Leur censure, notre bataille

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Leur censure, notre bataille

10 septembre 2018 – La plus grande démonstration de l’attaque du 11 septembre (un peu en avance, happy birthday America) et de la crise qu’elle a ouverte, c’est la confirmation symbolique et éclatante de l’importance fondamental du système de la communication dans l’équation de la puissance. La chose était déjà amorcée avec la guerre du Kosovo, la première guerre “virtualiste” (voir ceci et cela), mais c’est avec 9/11 qu’elle s’imposa définitivement. J’insiste bien sur ce terme de “définitivement” car en même temps que le système de la communication s’imposait et que 9/11 pénétrait et déchiquetait notre espace-temps, commençait notre Grande Crise, – à propos de laquelle j’ai sans doute agacé quelques lecteurs avec des noms et des acronymes différents, pour me fixer sur GCES, – Grande Crise d’Effondrement du Système, nous voilà, nous y sommes... Ces trois choses sont absolument mariées : le système de la communication, 9/11 et la GCES, – pour mesurer l’enjeu diabolique de cette séquence ultime de notre civilisation devenue contre-civilisation.

Or, il se trouve que, dans l’éditorial désormais mensuel de première page, – un des exercices les plus fastidieux que je me sois imposé lorsqu’il était hebdomadaire, pour finalement lui trouver un sens et un intérêt certain avec le rythme mensuel, – j’ai, au nom du site dedefensa.org, déterminé comme thème des événements du mois l’établissement de la censure par les “titans high tech” contre le système de la communication dans sa dimension antiSystème :

« Ce mois d’août 2018, nous le consacrerions dans notre analyse globale d’abord à l’éclatement du phénomène de la censure des “titans high tech”, tous menés par de fringants jeunes gens archi-milliardaires qui s’affirment comme totalement soumis au Système, comme totalement serviles, bien plus que tous leurs ainés réunis, comme si notre époque avait accouché d’une génération d’“entrepreneurs” fécondée par le Système. Charme de la jeunesse “qui bouge”, qui “fait postmoderne”... »

Il s’agit d’un événement symbolique et opérationnel fondamental parce qu’il met à nu l’ontologie du Système. L’événement dit clairement et hautement, officiellement si vous voulez, sinon institutionnellement, que les employés-Système abandonnent toute la phraséologie idéologisée sur la démocratie, la liberté de parole, l’un des aspects fondamentaux du “droitdel’hommisme”, tout cela qui leur donne leur légitimité selon leurs propres paramètres, dans leur propre système de valeurs. Il s’agit par conséquent d’un très grand événement, d’autant plus grand qu’il s’attaque à la force principale qui s’est installée avec 9/11, – le système de la communication, ainsi privée de sa fonction et de sa vertu fondamentales de l’universalité de son assise qui entend se situer hors de toute idéologisation particulière, toujours selon leur propre système de références/de valeurs ici interprété dans ce mode d’inversion qui leur est coutumier.

(Je ne dis rien de précis ni de documenté à propos de l’efficacité de la chose [leur censure] parce qu’il s’agit d’un tout autre débat qu’on ne peut encore trancher. Tout juste dirais-je que je doute hautement, vraiment très hautement de son efficacité, comme de toute entreprise de censure à ce niveau, sur une telle étendue, contre une telle complexité et une telle détermination de leurs cibles. Ce doute vaut d’autant plus que la censure porte sur la communication, et non sur le contenu directement : c’est leur ultime feuille de vigne qu’il n’ose ôter en se faisant véritable et brutal censeur-policier de crainte, en sacrifiant leur dernier reste de vertu selon leurs références/leurs valeurs, d’apparaître nus, comme le roi, et de mettre en pleine lumière sonore et bruyante le rien-du-néant qui les caractérise.)

 Je veux plutôt m’attacher à l’affirmation de l’importance absolument cruciale de cette bataille, au point que je la jugerais quasiment décisive. Bien entendu, il y a d’autres batailles en cours, bien plus palpables, qu’on pourrait m’opposer comme argument contre cette évaluation de la chose ; ce qui se passe en Syrie et autour actuellement, par exemple ; ou bien le tourbillon crisique de “D.C.-la-folle”. Cela se plaide sans aucun doute, pourrait-on juger ; pour mon compte cela n’a nul besoin de se plaider parce que je considère ces “autres batailles”, et notamment les deux citées, comme très fortement dépendantes du système de la communication, et donc intégrées dans notre bataille générale.

Par conséquent, oui, – “cette bataille est absolument centrale”. Elle l’est d’autant plus qu’elle doit être liée, pour être bien comprise, à un autre événement dont la centralité décisive est la raison d’être. C’est ce qui est écrit dans l’édito déjà cité, et je vous ferais bien la confidence que cela fut écrit sans doute en pensant à ce texte du Journal-dde.crisis :

« Censure, leur censure... Cette bataille est absolument centrale, à notre sens plus qu’aucune autre. Mais elle (leur censure) est aussi le signe que leur crainte, non leur panique, est immense. [...] Par conséquent, en même temps que cette attaque de la censure, s’impose le thème de leur effondrement sous toutes ses formes, – la Grande Crise d’Effondrement du Système, – qui reste et doit être de plus en plus, comme une pression dialectique constante de notre part, le sujet essentiel de la presse et de la communication antiSystème. »

L’idée qu’il m’importe de développer est celle qui est contenue dans le membre de phrase “une pression dialectique constante de notre part”, cette pression dialectique étant figuré dans son contenu par la prévision de l’effondrement du Système. Comme on l’a vu, leur censure porte sur la diffusion, d’une façon hypocrite parce qu’on ne veut tout de même pas passer pour des flics aux mains sales (l’encre noire du censeur qui barre le mot d’un gros trait bien gras), d’une façon quantitative parce qu’ils ne peuvent rien comprendre de l’importance que peut avoir le contenu quand, par sa qualité, il approche la vérité (vérité-de-situation).Ils sont le simulacre qui se moque de l’archétype.

C’est là, je crois que nous les tenons. Leur censure ne pouvant prétendre à tout à fait nous faire taire, nous pouvons continuer à développer notre dialectique à notre mesure, à la glisser par des interstices diverses dont le système de la communication est parcouru comme un gruyère par ses trous. L’ensemble finit par faire une sorte de “bruit de fond” dont le thème est l’effondrement, et effectivement le thème ne cesse de progresser. (Voyez cela dans l’élévation de la critique du bloc-antiSystème.) Pour contrebattre cela, ils créent toujours plus de simulacres comme on débite des saucisses, sans prêter la moindre attention au contenu, au vide qui les habite, à l’absurdité qui les meut lorsque ces simulacres prétendent incarner des vertus qu’ils ne cessent de profaner au travers de narrative dont le crédit vaut à peu près celui qu’on peut faire aux banques de Wall Street et de la City. (Toujours la quantité préférée à la qualité, cela correspond si bien à ce qu’ils sont.)

C’est cela que j’appelle “pression dialectique” exercée par le “bruit de fond”, les obligeant de plus en plus à se justifier, à proclamer la sublimité de ces énormes simulacres gonflés comme des ballons troués-rapiécés. Cette pression qui les oblige à proclamer que le cadavre puant qu’ils exaltent est bien vivant, toujours vivant, de plus en plus vivant, attirant ainsi l’attention des distraits ou des indifférents sur leur situation effective de cadavre puant, accélérant l’effondrement.

Il n’est pas de bataille plus décisive que celle-là, qui parvient à convaincre le monstre furieux et prêt à briser le monde qu’en vérité il est en train de se détruire lui-même. Cette idée que je vous expose ne peut être justifiée, elle se justifie d’elle-même parce qu’elle se nourrit d’une intuition qui me dépasse.

J’attends donc avec patience que les choses aillent de plus en plus vite.