginez pas dans ces réunions, bien dans le style des Américains, en pire si c’est possible – et pourtant, il avait une certaine estime pour Jobert, et une certaine crainte de lui… Un seul homme pouvait lui répondre et devait lui répondre et c’était Jobert, de plein droit et avec la justice et la dignité de son côté, simplement parce qu’il représentait la France. Et Jobert le savait bien, lui qui avait l’esprit clair à ce propos, et lui qui avait le don et l’habitude des interventions lumineuses de précision et d’ironie cinglante lorsqu’il fallait entamer une attaque. Eh bien, dans ce moment qui s’apparente aux instants décisifs où il faut terrasser l’adversaire, il n’a rien dit, il n’a pas répondu. Il semblait alors impuissant et presque effarouché, et un peu amer, ou plutôt doux-amer, comme s’il disait: “à quoi bon?” C’était tout Jobert.  »

(La dernière fois que j’ai vu Luns, je ne venais plus à l’OTAN qu’en marginal, bénéficiant des derniers feux de ma carte d’accréditions et complètement indifférent à son renouvellement que je ne demanderais jamais, puisque c’eût été pour avoir accès à ce qui était devenu un souk où se bousculaient des fripiers et des trafiquants déguisés en ministres des pays de notre grand-Est parlant bachi-bouzouk et Globish, avec une Amérique tombée au rang de République super-bananière ; je l’avais reconnu, il était vieilli Luns, presque timide, transformé, et personne ne le reconnaissait plus. Je l’avais vu dans la bibliothèque de l’OTAN où il feuilletait mélancoliquement les salades de la semaine ; bien sûr il ne me reconnut pas, il en avait tant vu. Il s’ennuyait, il était triste, il était vieux et personne n’avait entendu parler de lui. Je me suis dit que le temps est impitoyable et j’éprouvai, à distance et incognito, une sympathie chaleureuse pour lui.)

Je me rends mieux compte aujourd’hui combien cette OTAN-là avait de l’allure et du tempérament, sur le terreau accepté de l’imposture, comme la Cosa Nostra des capi du type Luciano-Costello brille par certains feux d’une entreprise structurée et bien en place par rapport aux bandes de banlieues et cartels de frontières maquillés en “États de Droit”, trafiquant la drogue, les putes et les organes humains comme bêtes sauvages barbares à figure inhumaine d’aujourd’hui, les sans foi ni loi, au milieu des fonctionnaires-zombies, cravatés et absolument vides, planifiant les missiles et les drones qui massacrent les cérémonies de mariage identifiant avec précision une réunion de terroristes manipulé par les Russes... Sommes au temps des Guaido, des Navalny, des invectives antirusses et des insultes antichinoises, des escroqueries internationales, des droits bafoués parce qu’ignorés, des consignes jappées par des irresponsables sans en rien y croire et en rien savoir une seule seconde, et l’OTAN y baignant avec componction et illusion devant son faux-miroir sans tain ni perlimpinpin. La barbarie en servilité empressée, en droits de l’homme fiévreux, en LGTBQ proclamés, en transgenres porté comme en sautoir,  tous ces mots dits sans un mot, sans le moindre soupçon de conviction, sans rien du tout, littéralement comme l’on fait ses besoins par temps de constipation.

Enfin, c’est cela : l’OTAN d’aujourd’hui, navrante et grossière Tour de Babel, est une forfaiture permanente par rapport même à ce qu’elle était hier, où l’escroquerie se paraît des allures de la civilisation en danger et, malgré tout, qu’on le veuille ou non, qu’on y croit ou pas , d’une certaine autonomie de ses membres, presque de la dignité par instants, – je vous le dis parce que j’ai connu cela. Toute son histoire, depuis 1989-1991, avec les horribles péripéties yougoslaves et kosovares, puis les diverses pitreries corruptrices de l’expansion à l’Est, cette installation satisfaite dans le simulacre de boutiquier du bazar de Stamboul, toute son histoire est le récit terrifiant et, je le dis d’un point de vue proche de la nausée, le récit absolument puant de bêtise et de la servitude as usual de la décadence satisfaite et de la chute dont on plaisante sans y rien comprendre, absolument rien, en l’aimant, en la proclamant ! La bêtise vous dis-je, aveugle, méchante, hargneuse, satisfaite d’elle-même, et plus encore, comme dit Taguieff, la « bêtise prétentieuse, arrogante, sophistiquée ».

Qu’on ait voulu sanctionner comme on décore cette horreur-bouffe par cette bouffonnerie incroyable de l’OTAN-2030 n’a rien pour étonner. Plus rien n’arrête les agioteurs, les aigrefins et les fripouilles, maintenant que s’est réinstallée la lourde et gluante tyrannie du Système, avec sa marionnette qui remplit les cartels de joie. Non seulement l’OTAN-2030 est une déjection infâme, une “petite commission” de “l’Immonde”, c’est aussi le sommet dystopique, la cathédrale construite comme une tour luxueuse de Doha mais en carton-pâte à la gloire de la bêtise postmoderne. Si on la laisse faire, bien entendu elle nous emmènera dans sa danse sabbatique des pires catastrophes. Il n’y a plus qu’à prier pour que le Système s’effondre avant, car il n’y aura bien sûr personne, dans le pullulement de ses innombrables membres, pour dire “non” à un projet qui ne nécessite même plus que tout le monde dise “oui” ; mais bien entendu qu’ils s’effondreront avant, ces pauvres hères sans racine, sans passé, sans souveraineté de personne.

Bref, cette “lettre ouverte” dont j’attends avec impatience la réponse de l’ectoplasme, est au moins une manière de nous mettre à niveau pour comprendre ce qui se trame, production du complot permanent qu’est devenu l’OTAN, archétype du complotisme à ciel ouvert, sans vergogne, sans pudeur ni répugnance de soi, comme le crayon dans l’oreille de Kissinger à sucer abondamment ensuite...

J’ai raccourci un peu le titre « OTAN 2030 : “Il faut stopper ce train fou avant qu’il ne soit trop tard!” ». Le texte a paru dans Capital.fr, le 11 mars 2021, avec ce Chapô : « Dans une lettre ouverte à Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, plusieurs haut gradés de l’Armée regroupés au sein du Cercle de Réflexion Interarmées s’insurgent contre le projet OTAN 2030 qui affaiblit la souveraineté de la France selon eux. Nous la reproduisons ici. »

 

PhG

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« Il faut stopper ce train fou... ! »

Le jeudi 18 février 2021 l’étude "OTAN 2030", produite à votre demande, vous a été présentée. Elle indique ce que doivent être les missions de l’OTAN pour les dix prochaines années. D’entrée, il apparaît que toute l’orientation de l’OTAN repose sur le paradigme d’une double menace, l’une russe, présentée comme à l’œuvre aujourd’hui, l’autre chinoise, potentielle et à venir. Deux lignes de force majeures se dégagent de cette étude.

La première, c’est l’embrigadement des Européens contre une entreprise de domination planétaire de la Chine, en échange de la protection américaine de l’Europe contre la menace russe qui pèserait sur elle.

La deuxième, c’est le contournement de la règle du consensus, de plusieurs manières: opérations en coalitions de volontaires; mise en oeuvre des décisions ne requérant plus de consensus; et surtout la délégation d’autorité au SACEUR (Commandant Suprême des Forces Allièes en Europe, officier général américain) au motif de l’efficacité et de l’accélération de la prise de décision.

Mais la lecture de ce projet «OTAN 2030» fait clairement ressortir un monument de paisible mauvaise foi, de tranquille désinformation et d'instrumentalisation de cette "menace Russe", «menace» patiemment créée puis entretenue, de façon à «mettre au pas» les alliés européens derrière les États-Unis, en vue de la lutte qui s'annonce avec la Chine pour l’hégémonie mondiale.

C’est pourquoi, Monsieur le Secrétaire général, avant toute autre considération sur l’avenir tel qu’il est proposé dans le projet OTAN 2030, il est important de faire le point sur les causes et la réalité de cette menace russe, par les quelques rappels historiques ci-dessous.

En effet, l’histoire ne commence pas en 2014, et c’est faire preuve d'une inébranlable mauvaise foi historique concernant les relations euro et américano-russes, que de passer en une seule phrase (au tout début du paragraphe "Russie") directement du "partenariat constructif" lancé par l'Otan au début des années 90 à l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, comme s’il ne s’était rien passé entre 1991 et 2014, entre « la gentille Russie » de l’époque, et le méchant «Ours russe» d’aujourd’hui.

C’est bien l’OTAN qui, dès les années 1990, s’est lancée à marche forcée dans son élargissement vers l’est, certes à la demande des pays concernés, mais malgré les assurances données à la Russie en 1991 lors de la signature du traité de Moscou (2), et qui d’année en année a rapproché ses armées des frontières de la Russie, profitant de la décomposition de l’ex URSS.

C’est bien l’OTAN qui , sans aucun mandat de l’ONU, a bombardé la Serbie (3) pendant 78 jours, avec plus de 58 000 sorties aériennes, et ceci sur la base d’une vaste opération de manipulation et d’intoxication de certains services secrets de membres importants de l’Alliance, (le prétendu plan serbe « Potkova » et l’affaire de Racak ), initiant ainsi, contre toute légitimité internationale, la création d’un Kosovo indépendant en arrachant une partie de son territoire à un état souverain, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, humiliant ainsi la Russie à travers son allié serbe.

Ce principe serait-il à géométrie variable, lorsqu’il s’agit de la Crimée composée à plus de 90% de Russes, et rejoignant la Russie sans un coup de feu?

C’est bien l’OTAN qui en 2008, forte de sa dynamique «conquête de l’est», refusa la main tendue par la Russie pour un nouveau « Pacte de sécurité européen » qui visait à régler les conflits non résolus à l’est de l’Europe (Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du Sud), en échange d’une certaine neutralité de la Géorgie, de l’Ukraine, de la Moldavie - c’est à dire de l’immédiat « hinterland » russe - vis-à-vis de l’OTAN.

Et c’est toujours avec ce même esprit conquérant, perçu comme un réel étranglement par la Russie, qu’il a été choisi, en 2010, d’encourager les graves troubles de l’« Euromaïdan », véritable coup d’état qui a abouti à l’élimination du président ukrainien légalement élu,  jugé trop pro-russe, en vue de continuer la politique de rapprochement de l’Ukraine avec l’OTAN.

On connaît la suite, avec les sécessions de la Crimée et du Donbass.

C’est bien l’OTAN qui au début des années 2000, après avoir associé la Russie à une défense anti-missiles de théâtre censée « protéger les États-Unis et ses alliés, dont la Russie » , d'une attaque de missiles tirés par des «États voyous» , notamment l'Iran et la Corée du Nord (sic), transforma de facto en 2010 lors du sommet de Lisbonne, ce système en une architecture globale de défense antimissile balistique en Europe (BMDE), non plus de théâtre, mais en un véritable bouclier tourné cette fois-ci contre la Russie et non pas la protégeant.

C’est encore l’OTAN qui donna l’assurance à la Russie que les sites de lancement des missiles antimissiles balistiques (ABM) ainsi déployés devant sa porte ne pourraient jamais être retournés en sites offensifs contre son territoire tout proche, « oubliant de préciser » qu’en réalité ces lanceurs (MK 41) de missiles ABM pouvaient tout aussi bien servir à tirer des missiles offensifs Tomahawk contre son territoire (nucléaires ou conventionnels de portées supérieures à 2000 km selon les versions) en contradiction flagrante avec le traité INF toujours en vigueur à l’époque de leur déploiement; on dépassait là, et de loin la question de savoir si le 9M729 russe portait à 480 km ou à 520 !

La menace potentielle ainsi exercée sur la capacité de frappe en second de la Russie, base de sa dissuasion nucléaire, a sérieusement remis en cause l’équilibre stratégique américano-russe , poussant alors la Russie à suspendre toute coopération au sein du COR (Conseil OTAN-Russie) fin 2013, donc dès avant l’affaire de la Crimée de 2014,  laquelle sera ensuite utilisée par l’OTAN pour justifier – a posteriori – la protection BMDE de l’Europe face à la nouvelle « menace russe » !

Alors oui, Monsieur le Secrétaire général, au terme de ces vingt années d’efforts soutenus de la part de l’OTAN pour recréer « l’ennemi russe», indispensable à la survie d’une organisation théoriquement purement défensive, oui, la Russie a fini par se raidir, et par chercher à l’Est la coopération que l’Ouest lui refusait.

L’entreprise de séparation de la Russie d’avec l’Europe, patiemment menée au fil des années, par vos prédécesseurs et par vous-même sous l’autorité constante des États-Unis, est aujourd’hui en bonne voie, puisque la Russie, enfin redevenue « la menace russe » , justifie les exercices les plus provocateurs comme Defender 2020 reporté à 2021, de plus en plus proches de ses frontières, de même que les nouveaux concepts d’emploi mini-nucléaires les plus fous sur le théâtre européen sous l’autorité de…l’allié américain qui seul en possède la clef.

Mais non, Monsieur le Secrétaire général, aujourd’hui, et malgré tous vos efforts, la Russie avec son budget militaire de 70 Md€ (à peine le double de celui de la France), ne constitue pas une menace pour l’OTAN avec ses 1000 Md€ , dont 250 pour l’ensemble des pays européens de l’Alliance! Mais là n’est pas votre souci car ce qui est visé désormais à travers ce nouveau concept OTAN 2030, est un projet beaucoup plus vaste: à savoir impliquer l’Alliance atlantique dans la lutte pour l’hégémonie mondiale qui s’annonce entre la Chine et les États-Unis.

La vraie menace, elle réelle, est celle du terrorisme. L’étude y consacre bien un développement, mais sans jamais se départir du mot « terrorisme », ni en caractériser les sources, les ressorts, les fondements idéologiques et politiques.

Autrement dit, on n’aurait comme menace, en l’occurrence, qu’un mode d’action, puisque telle est la nature du « terrorisme ». On élude donc une réalité dérangeante, celle de l’islamisme radical et de son messianisme qui n’a rien à envier à celui du communisme d’antan. Le problème est que ce même messianisme est alimenté par l’immense chaos généré par les initiatives américaines post Guerre Froide , et qu’il est même porté au plan idéologique tant par la Turquie d’Erdogan, membre de l’Otan, que par l’Arabie Saoudite, allié indéfectible des États-Unis.

Comme on pouvait s’y attendre, il apparaît dès les premières lignes que ce document n'augure rien de bon pour l’indépendance stratégique de l’Europe, son but étant clairement de reprendre en mains les alliés européens qui auraient seulement pu imaginer avoir une once d'un début d'éveil à une autonomie européenne.

Ce n’est pas tout, car non seulement vous projetez de transformer l’OTAN, initialement alliance défensive bâtie pour protéger l’Europe face à un ennemi qui n’existe plus, en une alliance offensive contre un ennemi qui n’existe pas pour l’Europe, (même si nous ne sommes pas dupes des ambitions territoriales de la Chine, de l’impact de sa puissance économique et du caractère totalitaire de son régime) , mais ce rapport va plus loin, carrément vers une organisation à vocation politique mondiale, ayant barre sur toute autre organisation internationale.

Ainsi, selon ce rapport:

-  L’OTAN devrait instaurer une pratique de concertation entre Alliés avant les réunions d'autres organisations internationales (ONU, G20, etc..) , ce qui signifie en clair « venir prendre les instructions la veille» pour les imposer le lendemain massivement en plénière !

- L'OTAN doit avoir une forte dimension politique, qui soit à la mesure de son adaptation militaire. L’Organisation devrait envisager de renforcer les pouvoirs délégués au secrétaire général, pour que celui-ci puisse prendre des décisions concrètes concernant le personnel et certaines questions budgétaires.

- L’OTAN devrait créer, au sein des structures existantes de l’Alliance, un mécanisme plus structuré pour la formation de coalitions. L'objectif serait que les Alliés puissent placer de nouvelles opérations sous la bannière OTAN même si tous ne souhaitaient pas participer à une éventuelle mission.

- L’OTAN devrait réfléchir à l’opportunité de faire en sorte que le blocage d’un dossier par un unique pays ne soit possible qu’au niveau ministériel.

- L’OTAN devrait approfondir les consultations et la coopération avec les partenaires de l’Indo-Pacifique : l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la République de Corée,

- L’OTAN devrait commencer de réfléchir en interne, à la possibilité d’établir un partenariat avec l’Inde.

Monsieur le Secrétaire général,

C’est parce que cette organisation lorsqu’elle a perdu son ennemi, n’a eu de cesse que de se lancer à corps perdu dans la justification politique de la préservation de son outil militaire, en se reforgeant son nouvel ennemi russe, qu’elle tend aujourd’hui à devenir un danger pour l’Europe.

Car, non contente d’avoir fait manquer à l’Europe l’occasion d’une véritable paix durable souhaitée par tous, y compris par la Russie, l’OTAN animée du seul souci de sa survie, et de sa justification par son extension, n’a fait que provoquer un vaste réarmement de part et d’autre des frontières de la Russie , de la Baltique à la Mer Noire, mettant en danger la paix dans cette Europe, qu’elle ne considère plus désormais que comme son futur champ de bataille,

Et maintenant, à travers ce document OTAN 2030, et contre la logique la plus élémentaire qui veut que ce soit la mission qui justifie l’outil et non l’inverse - les Romains ne disaient-ils pas déjà « Cedant arma togae » ? - vous voudriez, pour l’avenir, justifier l’outil militaire de cette alliance en le transformant en un instrument politique, incontournable, de gestion de vastes coalitions internationales, au profit d’une véritable gouvernance planétaire, allant même jusqu’à passer outre les décisions de l’ONU et écrasant les souverainetés nationales!

Alors non, Monsieur le Secrétaire général! Il faut stopper ce train fou, avant qu’il ne soit trop tard! La France, quant à elle, dans le droit fil des principes énoncés voici plus d’un demi-siècle par le général de Gaulle, ne saurait, sans faillir gravement, se prêter à cette entreprise d’une acceptation aventureuse de la tutelle américaine sur l’Europe.

Pour le Cercle de Réflexion Interarmées (4)

Général de Brigade aérienne (2S) Grégoire Diamantidis

 

Notes

1- Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, structure militaire de l’Alliance Atlantique.

2- Traité de Moscou: ou « traité deux plus quatre », signé le 12 septembre 1990 à Moscou, entre les représentants des deux Allemagnes et ceux des quatre puissances alliées de la Seconde Guerre Mondiale, est le «traité portant règlement définitif concernant l’Allemagne» qui a ouvert la voie à la réunification allemande et fixé le statut international de l’Allemagne unie.

3-Opération «Force Alliée» . Cette opération, décidée par l’OTAN, après l’échec des négociations entre les indépendantistes kosovars et la Serbie sous l’égide de l’OSCE (Conférence de Rambouillet 6 février-19 mars 1999) , fut déclenchée sans mandat de l’ONU, le 24 mars sur la base d’une vaste campagne dans les médias occidentaux, concernant un plan d’épuration ethnique (plan Potkova) mené à grande échelle au Kosovo par la Serbie. Plan qui se révéla par la suite, avoir été fabriqué de toute pièce par les services secrets bulgares et allemands .

4- Le Cercle de Réflexion Interarmées (CRI), est un organisme indépendant des instances gouvernementales et de la hiérarchie militaire. Il regroupe des officiers généraux et supérieurs des trois armées ayant quitté le service et quelques civils et a pour objectif de mobiliser les énergies, afin de mieux se faire entendre des décideurs politiques, de l'opinion publique et contribuer ainsi à replacer l'Armée au cœur de la Nation dont elle est l'émanation.