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146731 août 2009 — L’organisation des pays d’Amérique du Sud, l’UNASUR, a tenu une réunion le 28 août 2009, à Bariloche, en Argentine. Douze pays étaient représentés, dont la Colombie, qui se prépare à signer un accord permettant aux USA d’utiliser sept bases colombiennes, officiellement pour des actions contre le trafic de drogue et les rebelles colombiens. C’était justement cet accord entre la Colombie et les USA qui était l'objet du sommet.
Les débats ont été longs, animés, et appréciés de diverses manières. Le Monde en a donné un compte-rendu incolore et sans guère de saveur, le 30 août 2009. Mais on le comprend: comment rendre hommage au traditionnel soutien moral aux “opprimés”, selon la saga historique de ce journal, quand il avait des obligations à cet égard, tout en ne désobligeant pas le porteur des vertus de notre-civilisation, les USA mis en cause ici. Cette remarque résume le fond du débat de Bariloche.
Nous apprenons tout de même que «L'octroi par la Colombie de bases militaires aux Etats-Unis inquiète les autres pays d'Amérique latine» (le titre), et que, selon le texte…
«Un sommet extraordinaire de l'Union des nations sud-américaines (UNASUR) s'est tenu, vendredi 28 août, à Bariloche (Patagonie), pour tenter d'apaiser les tensions suscitées par la signature d'un accord qui autorise les Etats-Unis à utiliser sept bases militaires en Colombie. Après des débats houleux, les douze chefs d'Etat se sont mis d'accord pour affirmer, selon le communiqué final, que “la présence de forces militaires étrangères ne doit pas menacer la souveraineté et l'intégrité d'un pays sud-américain, ni la paix et la sécurité de la région”.
»Une autre réunion est prévue, en septembre, pour tenter de définir des mécanismes de contrôle de la présence militaire américaine en Colombie…» (La suite nous annonce que «l'UNASUR n'a pas condamné la Colombie, contrairement à ce que souhaitaient le Venezuela et la Bolivie…» – mais nous entrons dans les eaux délicates de la polémique. Passons.)
On peut signaler d’autres comptes-rendus de la réunion. L’un, de Agoravox .fr, du 29 août 2009, qui présente la réunion comme un succès. Citons l’introduction et la conclusion.
«Il aura fallu 7 heures pour que les présidents des pays membres de l’UNASUR trouvent une réponse à cette crise. La victoire n’est pas celle de l’indépendance de la souveraineté de la Colombie ni de la sécurité pour le Venezuela mais celle de l’UNASUR.
»Ce sommet extraordinaire s’est déroulé en deux temps, premièrement par une sorte de tour de table où chaque président à eu l’opportunité d’exprimer son positionnement face à cette affaire, puis dans un deuxième temps par la rédaction d’un “amendement” de la constitution solutionnant le problème d’intervention militaire d’un pays tiers au sein de l’UNASUR et de renforcement de la coopération de la lutte contre le terrorisme. […]
»L’UNASUR a su éviter une éventuelle guerre en désamorçant par cette loi le conflit sur les bases américaines, mais Chavez a confirmé que le gel des relations entre la Colombie et le Venezuela a été maintenu. La stabilité de la région a été sauvegardée et grâce à cette session le mécanisme d’intégration des pays sud américain dans l’UNASUR s’est renforcé.»
(Signalons qu’un lecteur de ce texte, Helios, est en désaccord et donne un long commentaire, à partir du suivi de la réunion qu’il a eu, cette réunion étant effet télévisée en direct. «Si la réunion extraordinaire s’est bien déroulée comme vous le dites, c’est a dire de longs monologues, c’est justement ce qui lui est reproché, notamment par le président Lula. […] Lula donc a considéré que ces sept heures de monologues ont été un chaos et les discours essentiellement fait pour chacun des pays à travers la transmission télévisée qui en a été faite. […] Je pense que l’UNASUR a de bonne chances, si les petits cochons ne le mangent pas... mais c’est loin d’être gagné.»)
Le 28 août 2009, Defense News donnait un compte-rendu plus technique de la réunion.
«South American presidents attacked August 28 plans for U.S. bases in Colombia at a summit in Argentina, voicing their fears of renewed interference by Washington in their region.
» “It's about mobility to make war,” said Venezuelan President Hugo Chavez, the fiercest opponent of the plan, as he brandished a document he said was a U.S. Air Force strategy document setting out that aim. “The U.S. global strategy for domination explains the installation of these bases in Colombia,” the longtime U.S. critic told the meeting of 12 heads of state in Argentina's mountain resort of Bariloche.
»Chavez leads regional skepticism that an imminent accord between Washington and Bogota allowing U.S. military use of seven Colombian bases is about fighting drug traffickers and Colombian rebels as U.S. officials insist.»
Signalons un passage de la conférence, tel que rapporté par ce texte, qui montre combien cette attitude hostile aux interférences extérieures est d’ores et déjà une réalité active:
«Uruguay's president, Tabare Vazquez, added his “firm” protest to the imminent bases deal. “We have stated that there should not be any foreign military bases on our soil or on that of this bloc's member countries,” he said. Vazquez said that stance recently led his government to refuse permission for a British plane carrying fuel for fighter aircraft in the Falkland Islands – a disputed archipelago off Argentina – to land in Uruguay.»
D’une façon générale, la position de la conférence, qui doit donc avoir un suivi technique en septembre pour envisager des mesures techniques de surveillance et de contrôle, est mise en évidence par ce passage de l’article du Monde. On y voit à la fois une intention de contrôle collectif des actes des membres d’UNASUR dans ce domaine de la sécurité, dans des affaires qui concernent l’intérêt général, et la recherche de normes formelles de contrôle et de restriction concernant la mise en œuvre d’installations militaires de pays étrangers au continent…
Le président brésilien Lula «a réclamé “des garanties”, afin que l'équipement et le personnel militaire américains ne puissent pas être utilisés à d'autres fins que celles déclarées par Bogota: la lutte contre le trafic de drogue et les guérillas. […] La présidente argentine, Cristina Kirchner, a demandé que l'UNASUR “fixe une doctrine uniforme sur l'installation de bases (au profit) d'un pays qui ne fait pas partie de l'Amérique du Sud”.»
Qui a gagné, qui a perdu, parmi les pays d’UNASUR? La chose n’a pas une très grande importance de notre point de vue, pour ce qui est de sortir une leçon intéressante de cette réunion et déterminer ce qu’elle apporte de nouveauté. Un tel axe d’analyse, qui vaut pour les chicaneries partisanes entre les susceptibilités et intérêts nationaux, conduirait à analyser la question du rapport des forces et des influences entre les pays sud-américains, à l’intérieur du continent. Ce n’est pas le sujet essentiel, nous semble-t-il. De même se trouve hors du sujet telle ou telle question sur le rôle que Chavez ou Morales a joué à cette réunion, le poids qu’y a pesé Lula ou Kirchner. Il s’agit d’observer la réunion pour ce qu’elle signifie d’un point de vue collectif.
L’importance de cette réunion concerne une voix, une volonté collectives continentales qui ont été affirmées, malgré les divergences, y compris de la part de celui qui était “pris en faute” et semblait être effectivement fautif – dans un domaine essentiel, la souveraineté par le biais de la sécurité nationale – face au pays-système qui, pendant près de deux siècles, a fait bon marché comme on connaît peu d’exemple de cette sorte de comportement, de la souveraineté et de la sécurité nationale des pays de cette zone. Lors de cette réunion, et quels qu’en soient le désordre et ses péripéties, les pays d’Amérique du Sud ont de facto solennellement et formellement signifié que, pour l’Amérique du Sud, il existe désormais une “doctrine de Monroe”. Cela s’adresse à tout le monde en complète égalité mais on admettra que, parmi “tout le monde”, les USA sont un peu plus égaux que les autres et se distinguent d’autant plus particulièrement que des projets de base US étaient en cause.
Les accords entre les USA et la Colombie, qui ne constituent certainement pas une machine de guerre d’une puissance considérable, vont être placées sous surveillance, tandis qu’une procédure fondamentale de contrôle de la sécurité du continent, notamment face à ces ingérences que constitue l’installation de bases militaires non-sud-américaines, se met en place. Nous discutons bien entendu moins de l’efficacité de ces mesures que du principe qui les soutient. Il s’agit d’une notion intéressante qui prend forme, d’une “souveraineté limitée”, par accord collectif, auquel contraignent d’éventuelles visées expansionnistes extérieures. On peut considérer que la souveraineté nationale per se n’a rien à craindre puisqu’il est avéré qu’elle est largement plus menacée par les intrusions des USA, depuis près de deux siècles, que par les consignes d’UNASUR – lesquelles reflètent les appréciations des membres de cette organisation. Au contraire, cette notion de “souveraineté limitée” implique plus simplement une protection collective des souverainetés nationales, dont il est avéré qu'elles sont menacées de l'extérieur. Ainsi les “visées expansionnistes extérieures”, qui sont connues et reconnues depuis si longtemps, obligent-elles à agir.
L’ironie sympathique est que, dans le cas envisagé, ces “visées expansionnistes extérieures” sont de faible amplitude par rapport à la main de fer que les USA firent peser sur ce continent, et constituent plus une conséquence de la mécanique bureaucratique du Pentagone qui ne semble avoir de la puissance que la notion de bases logistiques armées. Avec plus de 700 installations dans le monde, le Pentagone exerce un contrôle fort aléatoire sur le reste du monde quand on considère le nombre de foyers de résistance anti-US en développement, bien entendu fouettés efficacement par cette présence et démontrant par le fait la perversité de ses effets; à côté de quoi, il contribue avec autant d’efficacité à l’affaiblissement fondamental de la puissance US par le poids budgétaire structurel qu’il leur impose.
Ce sont effectivement les pressions US, de plus en plus visibles et de moins en moins supportables et efficaces avec la fin de la Guerre froide qui enterra l’argument arrangeant de la menace d’expansion communiste, qui ont suscité depuis 1990 la transformation du continent sud-américain en une telle forme structurelle dont UNASUR est un des éléments. L’orientation anti-US de cette structure qui prend forme n’est ni dite ni avérée, mais évidente sinon éclatante, par la simple évocation de l’histoire et la simple observation de l’activisme général du système.
Pour le plaisir d’un effet de comparaison, on mesurera par contraste le degré bien haut de servilité de l’Europe par rapport aux USA. Les bases anti-missiles envisagées en Tchéquie et en Pologne, qui constituent tout de même autre chose en poids stratégique que les dispositions envisagées entre la Colombie et les USA, qui menacent l’équilibre de toute la sécurité européenne en impliquant la possibilité d’un affrontement avec la Russie, tout cela pour la plus stupide des raisons fabriquées par le complexe militaro-industriel, n’ont fait l’objet d’aucun débat formel entre Européens; elles ont fait, par contre, l’objet d’un article ou l’autre de l’un ou l’autre communiqué langoureux et approbateur de l’OTAN, sous l’habituelle férule US. Aucun des pays européens consultés n’a refusé les demandes de la CIA de transit de ses avions porteurs de prisonniers à torturer, au contraire du président uruguayen Vazquez, qui refuse le transit d’avions de la RAF devant ravitailler des chasseurs dans les Malouines. Les Européens, qui semblent certes avoir l’exclusivité mondiale de la morale des droits de l’homme, ont perdu le sens de leur dignité et de leur souveraineté. La comparaison avec l’Amérique du Sud est éclairante et consternante. Elle suscite le mépris le plus complet.
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