Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
1257La loi récemment votée par la Douma et ratifiée par Poutine sur les ONG russes suscite, chez nombre de ces ONG, des attitudes que la qualification d’“hystérie” offerte par un député russe ne dépare pas. On connaît le dossier (voir, par exemple, le 12 juillet 2012), mais voici un prolongement notablement significatif. Il consiste en cette démarche extraordinaire de deux dirigeants de deux ONG russes célèbres, auprès du président des Etats-Unis, demandant à saint-BHO qu’il affirme par retour du courrier que ses correspondants ne sont pas des “agents de l’étranger” (dito, des USA). La chose nous est rapporté par Russia Today, le 26 juillet 2012.
«On Wednesday, two leading Russian nongovernmental organizations (NGOs), Moscow Helsinki Group and the movement For Human Rights, asked American President Obama to explain whether or not they are US agents. The heads of the human rights organizations, Lyudmila Alekseyeva and Lev Ponomaryov, sent a letter to the American Embassy and requested it to be forwarded via diplomatic mail to Obama. “Our organizations operate almost entirely on grants from US foundations, including the National Endowment for Democracy (NED) which is financed by the US taxpayer. So under the new law, we will have to voluntarily become registered as ‘an NGO performing the functions of a foreign agent,’ in this particular instance, as an agent of the US which acts as the principal,” the letter reads, as cited by Interfax…»
La procédure est assez étrange, comme le fait remarquer le même député, parce que, une fois écartées les frêles convenances de l’apparence, elle semble prouver par le fait même ce qu’elle entend démentir. La chose est d’autant plus avérée que la lettre détaille effectivement les subsides que reçoivent les deux associations, qui sont tous d’origine US ; et d’autant plus avérée encore que l’une des deux personnes signataires, Lyudmila Alekseyeva, présidente du Groupe Moscou Helsinki, est une Russe qui a choisi la citoyenneté américaine.
«The law, approved by the parliament and signed by Russian President Putin earlier this month, comes into force in November this year. The reaction around the NGOs law is “hysterical,” senior member of United Russia, Andrey Isayev told RIA Novosti. “Not a single NGO has been banned from being financed from abroad. All that is required from them is openness and transparency. They should openly say that they get foreign money for political activities in Russia. Why not say so if it’s true?” Isayev noted.
»Now after Alekseyeva and Ponomaryov sent the letter to Obama, “everything is clear to our citizens,” he observed. “They have practically fulfilled the requirement of the law. They have publicly stated that they are foreign agents,” the MP stated. He also pointed out that Alekseyeva had obtained American citizenship “at a mature age” and taken the Pledge of Allegiance. “I’m deeply convinced that Lyudmila Alekseyeva is a very sincere and consistent person. If she swore that American interests are her priority – they certainly are her priority, including above Russian interests,” Isayev said.»
D’autres réactions de parlementaires russes, d’autres partis, sont données par Russia Today, certains estimant que cette lettre a comme but de donner aux deux signataires un document officiel (la réponse attendue du Père Noël) leur permettant d’argumenter devant un tribunal. Mais argumenter par rapport à quoi ? Comme l’observe Isayev, la loi désigne les “agents de l’étranger”, non comme des “espions”, mais comme des personnes rétribuées par l’étranger pour faire fonctionner leurs associations dont certaines ont comme principale tâche de faire acte d’opposition aux autorités officielles de Russie. Le cas est largement documenté par la lettre elle-même d’Alekseyeva et de Ponomaryov. Effectivement, comme le dit Isayev, même si BHO nous assure que ces personnes sont vertueuses et sincères, rien de nouveau ne sera affirmé puisque nul ne doute ni de leur vertu, ni de leur sincérité.
Cette affaire, à côté de la stratégie d’“agression douce” qu’elle implique sous la houlette de l’ambassadeur McFaul, fait intervenir une catégorie de personnes très particulière, que le journaliste Tim Kirby a déjà caractérisée dans un texte d’analyse politico-sociologique sur les catégories politiques en Russie, le 2 mars 2012 (Russia Today). Il s’agit des “Occidentalistes”, les activistes pro-occidentaux, et essentiellement pro-USA, qui se caractérisent en général par une sincérité et une naïveté qui ne semblent avoir de correspondance que dans l’admiration qu’ils vouent aux USA, et la détestation à mesure symétrique pour la Russie.
«Pro-Western: Frankly speaking, these Russians are not very Russian, they generally don’t like anything about their country and feel a great degree of inferiority to the West who represents for them the perfect model of how to live. You’d be amazed at how many people I’ve spoken to who would like the USA to attack/take control of Russia because “they would do a better job”.
»This philosophy is pro-globalization, consumer culture, usage of English in Russia, open borders, etc. In my own personal experience despite how highly this group of people value the West they know absolutely nothing about it. They think that the west has a higher standard of living (which is debatable) simply by its nature and not due to history, hard work, or the system on which it is founded. I spoke to a former Russian and now American who proudly said that the Constitution is “out-dated” which would be blasphemy to any natural-born American who understands what America is all about. This viewpoint is basically a skewed naive copy of Western Liberalism.»
Dans un autre article, en date du 24 juillet 2012, le même Kirby donne une approche intéressante de cette loi sur “les agents étrangers”, que certaines ONG russes (il y en a plus d'un millier) ont dénoncée, selon l’image extrêmement sexy et d’une confondante véracité qu’il s’agissait d’un traitement comparable à celui des juifs forcés de porter l’étoile jaune pendant la guerre. Cette loi constitue une reproduction pour la Russie de la loi US de 1938, dite Foreign Agents Registration Act (voir la page FARA, sur les sites du gouvernement fédéral US).
«These activists and organizations (whose job it is to spread American influence throughout Russia) love to say how awful and undemocratic Russia is, and how great it would be “if Russia could only be like America!” Well, these people obviously don't know much about their trade, because this bill is based on an American law that’s been in use from 1938! In fact, there is an entire government site dedicated to the Foreign Agents Registration Act. That’s right: The idea came from the good old USA. Hipsters rejoice, Russia just got a bit more American! You've heard me complain about how Russia is following the West into the grave, but if the West has some good ideas from a bygone era to increase national sovereignty then I'm all for it…»
Cette “hystérie” dénoncée par le député russe, en même temps que ce mélange de sincérité et de naïveté, et d’impudence par rapport aux obligations nationales et à l’influence étrangère dans son propre pays, sont la marque de cette population que Kirby baptise du mot “Occidentaliste”, qu’on peut très bien en effet accepter (référence à notre “Bloc américaniste-occidentaliste” [BAO], en admettant une certaine interchangeabilité des deux termes). Il s’agit d’une population rescapée de la “dissidence” antisoviétique et anticommuniste des années 1960-1990, mais dans une de ses composantes seulement. Cette “dissidence” était faite de trois populations activistes, particulièrement en URSS/Russie : les juifs ; les nationalistes russes dans le sens identitaire de traditionnalistes, “souverainistes” si l’on veut un terme plus activiste, souvent avec une dimension spirituelle orthodoxe (Soljenitsyne en est l’archétype) ; les libéraux, avant tout démocrates, chrétiens (démocrates chrétiens) ou pas, avec une tendance internationaliste et moderniste marquée. Les deux premières tendances se sont aussitôt reclassées et intégrées après la chute de l’URSS, les premiers avec une forte immigration en Israël, les seconds en URSS redevenue Russie, où ils ont trouvé naturellement leur place (voir le 23 avril 2012). La troisième tendance, qui avait fait de la démocratie, des droits de l'homme et de la globalisation l’essence de son combat, avec de puissants relais à l’Ouest (y compris des relais privés déjà très développés dès les dernières années 1970, notamment à Bruxelles), est restée dans le plus profond malaise, un malaise qui reflète parfaitement la crise du Système.
Comme les “libéraux” en général, y compris les “libéraux interventionnistes” dans le bloc BAO, ces “libéraux” russes sont aujourd’hui en pleine crise hypomaniaque, ou d’“hystérie”, devant les difficultés rencontrées par les projets qu’ils soutiennent. Pour eux, et d’ailleurs selon une logique héritée de la Guerre froide qui effaçaient les identités nationales au profit du concept de “Monde libre” si parfaitement représenté par les USA, l’identité et la souveraineté nationales n’ont plus guère de valeur. La cas de Lyudmila Alekseyeva, avec sa nationalité américaine récemment acquise, montre le peu de cas que fait ce groupe de la Russie, et de l’identité nationale en général ; bien entendu, cette attitude bénéficie aux USA, mais plus généralement, et de plus en plus, au Système lui-même, les USA étant eux-mêmes confrontés à cette “dénationalisation” et cette déstructuration de l’identité. Ces braves cœurs représentent donc le pire poison déstructurant du Système et leur “hystérie” est à la mesure de l’innocence naturelle qui les habite, puisque tout serviteur du Système est complètement dispensé de l’exercice des valeurs identitaires habituelles, telles que loyauté, responsabilité, etc., par rapport à sa nation d’origine ; “hystérie” qui traduit la stupéfaction ébahie qu’on puisse opposer à l’évidence déstructurante du Système quelque valeur structurante que ce soit.
Mis en ligne le 27 juillet 2012 à 16H42