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954Wikileaks ayant déclenché le tsunami qu’on sait, les commentaires et réflexions abondent, dont certains effleurent le fond de choses d’une façon intéressante. On l’a vu hier (le 30 novembre 2010), avec notre commentaire de l’article de Heather Brooke. On le lit à nouveau aujourd’hui avec celui de Ivor Roberts, le président de Trinity College et ancien ambassadeur du Royaume-Uni en Yougoslavie, en Irlande et en Italie (dans le Guardian du 30 novembre 2010)… Commentaire d’un réel intérêt, puisque venu d’un ancien diplomate et, qui plus est, diplomate d’une nation dont la tradition diplomatique est fameuse. (C’est pourquoi, en la matière, les commentaires britanniques sont intéressants.)
Ivor Roberts se lamente sur les conséquences des fuites sur les pratiques de la diplomatie, dont il nous dit bien entendu, au contraire de Hillary Synott (voir notre F&C du 29 novembre 2010) qui nous menaçait d’un retour à “la diplomatie du secret”, que la “diplomatie du secret” n’a jamais cessé d’être et est très fortement menacée. Ivor Roberts nous dit que les diplomates et autres agents diplomatiques vont être désormais terrorisés à l’idée que leurs écrits puissent être rendus publics, vont réduire désormais d’une façon drastique leurs interventions écrites, – sans doute, ajoute-t-il, d’une façon assez dérisoire, au profit d’interventions orales qui ne laissent pas de trace. (“Dérisoire” parce que les interventions écrites divulguées par Wikileaks toucheraient, selon Roberts, par distribution instantanée, autour de 2,3 millions de personnes, et que si l’on remplace telle intervention écrite par une intervention orale, celle-ci touchera par définition une personne, peut-être une dizaine, etc…) Ivor Roberts s’en désole parce que qu’ainsi, demande-t-il, que restera-t-il de la trace de la marche du monde dans l’histoire, pour bien comprendre la marche du monde et faire son histoire ?
«…What is at issue here is the ability of nations to conduct business with each other in a way which enhances international security. Diplomacy despite the many opportunities it offers for parody (Ferrero Rochet adverts and the like) is basically not a game for the mandarin class but a worthwhile exercise in trying to resolve conflict usually but not always between states. Al-Qaeda have after all triggered more conflict than anyone else in the past 10 years despite not being a state. […]
»It beggars belief that a disaffected 22-year-old intelligence analyst could have stolen so prolifically from the state department archive. It is larceny on a grand scale but a consequence of a lax system in which millions (2.3 million? nobody seems to know) have access to cable traffic classified secret and above. While we have to assume that Hillary Clinton will take appropriate measures to ensure that from now on the circulation of sensitive rather than embarrassing information is suitably restricted in the interests of national and international security, the genie is well and truly out of the bottle: US diplomats may find future pickings from their diplomatic contacts rather meagre.
»And while some have seen the WikiLeaks as a bonanza for historians, historians of the next era of history may have cause to curse. Diplomats who gain access to or are given a particularly valuable or sensitive piece of information will be extremely reluctant to record it given the blow to confidence in the security of confidential messaging systems. Such information may well be passed predominantly orally by secure phone with no transcribed version kept. Inconvenient perhaps but safe.
»We could be entering a period of history as in the ancient world where people relied on the oral tradition and eventually wrote down some time later what they thought people might have said or thought. Did Thucydides actually hear Pericles' funeral oration or was he repeating what others had told him about it? Through a process of Chinese whispers messages can be transmogrified beyond recognition: one can imagine that the injunction to neutralise Iranian nuclear capability might have emerged as a piece of advice on dealing with poisonous snakes in the Middle East.»
D’abord, cette observation… Certes, Nous croyons pouvoir affirmer que Thucydide ne disposait pas du réseau Siprnet pour collecter les dizaines de milliers de dépêches que notre actuel système aurait sans doute transmis sur les funérailles de Périclès. Mais monsieur Roberts peut-il nous assurer que 150 historiens-croupions du système, appuyés avec assurance sur ces milliers de dépêches les conduisant à la production quantitative massive d’à peu près autant de bouquins se dupliquant les uns les autres, auraient fait, à eux tous, un travail approchant, en valeur qualitative, le dixième du millième de la qualité de l’œuvre de Thucydide pour connaître la vérité du monde en cet instant des funérailles de Périclès ? Nous ne nous attarderons pas à répondre, observant simplement qu’il est question, une fois de plus, du débat de la vision qualitative du monde contre Le règne de la quantité (titre du livre de 1946 de René Guénon, qui désignait ainsi la peste de cette époque de la Chute).
Ainsi montrerons-nous une insensibilité assez prononcée devant ce que Roberts a l’air de considérer comme une véritable catastrophe. Ainsi, surtout, introduisons-nous l’essentiel de notre remarque… Ce que Roberts déplore, c’est l’entrave mise à une technique générale (celle de la diplomatie), et il la déplore en technicien. Il se garde bien de juger du fond des choses. Lorsqu’il écrit, d’ailleurs en passant et nullement pour débattre du fond, que «Al-Qaeda have after all triggered more conflict than anyone else in the past 10 years…», monsieur. Roberts nous prend-il pour des noix ou bien croit-il réellement à son propos ? Sait-il que tout ce qui s’est passé depuis dix ans en fait d’activités diplomatiques (c’est-à-dire militarisées) lancées par les directions politiques occidentalistes-américanistes, particulièrement dans le chef de la vindicte contre l’artefact hollywoodien nommé al Qaïda, et cela malgré l’aspect quantitatif de l’activité, ou à cause de lui, n’arrive toujours pas au dixième du millième de l’importance qualitative qu’il faut accorder à la mort de Périclès et aux réflexions qui ont salué cet événement ? Cela, ce n’est pas un avis d’historien-croupion, robot de la raison humaine, mais un avis d’historien qui ne croit plus à rien de cette raison humaine dévastée par sa corruption extraordinaire, sa servilité, son allégeance au service de la matière, et qui s’en remet à l’intuition haute pour juger des choses. Tout ce que les dirigeants politiques dominants (occidentalistes-américanistes) ont entrepris depuis dix ans (restons-en à cette période), relève de la farce, de la pathologie, de l’illusion sciemment entretenue en un système de mystification volontaire nommé virtualisme, et cela a produit des millions, peut-être des milliards de documents pissés en cataractes sans fin par les réseaux électroniques, et cela nous conduit à une catastrophe terminale dont l’importance se trouve hors du champ de l’appréciation humaine (pour l’apprécier en vérité, il nous faudrait un Thucydide) ; et il voudrait, monsieur Roberts, que l’on pleurât sur l’entrave fatale mise au bon exercice de cette “diplomatie”-là ? Espérons qu’il s’agit du fameux humour britannique…
Par contre, oui, une réelle satisfaction devant le propos de monsieur Roberts. Il nous confirme la panique qui ne cesse d’envahir tout l’appareil de ces directions politiques soumises à la brutale, absurde et nihiliste puissance de la matière. Ils vont revenir à la “tradition orale” ? Fort bien, on peut au moins espérer que la quantité de folies et d’absurdités diminuera puisque la consigne de s’y mettre ne sera plus répandue comme elle l’est présentement… Premier motif de satisfaction, mais en passant, car nous ne croyons pas trop à cette prédiction du diplomate britannique. Nous connaissons la solide, l’irrépressible stupidité de ce système et de ceux qui le servent aveuglément en nous servant des discours ronflants sur la tradition, sans majuscule (ici, celle de la diplomatie, – même Orwell s’avouerait dépassé, à une telle évocation de la tradition dans ces circonstances). Mais non, ils vont multiplier encore les messages, cette fois par des avertissements de sécurité, des encryptages, de nouveaux systèmes de protection, d’identification, l’amoncellement de systèmes et de systèmes conduisant inexorablement de la pathologie à la folie pure et simple… Par conséquent, le vrai motif de notre satisfaction à lire ce commentaire est bien qu’il y a là un reflet de plus, un écho supplémentaire, du désarroi énorme, de la panique hystérique, de la désorientation complète du système devant l’événement qui vient de le frapper. Plus encore que les secrets dévoilés, les avis peu aimables mis à nu, etc., c’est bien la sensation qu’on a d’une machinerie monstrueuse qui se trouve brusquement devant les conséquences apocalyptiques d’une piqure de moustique, – ou du fameux battement d’aile d’un papillon à l’autre bout de la terre. (Un fonctionnaire subalterne ou un sous-officier anonyme, d’une simple pression sur la touche enter, qui envoie balader leur marée de tonnes et de tonnes d’écrits, d’analyses, d’avis péremptoires, de certitudes folles, de descriptions d’infamies diverses, à travers le monde de la communication, jusque chez le dernier anonyme quidam perdu dans sa ferme isolée du Montana, ou dans son petit village écossais sous la neige). Les quidams en question s’en fichent peut-être complètement mais le système, lui, devient complètement fou à cette pensée de sa substance même, de sa folie irrépressible, ainsi mise à jour pour n’importe quel quidam, d’une façon, comment dit-on, – “démocratique”, c’est bien cela…
Devant de tels aveux, une telle désolation chez ceux qui se trouvent dans les rets du système, qui le servent et prétendent encore à la “confiance” et à l’“honneur”, nous sommes de plus en plus confirmés dans notre conviction qu’un phénomène majeur est en train de se produire, comme nous le signalions hier 30 novembre 2010, en parlant du mystère des “systèmes antisystèmes” en cours de formation spontanée. Le système central de “la matière déchaînée”, qui poursuit sa mission d’accomplissement de la catastrophe finale, se trouve confronté à de plus en plus d’obstacles, et, cette fois, à la confirmation du développement d’un ennemi dont il ne pouvait imaginer qu’il pourrait atteindre ce degré d’organisation spontanée, sans doute non humaine, où certains verraient simplement des forces mécaniques en action, où d’autres (dont nous sommes) seraient inclinés à voir beaucoup plus et de substance différente puisqu’il nous apparaît que pour en mettre en danger mortel un système mécanique (la matière) d’une telle puissance, alors qu'on ne possède pas soi-même une puissance à mesure, il faut une inspiration qui dépasse le simple mécanisme, et les simples machinations humaines qui l’utilisent.
Mis en ligne le 1er décembre 2010 à 09H59
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