Leur guerre est une drogue

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La guerre en Afghanistan est un sujet sans fin d’étude des situations et de la dynamique du Système, comme la guerre en Irak le fut entre 2003 et 2007. Dans cet article du 4 janvier 2011 (sur Antiwar.com), Tom Engelhardt l’aborde du point de vue de la pathologie, et le titre de l’édition originale de son article, sur son site, l’indique parfaitement : «War is a drug»…

«...In this single New York Times piece (and other hints about cross-border operations), you can sense just how addictive war is for the war planners. Once you begin down the path of invasion and occupation, turning back is as difficult as an addict going cold turkey. With all the sober talk about year-end reviews in Afghanistan, about planning and “progress” (a word used nine times in the relatively brief, vetted “overview” of that review recently released by the White House), about future dates for drawdowns and present tactics, it’s easy to forget that war is a drug. When you’re high on it, your decisions undoubtedly look as rational, even practical, as the public language you tend to use to describe them. But don’t believe it for a second.

»Once you’ve shot up this drug, your thinking is impaired. Through its dream-haze, unpleasant history becomes bunk; what others couldn’t do, you fantasize that you can. Forget the fact that crossing similar borders to get similar information and wipe out similar sanctuaries in Cambodia and Laos in the Vietnam War years led to catastrophe for American planners and the peoples of the region. It only widened that war into what in Cambodia would become auto-genocide. Forget the fact that, no matter whom American raiders might capture, they have no hope of capturing the feeling of nationalism (or the tribal equivalent) that, in the face of foreign invaders or a foreign occupation, keeps the under-armed resilient against the mightiest of forces.

»Think of the American urge to surge as a manifestation of the war drug’s effect in the world. In what the Bush administration used to call “the Greater Middle East,” Washington is now in its third and grimmest surge iteration. The first took place in the 1980s during the Reagan administration’s anti-Soviet jihad in Afghanistan and proved the highest of highs; the second got rolling as the last century was ending and culminated in the first years of the 21st century amid what can only be described as delusions of grandeur, or even imperial megalomania. It focused on a global Pax Americana and the wars that extend it into the distant future. The third started in 2006 in Iraq and is still playing itself out in Afghanistan as 2011 commences.

»In Central and South Asia, we could now be heading for the end of the age of American surges, which in practical terms have manifested themselves as the urge to destabilize. Geopolitically, little could be uglier or riskier on our planet at the moment than destabilizing Pakistan – or the United States. Three decades after the American urge to surge in Afghanistan helped destabilize one imperial superpower, the Soviet Union, the present plans, whatever they may turn out to be, could belatedly destabilize the other superpower of the Cold War era. And what our preeminent group of surgers welcomed as an “unprecedented strategic opportunity” as this century dawned may, in its later stages, be seen as an unprecedented act of strategic desperation.

»That, of course, is what drugs, taken over decades, do to you: they give you delusions of grandeur and then leave you on the street, strung out, and without much to call your own. Perhaps it’s fitting that Afghanistan, the country we helped turn into the planet’s leading narco-state, has given us a 30-year high from hell…»

Le résultat est effectivement la “voie soviétique”, telle qu’elle fut illustrée par la même guerre en Afghanistan, où l’“empire du mal” usa ses forces jusqu’à son terme…

«To one degree or another, we have been on the Soviet path for years and yet, ever more desperately, we continue to plan more surges. Our military, like the Soviet one, has not lost a battle and has occupied whatever ground it chose to take. Yet, in the process, it has won less than nothing at all. Our country, still far more wealthy than the Soviet Union ever was, has nonetheless entered its Soviet phase… […]

»Sooner than later, Washington, the Pentagon, and the U.S. military will have to enter rehab. They desperately need a 12-step program for recovery. Until then, the delusions and the madness that go with surge addiction are not likely to end.»

Notre commentaire

@PAYANT Bien sûr, c’est l’analogie avec la drogue qui nous intéresse. Nous partageons complètement le constat de cette “dépendance” de la guerre, à la manière d’une drogue, que fait Tom Englehardt. D’autres que lui l’ont déjà faite (Andrew J. Bacevich, par exemple), mais Englehardt va dans ce cas extrêmement loin dans l’analogie, et avec toutes les raisons du monde de le faire. Il y a longtemps que les explications stratégiques et autres (y compris les explications de corruption et de production d'armement qui pourraient s'exercer autrement avec autant d'avantages) n’ont plus guère d’intérêt pour expliquer l’activisme militariste US, surtout dans les guerres les plus actives. Ces activités sont si évidemment destructrices des capacités US, non seulement militaires mais politiques, psychologiques, indirectement structurelles pour les USA eux-mêmes, qu’il faut effectivement l’explication d’une forte pathologie de la psychologie pour comprendre l’entêtement de la machine de guerre militaire, du système américaniste en général. Le cas de la dépendance de la drogue, qui suppose une sorte d’hallucination du sujet, une perte de des facultés vitales, etc., est une analogie parfaitement acceptable.

L’on sait que cette analogie, même si elle concerne une situation physique (la dépendance d’une drogue), a d’abord des causes, des implications, des conséquences et des effets de type psychologique. La catastrophe organique du sujet commence par l’“ouverture” que la psychologie réserve à la drogue, et à la résistance que cette psychologie oppose ou n’oppose pas à la drogue. (En effet, il n’y a pas d’automatisme de dégradation organique selon les psychologies, et il existe bien entendu des “drogués” qui parviennent à contrôler leur vice, selon leur situation, leurs conceptions et leurs activités, dans des limites en-deça de la catastrophe organique.)

Il faut observer que ce phénomène de “dépendance psychologique” de la guerre, ou la guerre vue comme une drogue, est relativement nouveau. Même dans des périodes comme celle des guerres napoléoniennes, on peut considérer que les aléas d’une situation politique, géopolitique et idéologique bouleversée ont contribué majoritairement à un enchaînement des guerres, beaucoup plus que cette dépendance psychologique puis organique que décrit Engelhardt. Le cas de Hitler se rapproche plus du modèle actuel, mais il n’est pas encore similaire. Même le cas soviétique, avec lequel Engelhardt fait un parallèle évident puisqu’il s’agit de l’Afghanistan, diffère du cas américaniste. Engelhardt cite dans son article de nombreuses interventions de militaires soviétiques analysant lucidement la situation sur le terrain, et montrant effectivement qu’ils n'étaient pas “dépendants” de cette guerre comme on l’est d’une drogue.

En cela, le cas américaniste actuel nous apparaît comme unique, particulièrement révélateur depuis la fin de la Guerre froide, avec ses racines déjà dans la guerre du Vietnam. Bien entendu, comme l’on sait, les USA sont en guerre depuis longtemps, certainement depuis la fin du XIXème siècle ou depuis la moitié du XIXème siècle en comptant plus large ; mais, jusqu’au Vietnam, il s’était agi soit d’interventions fondamentales de nécessité et de calcul stratégique, soit d’interventions calculées, mesurées, en fonction des intérêts à défendre, des résultats précis à obtenir, etc. Il y avait toujours une “stratégie de sortie” qui, elle-même, dépendait d’une stratégie générale qui donnait un sens à la guerre. Depuis la fin de la Guerre froide et en remontant effectivement au Vietnam, les choses ont changé, et d’abord la psychologie… Il s’agit effectivement d’une dépendance de drogué organique mais sans doute poussé au-delà des cas individuels les plus tragiques de drogués humains, et qui implique dans le cas US le rejet non pas d’une situation, mais de la réalité elle-même (virtualisme, etc.) ; dans ce cas, la dépendance se double de quelque chose qui, dans la psychologie, confine à la folie. Devant un tel constat, nous sommes conduits à passer d’une appréciation de l’acteur américaniste à l’appréciation du Système… Ce n’est pas l’acteur américaniste qui est en cause, c’est le Système lui-même, qui a pris l’acteur américaniste comme véhicule de sa dépendance et de sa folie, bref de son activité générale, comme il avait pris l’acteur allemand dans ce rôle jusqu’en 1918. (Voir notre thèse dans le livre La grâce de l’Histoire, ou dans cet article des “DIALOGUES” du 3 avril 2010.) Bien entendu, le comportement du Système s'explique largement par les facteurs constitutifs qui l'animent, qui sont le système du technologisme et le système de la communication.

Sur la toile de fond ce schéma, ce qui nous apparaît important, une fois encore, c’est bien entendu le rôle que nous attribuons à la psychologie dans le cas américaniste, décrit en réalité comme le cas du Système lui-même, du “Système-en-soi”. Bien plus qu’en aucun autre cas, il y a effectivement un rôle important de la psychologie dans cette dépendance au fait de la guerre, et cela concerne justement ce phénomène du Système à ce point auquel il est arrivé d’organisation, de dynamique, de puissance, d'ivresse et de crise en même temps. C’est à partir de telles observations que nous poursuivons et renforçons l’hypothèse d’une sorte de psychologie spécifique du Système, qui influence décisivement les divers sapiens, plus ou moins étoilés, qui lui sont liés. Dans ce cas, effectivement, c’est le Système qui génère la dépendance psychologie, qui est le drogué en question, et ses serviteurs humains sont eux-mêmes marqués par cette même spécificité sans plus s’interroger sur le sens de la chose et en travaillant d’une façon automatisée, pavlovienne, pour maquiller la réalité de façon à ce qu’elle devienne virtualisme convenant à la justification de la poursuite de la guerre, – évidemment jusqu’à la victoire. Certains “profils” de sapiens correspondent beaucoup mieux à cet effort d’auto-subversion dans le domaine de la communication à l’intérieur de l’ensemble subversif qu’est le Système lui-même. Petraeus, général spécialisé dans la communication bureaucratique et la relation publique, médiatique et autre, est évidemment la psychologie idéale pour la chose. (Au contraire d'un McChrystal, le général limogé, qui semblait avoir des velléités d’observation de la situation réelle, et qui a donc été recraché par le Système comme inadéquat.)


Mis en ligne le 5 janvier 2010 à 09H33

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