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36989 avril 2018 – Le 22 mars 2018, le pathétique Sarko venait sur TF1 clamer son indignation et brandir son honneur bafoué sur TF1, interrogé par Gilles Bouleau. Lorsqu’il fut question de l’intervention française en Libye, qui entraîna le reste (l’OTAN, les USA, la très-honorable “communauté internationale”), Sarko utilisa divers arguments à la fois impératifs et pleins d’honorabilité diverses comme on met de la confiture sur ses tartines, dont la nécessité de défendre Benghazi contre la terrible menace de Kadhafi d’y faire couler “des fleuves” de sang. C’est là effectivement qu’il fut pathétique, Sarko : “Vous vous rendez comptes, monsieur Bouleau, des fleuves de sang ! Des fleuves de sang !”. Cette répétition de l’expression “fleuve de sang” dite en roulant des yeux terribles me sembla être l’expression de ce qui devait être le sommet de la pensée stratégique et de la vision géopolitique, voire métahistorique de cet ex-président-là, qui eut tout de même la retenue et le sens du devoir dus à sa fonction de ne pas identifier le fleuve. (Le Nil ? L’Amazone ? Le Gange ? Comme on sait, ce “détail” à la-Le-Pen est toujours classé “Secret-Défense” ; on est ex-président et on sait se tenir, mes chers concitoyens.)
Cela se voulait terrifiant mais cela me parut, dans le contexte, plutôt complètement charlatanesque, histrionique en même temps qu’assez naïf comme exclamation, – sans préjuger, n’est-ce pas, du jugement qu’on peut porter sur le personnage tel qu’on le connaît, dans son ensemble et dans ses turpitudes. La pauvreté intellectuelle et l’outrecuidance étique que montre Sarko lorsqu’il parle de l’aventure qu’il a conduite à Libye passent tout ce qu’on peut raisonnablement imaginer quand on sait ce qu’on sait aujourd’hui ; à côté de lui, le maréchal Pétain me paraît une citadelle malheureusement minée par le gâtisme, d’une vertu malencontreusement utilisée pour de bien mauvais choix. Lui, Sarko, c’est le mafieux pur et dur, sans embarras de pensées ni de vertus mal employées, qui continue jusqu’au bout à nous balancer ses litanies incroyables d’indécence et de vulgarité.
... Car aujourd’hui, l’on sait, sans aucun doute, – là, je parle de la Libye. J’ai eu la surprise de lire dans l’hebdomadaire-télé belge Moustique, incroyablement bienpensant-Système, jusqu’ici zombie-sans-un-faux-pli, une présentation tonitruante sur 3/4 de page (p.86 du numéro du 4 avril 2018) d’un document de la série Intox ! diffusée hier 8 mars 2018 à 22H35 sur France 5, sous le titre “L’avocat du diable” (ou « Kadhafi, bouc-émissaire de l’Occident », sur le site du magazine), suivi du sous-titre beaucoup plus expressif : « France 5 réhabilite le colonel Kadhafi dans une enquête édifiante sur la manipulation occidentale. »
Le résumé insiste par conséquent sur la fourberie occidentale, notre fameux bloc-BAO, s’emparant d’une déclaration de Kadhafi (d’ailleurs tronquée pour l’occasion, bien entendu, comme il est précisé dans le doc) pour justifier une opération de défense qui s’est transformée en opération de conquête d’une extrême brutalité. Voyez le ton du commentaire, avec le dernier paragraphe de cette présentation : « S’il n’était certainement pas un enfant de chœur, Kadhafi s’est vu diabolisé par un Occident qui a sauté sur le printemps arabe pour asseoir sa prise de contrôle du monde arabo-muulman. En attendant, depuis sept ans, la Libye fait office de tombeau et de chemin de traverse pour des milliers de migrants qui veulent rejoindre l’Europe. Ce qui fait dire à l’ancien ambassadeur français à Tripoli que “dans les domaines du terrorisme et des migrations irrégulières, la situation est infiniment pire qu’elle ne l’était avant 2011”. »
J’ai vu la chose, ce matin sur enregistrement, qui ne laisse aucun doute, ni sur les responsabilités, ni sur les manigances, ni sur l’irresponsabilités de nos élites/directions-Système, dans un défilé ininterrompu de témoins à charge, y compris ceux qui voudraient être à décharge. Même l’ambassadeur de Libye en Italie, ancien dirigeant de l’opposition et parmi ceux qui ont fait tomber Kadhafi, qui vous explique les pseudo-“secrets” du montage, avec l’aide qatari, les reportages-bidon d’Aljazeera tout au long du printemps 2011 sur les manifs anti-Kadhafi ici et là, – bref, toutes ces choses qui n’étonnent en rien les vieux routiers de l’antiSystème qui ont suivi l’aventure sur leurs réseaux... « De fait, nous dit le commentateur, la manip qui a conduit à la guerre en Irak se répète en Libye. La leçon n’a pas suffi... »
Tout cela est vraiment tout à fait d’actualité, et l’idée de cet échec catastrophique de la Libye, de cet “manip” comme ils disent, est souvent sortie en commentaire de la lamentable équipée de ces dernières semaines de Sarko, plus mafieux que toutes les familles Kadhafi du monde. Tout cela est dans l’air assez chargé du temps, comme aussi, de temps en temps et assez régulièrement, un retour sur les saletés antérieures du bloc-BAO, avec parfois des passages touchants d’ingénuité.
Dans un documentaire très récent sur les films sur le pouvoir (« L’exercice du pouvoir au cinéma », 2017, passé le 4 avril sur la chaîne Histoire), Roman Polanski, réalisateur de The Ghost’s Writer manifestement inspiré de l’aventure d’un Tony Blair accusé de crimes de guerre et crimes contre l’humanité après la guerre contre l’Irak, se lamente sur un ton qu’on hésite à qualifier, entre catastrophique et geignard, dans tous les cas gêné et accablé, à propos de la monstruosité, de la sottise, de l’horrible cynisme de ceux qui nous ont conduit dans cette affreuse guerre d’Irak de l’an 2003.
« C’est le plus grand malheur qui pouvait nous arriver, tout ce que nous voyons se passer aujourd’hui, les djihadistes, vient de là...
— Vous étiez en colère lorsque cela s’est produit ?
— Non non, parce qu’à l’époque j’y croyais. La propagande était si forte. J’ai appris avec stupeur que tout ça était faux. Le seul qui était contre ça, c’était Chirac, qui courait comme un dingue dans tous les pays du monde, pour nous avertir contre la guerre... Je pensais qu’il était dingue.
— Et maintenant, qu’est-ce que vous pensez ?
— Mais il avait raison... »
Aujourd’hui, vous n’en trouverez pas beaucoup pour défendre la guerre en Irak et se réjouir du sort infâme réservé à Saddam ; pour la Libye, vraiment, le sentiment est plus que mitigé, et si l’on n’hésite pas à parler du “dictateur” reçu avec faste à l’Élysée en 2007, c’est pour mieux enfoncer Sarko, et personne ne se félicite plus guère, – sauf peut-être Hillary l’hallucinée “We came, we saw, he died », – du lynchage immonde de Kadhafi.
Alors, si on continuait, sur le commentaire du doc « Tuez Kadhafi ! » qui met en accusation le bloc-BAO et ses manœuvres sanglantes ? Cela donnerait ceci : « De fait, la manip qui a conduit à la guerre en Irak se répète en Libye », se répète en Syrie, se répète en Ukraine, se répète avec les Russes et Poutine-diabolisé, “et les leçons n’ont toujours pas suffi...”. Il n’empêche, tout comme l’est cette époque commencée en 2014-2015, le climat est étrange, à faire voisiner presque à se toucher les narrative courantes accélérant jusqu’à un ridicule et un absurde qui finissent par écraser inconsciemment les croyances des plus naïfs, – des “attaques chimiques” téléphonées, télégraphiées, filmées à l’avance, entraînant ces absurdes votes à l’ONU d’ambassadeurs qui ne croient pas un seul mot de ce qu’ils disent (voyez le français et interrogez-le), aux extravagantes manigances des Russes, interférant dans toutes les élections du monde, empoisonnant tous les ex-espions dans des montages qui font s’interroger sur l’éthylisme constant des grotesques du MI-6 ; faire voisiner tout cela avec la désaffection puis la critique virulente des mêmes exploits qui ont précédé de quelques années, en Irak, en Libye, en Afghanistan.
(Je l’avais oubliée, celle-là, l’Afghanistan... Allez voir War Machine de 2017,avec Brad Pitt dans le rôle du Général McChrystal, ridiculisant les pauvres généraux américanistes et la pitoyable politique massacreuse et bien-intentionnée, complètement fermée à la moindre compréhension de ce pays d’Afghanistan, pour mesurer à quel degré d’autocritique l’on se trouve.)
Tout cela finit par restituer une gêne confuse, mal ressentie mais palpable, car après tout, pour dire bref, ce sont toujours les mêmes zombies-Système qu’on retrouve, renouvelant les mêmes saloperies bidouillées grossièrement, débitant les mêmes simulacres-bidon comme un charcutier du marché noir de la collaboration débite son jambon faisandé... Non, décidément, l’époque étrange s’en va en charpie, en débris divers, en déchirures malsaines ; rien à voir avec 1984 et l’impitoyable rigueur que nous dessinait Orwell, avec le “devoir de mémoire” au garde-à-vous ; mais plutôt le foutoir, le bloody mess, où plus personne ne sait quelle est la consigne du jour, la dernière FakeNews en vogue, où les divers Hitler postmodernes expédiés ad patres vont jusqu’à prendre des allures de martyrs à propos desquels on n’a cessé de se planter et de se déshonorer.
Cela, c’est marcher sur la corde raide. C’est bien de contrôler les esprits quand on fait ses petits besoins du jour, mais après il faut les garder en rang, sans un pli, je ne veux voir qu’une seule pensée-une seule version, et chacun de bien réciter son “devoir de mémoire” s’il vous plaît sinon-corvée-de-chiottes. Ce n’est plus le cas, vraiment plus. Il y a quelque chose qui cloche grave, et j’entends le Système pédaler rudement dans la semoule...
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