Leur alarme montre que le système est en cause, et leur psychologie idem

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Il y a dans les remarques qui suivent un prolongement du texte du Bloc-Notes de ce même 21 octobre 2009. Il s’agit de remarques faites par deux représentants du système, non pas seulement américaniste mais bien anglo-saxon puisqu’un de ces deux représentants est le gouverneur de la Banque d’Angleterre.

• Voyons d’abord Mervyn King, auquel s’attache The Independent. Dans un premier texte, de ce 21 octobre 2009, King paraphrase Churchill pour décrire la situation: «Mervyn King […] said: “To paraphrase a great wartime leader, never in the field of financial endeavour has so much money been owed by so few to so many. And, one might add, so far with little real reform.” Mr King argued that banks took huge risks because they knew they would be bailed out and because they were seen as “too big to fail”. He called for sweeping reforms to the way they are supervised.»

Dans un second texte du même journal, ce même 21 octobre 2009, on trouve une appréciation plus détaillée de l’attitude de King.

«In an extraordinarily outspoken speech last night, the Governor of the Bank of England, Mervyn King, described the regulatory system framed by Gordon Brown in 1997 as “inadequate”, claimed that wrongly incentivised bankers had been “playing with fire”, and said that a central tenet of the Financial Services Authority's new approach was a “delusion”. Such failures had, suggested Mr King, meant that “we shall all be paying for the impact of this crisis on the public finances for a génération”.

»Close to £1 trillion of public money has been devoted to supporting the financial sector. Mr King called the sums “breathtaking” and “not sustainable in the medium term”. “Anyone who proposed giving government guarantees to retail depositors and other creditors, and then suggested that such funding could be used to finance highly risky and speculative activities, would be thought rather unworldly. But that is where we are now.” “It is important that banks in receipt of public support are not encouraged to try to earn their way out of that support by resuming the very activities that got them into trouble in the first place,” he said.»

• Le second intervenant est le très célèbre et très apprécié Barack Obama. Le site The Hill signale son intervention (le 20 octobre 2009) au cours d’un repas destiné à lever des fonds de soutien pour le parti démocrate. («The dinner and a second fundraiser were expected to raise between $2 million and $3 million for the DNC. At the dinner, tickets went for $15,200 per person and $30,400 per couple.»). On appréciera le charme de la situation puisque des gens de Wall Street était parmi les invités à prix coûtant, et que le président eut l’audace de les critiquer. L’audace de BHO est grande.

«Obama criticized the “reckless speculation and deceptive practices and short-sightedness and self-interestedness from a few.” The audience included members of the Wall Street community.

»Banks and other financial institutions have fought the proposed regulations, including one for a Consumer Protection Financial Agency. Obama has insisted the agency is necessary to prevent another economic collapse. “So if there are members of the financial industry in the audience today, I will ask that you join with us in passing what are necessary reforms – don’t fight them, join us on it,” Obama said at the Democratic National Committee (DNC) fundraiser.»

…On peut donc en conclure que ces dirigeants, qui parlent un peu comme tous parlent, sont conscients des problèmes en cours, de la gravité de la situation. Que proposent-ils?

@PAYANT La question complémentaire à la précédente – mais bien plus importante – est de savoir de quoi ils sont conscients: d’une conjoncture difficile (très difficile, folle, incroyable et ainsi de suite) ou du fait que le système tout entier est en cause, comme nous le croyons, notamment lorsque nous parlons de la rupture de l’American Dream? On comprend que nous allions presque naturellement au premier terme de l’alternative.

Ces gens (nos dirigeants) sont à la fois absolument désespérants et absolument pathétiques. Ils savent ce qui s’est passé, ils savent comment cela s’est passé, ils observent que tout se remet en place pour qu’à nouveau les choses se passent comme elles se sont passées, cela avec leur aide, et ils s’exclament avec une angoisse et une horreur qu’on comprend bien, que si l’on continue comme ça, les choses vont recommencer sans doute – non, presque certainement – en pire. (Wolf: «…cela signifie que nous connaîtrons dans les années à venir de nouvelles crises, plus nombreuses et plus graves.») Pourtant, rien d’autre, aucune volonté, aucune affirmation qui aille dans le sens d’un encadrement autoritaire de cette lèpre qui ronge la civilisation par la puissance publique, aucune spéculation sérieuse sur cette possibilité. TINA (There Is No Alternative).

Certes, l’explication habituelle peut être avancée, sur leur corruption, sur leur abaissement, sur leur complicité, mais cela n’explique pas alors leurs cris d’horreur. (Dans ce cas, bien entendu, nous parlons surtout du Britannique King, dont la sortie est exceptionnelle de violence. Mais l’on sait bien que King n’est pas un cas isolé, et qu’il y a eu et qu’il y aura d’autres avertissements de cette sorte. Quant à Obama, il est notoirement cool, c’est-à-dire distancié par rapport aux sujets qu’il aborde. Nous aimerions bien connaître le secret de ses sentiments, notamment vis-à-vis des “maîtres du monde” de Wall Street – en notant tout de même qu’il n’écarte pas, loin de là, la possibilité d’un “another economic collapse”.) Mais il y a surtout, pour nous, un mystère psychologique profond, qui, justement, va au plus profond de l’âme.

Il y a certainement une “corruption psychologique” chez eux, c’est-à-dire sans rapport avec la vénalité mais une corruption par l’influence, par le conformisme ambiant, par les croyances autour d’eux, dans leurs milieux, dans leur entourage, dans ce qu’ils lisent, dans la façon dont ils ont appris à penser depuis qu’ils sont dans le cercle du pouvoir. Cette corruption psychologique semble leur interdire la capacité de penser autrement la crise qu’en termes de réformes accessoires et qu’en exclamations de plus en plus désespérées concernant l’absence de cohérence, la folie, la cupidité, le comportement d’apprentis sorciers d’acteurs (les banquiers, dans ce cas) dont ils pensent pourtant qu’ils sont du même parti, de la même religion. Il ne s’agit pas d’une crise financière ni d’une crise d’une vénalité absolue mais d’une crise psychologique qui déforme toutes les perceptions et enchaîne les esprits à des dogmes, à des rumeurs, à des influences, à des conditions sociales et politiques qui paraissent absolument inébranlables. Pire encore, cette corruption psychologique s’exerce chez des individus très éduqués, cultivés, et souvent maîtres dans leurs spécialités, c’est-à-dire dont la constitution psychologique elle-même est déjà prédisposée à accueillir et à conforter les chaînes dont leurs esprits sont chargés. En l'occurrence, on les jugerait stupide d'une façon superbement intelligente.

Le point intéressant est que la réalité ne cesse de faire grandir la tension imposée à leurs jugements, aujourd’hui bien plus qu’hier (pendant la crise). Aujourd’hui où le paysage semble moins violemment bouleversé (crise précédente terminée), la mobilisation et l’urgence qui accaparent les perceptions et les énergies vers la situation immédiate se sont relâchées. Restent des esprits plus ouverts à la perception d’une situation qu’on distingue plus dans son ampleur et dans ses perspectives, et l’énergie désormais disponible dans ce sens. C’est dans un tel moment que commence la confrontation la plus tragique entre ces psychologies enchaînées et la situation, qu’on espérait décisivement redressée et qui apparaît de plus en plus, dans son ampleur écrasante et dans ses perspectives immédiates, absolument explosive. S’il y a effectivement de nouvelles dégradations progressives, si les conditions économiques et sociales continuent à s’aggraver, nous risquons de voir des circonstances intéressantes pour certains dirigeants, dans la confrontation de leur univers psychologique avec la réalité.


Mis en ligne le 21 octobre 2009 à 22H41