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19 septembre 2005 — Chacun exprime sa colère, son désarroi, son mécontentement comme il peut. Il semble qu’à défaut de la rue ou du débat d’idées qui sont désormais interdits ou réservés, les urnes soient devenues l’arme favorite des peuples. Les hagiographes de la démocratie, partisans du marché libre et du capitalisme en tête, ne pourront que s’en féliciter puisqu’ils ne cessent de chanter l’hymne à la gloire de la démocratie et appliquent la recette jusqu’à faire pour elle des guerres préventives, voire préemptives.
Dans sa signification symbolique et sa dimension psychologique, — et ces dimensions sont essentielles aujourd’hui pour comprendre les choses, — le scrutin allemand du 18 septembre ressemble au scrutin français du 29 mai contre la Constitution européenne. Simplement, le destin, ou la vraie Histoire est habile et prend différents masques pour signifier l’évolution des choses qui comptent. Le scrutin du 18 septembre poursuit celui du 29 mai, non comme s’il suivait la logique politique de nos piètres dirigeants et analystes mais comme s’il suivait sa propre logique au gré d’événements qu’il choisit, et ainsi creusant une ligne de fracture qui s’élargirait en parcourant l’Europe des urnes (on disait avant : “l’Europe des peuples”). Il nous présente tous les signes d’un refus collectif, comme l’avait fait avant lui le scrutin du 29 mai. C’est une sorte d’Europe intéressante qui est en train de se constituer : l’Europe du refus.
Le scrutin allemand, par son résultat autobloquant et surtout par le désarroi psychologique qu’il instille chez nos dirigeants (comme le 29 mai avait fait avant lui), nous présente symboliquement une protestation collective, un refus de la politique comme business as usual quand le business as usual qu’on nous offre est celui qui aboutit à La Nouvelle Orléans. L’interprétation symbolique et psychologique pourrait voir dans le scrutin du 18 septembre, d’une façon extrêmement riche pour la réflexion, le refus de ce modèle précis dont l’application la plus achevée s’est abîmée dans les eaux puantes de la Nouvelle Orléans. (Il serait bon de tenter de voir si Katrina et ses suites ont eu une conséquence sur le choix de l’électeur allemand, compte tenu du lien qu’on peut établir entre les projets de Merkel et la réalité du modèle américain.)
Que Merkel ait perdu, en deux mois de pré-campagne et campagne, ses 20% et plus d’avance sur le SPD porte une signification symbolique plus qu’arithmétique (outre le constat que le projet universel de libéralisation n’a plus qu’à pêcher, en fait de direction, dans les marigots de la médiocrité, — à cet égard, Merkel semble bien valoir GW, ce qui montre que les proaméricains d’Europe ne doivent pas désespérer de voir jusqu’où se niche la capacité inspiratrice du modèle américain). Ils (les Murdoch, les médias, les élites, les milieux qui orientent le monde) avaient fait de Merkel une “libérale de choc”, ce qui était une façon de tenter de donner des couleurs aux joues de cette morne candidate à la fonction révolutionnaire de première chancelière de l’Allemagne démocratique et libéralisée. Avec le même esprit d’à-propos, ils ont fait du scrutin un référendum, — un 29 mai sur le sujet du modèle libéral. Ils nous prouvent une fois de plus qu’à vivre dans leur “deuxième monde” et à mépriser la réalité comme quelque chose de peu d’intérêt, on prend des risques considérables.
Tout cela ne met pas Schröder sur un piédestal, lui qui a d’ailleurs choisi une orientation néo-libérale à peine mâtinée de préoccupations sociales. Mais Schröder a montré qu’il est un redoutable cynique, qu’il a une capacité d’adaptation extraordinaire, qu’il peut transformer une politique décidée par strict opportunisme (son opposition à la guerre en Irak en août 2002, lors de la campagne électorale où il était perdant au départ) en une politique fondamentale qui rejoint un grand courant de résistance. La transition est toute trouvée : le deuxième aspect des élections d’hier, dans le champ symbolique mais aussi dans la réalité des consciences allemandes, c’est qu’elles ont consacré une rupture de l’Allemagne avec l’alliance inconditionnelle et aveugle de l’Amérique qui avait caractérisé ce pays jusqu’en 2002.
Le commentaire de l’écrivain et Prix Nobel Gunther Gräss, très proche du SPD, est significatif à cet égard. Sa charge sans surprise contre les néo-libéraux allemands (titre de son article dans le Guardian : « We must not be blackmailed by Merkel's neoliberal gang ») commence par une analyse de la politique extérieure allemande et de la rupture avec Washington, comme s’il s’agissait de la chose la plus importante de la deuxième législature Schröder, — et c’est à partir de cette analyse qu’il enchaîne sur la critique des projets néo-libéraux. La chronologie est instructive:
« As hard as it will be to achieve this result in the German elections, I none the less make the case for the Social Democrat and Green coalition to continue in government under the chancellor, Gerhard Schröder, and the foreign minister, Joschka Fischer. Both have the courage to undertake difficult reforms; both have demonstrated responsible behaviour in the face of crises.
» Let us recall: four years ago the attack on the World Trade Centre shook America — and Germany. The chancellor promised the US unswerving support in the fight against terrorism — but he added a caveat that Germany would not get involved in military adventures. That warning proved all too necessary.
» Shortly afterwards, in the words of the US president, Iraq was declared the No 1 rogue state. America's former ally, Saddam Hussein, became the devil incarnate. Based on the flimsy claim that nuclear weapons were being produced in Iraq, a war ensued that made victims of Iraq's civilians and has not ended. We now know that the US deceived its allies, and some were led a merry dance into volunteering for war.
» The German government — whose predecessors were known for their unthinking allegiance - had the courage to speak out against the president of a superpower; Willy Brandt would have described it as “courage before a friend”. Of course, the opposition CDU-CSU was horrified. How could the superpower be rebuked in such a foolhardy way?
» The chancellor and foreign minister were not swayed. To this day, they have stood by this responsible decision and at the same time shown themselves to be loyal to the role of the UN. If the Stoiber-Merkel duo had won the last election, in 2002, Germany and its soldiers would be embroiled in the war, suffering the consequences that the people of Iraq and every ''willing'' ally are enduring to this day. Angela Merkel still refuses to recognise her political misjudgment. To vote her into federal office would be reckless.
» And who would take over Fischer's responsibility for foreign policy? A joker named Guido Westerwelle (from the Free Democratic party, the CDU's coalition partner), for example? Here we already have a party that, seeking to favour high earners, has submitted to the dogmas of neoliberalism. With lunatic plans for tax cuts it, along with the CDU, has cosied up to big business. »
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