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3100Israël Shamir, iconoclaste, homme aux multiples réseaux et aux multiples engagements, homme mystérieux par excellence, – à la fois Russe, juif, Israélien, ou bien Israélien, juif, Russe etc., et qui ne dédaigne pas de nous instiller parfois une bonne dose d’antisémitisme (ou d’antisionisme ?) destiné à Israël, comme les docteurs sont paraît-il en train de découvrir les vertus de la cortisone contre Covid19 après avoir écarté son emploi.
(Mais qui, dans cette analogie est le Covid19 ? L’antisémitisme/antisionisme ou Israël vu par Shamir ? Même les sentinelles vigilantes de la bienpensance-Système s’y perdraient... Bref, Shamir est une illustration parfaite des temps étranges que nous vivons, par conséquent il nous est bien utile sinon précieux.).
Bref (suite), Shamir nous laisse parfois à voir qu’il a en lui quelque chose du désordre du monde. Il est par conséquent intéressant de lire ses textes, articles et livres ; autant ce qui y est écrit directement, autant ce que l’on en peut sortir indirectement. Pour ce cas (pour ce texte), ce serait plutôt la seconde méthode, et notamment, et essentiellement parce que nous sommes dans une période où l’essentiel est de plus en plus d’aller explorer et reconnaître les choses qui sont derrière les choses plutôt que les choses trompeuses qui sont à notre disposition directe.
Le titre du texte de Shamir, venu de UNZ.com le 23 octobre et mis en ligne en français sur Réseau International le 25 octobre 2020 (Traduction et précisions : Maria Poumier, via https://plumenclume.org), s'intitule « L’Amérique bascule dans la folie russe », – titre d’« America Repeats Russian Follies » dans la version originale ; cette version originale pouvant après tout, sans nécessairement engager l’auteur ni ceux qui l’ont interprétée mais par le seul jeu des mots et de leur signification profonde, donner à penser à l’Amérique comme une sorte de ‘réplicant’ (Blade Runner) de la Russie, – mais de toutes les façons, les deux ‘pays’ (est-ce le mot ?) additionnés dans cette séquence (1917-2020) représentant à eux deux la folie du monde, c’est-à-dire la folie de la Modernité, c’est-à-dire d’une façon ou l’autre la Grande Crise...
Ainsi donc, Shamir s’essaie-t-il à ce jeu : qu’est-ce qui se passe en Amérique, que devient l’Amérique, quelle folie est-elle en train de prendre l’Amérique ? Au moins, c’est, contre le jugement de tant d’imbéciles si intelligents mais trop obéissants dans nos contrées, reconnaître qu’il se passe réellement des évènements sortant de l’ordinaire, événements extra-ordinaires, là-bas, aux Etats-Unis d’Amérique. Reconnaître cela d’une façon aussi affirmée, comme fait Shamir, c’est très important, à cause de l’importance fondamentale que les USA tiennent dans la situation du monde ; et par “situation”, entendons, psychologie, équilibre culturel, élan spirituel, pathologie schizophrénique, paranoïa constante, toujours renouvelée, comme un Covid qui n’en finirait jamais...
Quelle est l’intention de Shamir dans ce texte original ? Donner différentes perceptions et interprétations de commentateurs et intellectuels russes sur les événements aux USA : à quoi correspondent-ils dans l’histoire de la Russie, notamment pour la période URSS ? Il est vrai que faire de Biden un Brejnev-2020 est à la fois charmant, roboratif et parfaitement acceptable. (Sauf que, tout de même, soyons sérieux, Brejnev était moins corrompu que le gang Biden, et il disait moins de sottise ; mais ce n’est pas vraiment difficile.) PhG s’est fait récemment sa religion à ce propos, et l’idée des USA devenus une gérontocratie comme l’URSS de juste avant Gorbatchev a également été explorée :
« • La direction politique jusqu’à la paralysie et à la gérontocratie. A partir de la mort de Staline (1953), le caractère déstructuré du pouvoir soviétique a pris le pas sur le caractère terroriste et totalitaire institué par “l’Ingénieur des Âmes”, avec une dégradation régulière et une perte d’autorité à mesure du “Centre” politique (le PC et son idéologie). Les dernières années-Brejnev (1975-1982) ont conduit à une gérontocratie, aspect ultime de la paralysie du pouvoir, avec des vieillards malades (Andropov et Tchernenko) se succédant au pouvoir jusqu’au quasi-effondrement entériné par la nomination de Gorbatchev. En effet, Gorbatchev devint le contraire de ce que les ‘experts’ occidentaux prévoyaient (Brzezinski annonçait en décembre 1985 un “rajeunissement” de la fermeté et de l’autorité du pouvoir en URSS, avec Gorbatchev).
» Les USSA ont suivi une voie assez parallèle, à partir de l’assassinat de Kennedy et l’installation de Johnson : le Vietnam, le Watergate, les scandales de la CIA jusqu’à la crise pétrolière avec l’Iran (et les otages de Teheran [en novembre 1979]) durant les années 1970, les interventions secrètes ou officieuses en Afghanistan et au Nicaragua, jusqu’à l’Irangate [scandale en 1986-1987, impliquant l’Iran et les Contras] qui faillit provoquer la destitution de Reagan, le pouvoir US s’est érodé très profondément jusqu’à la fin de la Guerre Froide. A partir de là, il survécut sur une narrative de l’hyperpuissance, avec continuation à l’occasion du 11-septembre débouchant sur un faux État-policier, sans véritable capacité d’affirmer son autorité comme on le découvre chaque jour aujourd’hui, dans nombre de rues de nombre de villes.
» Enfin, à l’occasion de l’arrivée de Trump, on a donc découvert que les USSA sont également une gérontocratie. Le président et les candidats sérieux ont tous plus de 70 ans, souvent plus proche des 80 comme Joe Biden, qui paraît parfois comme une réplique à l’identique quoique plus rigolarde et peloteuse, de l’indescriptible Tchernenko des années 1984-1985. »
Très justement, Shamir expose une position historique russe (tout au long du XXème siècle, et surtout durant la Guerre Froide) de très grande admiration pour les USA, et surtout pour sa puissance. Les dirigeants soviétiques (après Staline) n’ont cessé de se référer aux USA, de tout faire pour tenter de s’entendre avec les USA, surtout d’être considérés par les USA comme un ‘pair’, un ‘partenaire’ (le mot subsiste dans la direction poutinienne), une référence de respectabilité. Il est étrange de voir combien ce peuple de si haute culture, malgré l’URSS, a souvent pris tout au long du XXème siècle le type même de la barbarie moderniste (les USA) comme son contraire, – ou bien est-ce que l’URSS était, elle aussi, pris dans les diableries du Diable... D’où cette remarque de Shamir, qui ne doit pas étonner, qui résonne comme le dernier feu d’un grand amour contrarié :
« Les Russes sont stupéfaits par les vagues de folie qui déferlent sur les États-Unis. [...] Le pays qu’ils admiraient tant n’est plus, disent-ils. Et ils le regrettent au lieu de jubiler, comme on aurait pu s’y attendre. »
Quoi qu’il en soit et, là, nettement par ailleurs, à côté de des restes d’affection et d’américanisation ratée, il y a, entre la Russie et les USA, sur le terrain aventureux et singulier du ‘wokism’ (la ‘culture-woke’, ou ‘Cancel Culture’, aux USA, c’est-à-dire les restes hallucinés déféqués par le progressisme-sociétal, présentés comme une forme de ‘culture’ et aujourd'hui en accélération exponentielle à l'ombre de Covid19), une réelle distance qui ne devrait faire que s’accroître. Du côté russe, c’est l’un des très rares engagements de fermeté de Poutine, favorable aux éléments de structuration de la tradition, – spiritualité, religion, famille, respect de l’histoire, etc., – et il est évident qu’il ne peut y avoir d’entente dans ce sens.
De toutes les façons, nous aurions plutôt la perception intuitive que les Russes seraient non seulement « stupéfaits » de l’évolution US, mais également complètement sceptiques sur sa durabilité. Ainsi feraient-ils de plus en plus dépendre leur analyse politique et géopolitique, et éventuellement économique, de la situation des USA et des rapports avec les USA, et des rapports avec le bloc-BAO, de facteurs culturels, sociétaux, etc. Cela va dans le sens du système de la communication aussi bien que des tendances psychologiques et sociétales.
On appréciera d’ailleurs comme assez remarquable qu’un texte d’analyse historique jusqu’à aujourd’hui de la situation des USA, et de l’évolution des relations avec les USA, ne contiennent aucune référence de puissance brute : ni les armements, ni la force militaire, ni la finance, ni les engagements géopolitiques, etc. C’est un signe extrêmement significatif des temps nouveaux, où la communication joue un rôle phénoménal de puissance et d’influence des psychologies. L’autre signe est celui qu’on identifie une fois terminée la lecture du texte de Shamir : l’impitoyable intolérance et la police de la pensée régnant aux USA (dans le bloc-BAO), tandis que le climat culturel et psychologique est en Russie infiniment plus tolérant et ouvert. Mais qu’importe, nous continuons à mesurer nos couvre-feux et à réciter nos odes à la République et à la Laïcité, et nous sommes tellement contents de nous...
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Les Russes sont stupéfaits par les vagues de folie qui déferlent sur les États-Unis. Les récentes émeutes, les pillages, la destruction de monuments commémoratifs, le match électoral féroce et les rumeurs de guerre civile imminente ne correspondent pas à l’image que les Russes se font des États-Unis. Un pays d’Amérique latine, disons la Colombie ou le Guatemala, peut-être, mais pas les États-Unis. Le pays qu’ils admiraient tant n’est plus, disent-ils. Et ils le regrettent au lieu de jubiler, comme on aurait pu s’y attendre.
Loin de ressentir de l’hostilité, pendant de nombreuses années (au moins depuis le début des années 60), les Russes ont considéré les États-Unis comme un modèle à suivre. Nikita Khrouchtchev, le puissant dirigeant (1953-1964) qui a abandonné Staline et retiré ses restes du mausolée de la Place Rouge, était fasciné par les États-Unis. Il importait du maïs américain et considérait cet aliment de base américain comme la clé de la prospérité soviétique. C’est à cette époque que la Russie a découvert le jazz. Les jeunes les plus brillants de la Russie se sont mis au diapason de la mode américaine, comme le rappelle la pièce de l’époque Stilyagi (The Hipsters) de 2008. Sous le « socialisme mature » de Brejnev, cette fascination pour les choses américaines est devenue plus sédentaire, mais elle est restée un élément important de la contre-culture et a permis la capitulation rapide de l’Union soviétique face aux États-Unis à l’époque de Gorbatchev. L’amour de l’Amérique est resté une marque de fabrique des élites russes, mais il a maintenant été supplanté par la perplexité. Ils ne peuvent pas comprendre pourquoi cette grande civilisation se suicide ; mais de fait, qui le pourrait ?
Les Russes perçoivent les États-Unis comme une société dynamique et ordonnée, faisant une large place à l’individualisme, semant généreusement sa culture pop et ne formulant aucune revendication idéologique. Cette dernière qualité était si attirante pour les Russes qu’ils l’ont inscrite dans leur nouvelle constitution post-soviétique. L’article 13 stipule que « la pluralité idéologique est reconnue dans la Fédération de Russie. Aucune idéologie ne peut être instituée comme une idéologie d’État ou obligatoire ». Si les Russes y sont si attachés, c’est parce que, même si leur propre idéologie dominante s’est désintégrée et s’est effondrée, ils se sont sentis obligés de continuer à lui rendre hommage pendant de longues décennies. Lors de la rédaction d’une thèse, d’un article scientifique ou polémique, l’auteur devait citer Marx, Lénine et un document plus récent du Parti, afin de souligner la continuité de ses propres idées avec celles des fondateurs. Ils n’y croyaient pas, mais ils le répétaient par réflexe, par cœur, parce que c’est ce qu’on attendait d’eux. L’abandon de ces devoirs idéologiques a eu un effet profondément libérateur sur le peuple, et ils ont naturellement pensé que suivre toutes les coutumes américaines les conduirait à la prospérité et à la liberté américaines.
Même à cette époque, la nouvelle orthodoxie se formait déjà aux États-Unis, mais il fallut quelques années pour que la conscience de ce changement s’infiltre dans les esprits russes. En 2010, les Russes étaient tellement libérés des limites idéologiques que les Occidentaux ne pouvaient même plus en saisir les potentialités choquantes. Les Russes étaient devenus, et le sont restés jusqu’à une date très récente, politiquement incorrects au plus haut degré.
À l’époque, il était parfaitement acceptable de rédiger une annonce pour un appartement à louer du genre « Russes ethniques exclusivement ; natifs d’Asie centrale et du Caucase s’abstenir ». Les offres d’emploi précisaient le sexe, l’âge et la taille du candidat souhaité, comme celle-ci : « On recherche une secrétaire âgée de 21 à 33 ans et mesurant plus de 173 cm, pour cabinet d’avocats ». Un philosophe pourrait présenter des arguments en faveur de l’esclavage. Le meurtre de masse et le nettoyage ethnique n’étaient pas inenvisageables. Les Africains peuvent être décrits comme des « singes », tandis que les Arméniens et les Géorgiens sont des « boules de graisse ». À l’époque soviétique, politiquement correcte, de telles marques d’affection étaient totalement inacceptables, mais avec la chute de l’ancienne idéologie, tout est devenu permis.
Les termes mêmes de « gauche » et de « droite » ont une signification totalement différente en Russie et aux États-Unis. En Russie, la gauche pousse à la nationalisation, à l’expropriation des grandes entreprises et des ressources naturelles, à l’autonomisation des travailleurs et à l’amélioration du niveau de vie de la classe ouvrière. Son slogan pratique est « Inverser la privatisation d’Eltsine, restaurer les Soviets ». La gauche américaine avait des idées similaires jusqu’à ce qu’elle soit transformée par le marxisme culturel en un culte minoritaire pour les hipsters et qu’elle tranche ses liens avec les travailleurs. La gauche russe est représentée par le Parti communiste (CPRF), le plus grand parti d’opposition au Parlement, et par quelques partis communistes plus petits. Alors que la gauche américaine est dirigée par des Juifs, des féministes, des homosexuels, certains « People of Colour » de pacotille, et qu’elle lutte contre la discrimination fondée sur le sexe et la race, la gauche russe est essentiellement ethno-russe et lutte pour une redistribution massive des richesses et la restitution du pouvoir des oligarques au peuple
Ce n’est qu’au cours des dix dernières années que les Russes ont pris conscience de la nouvelle idéologie en vigueur aux États-Unis. Les exigences de la version américaine du politiquement correct étaient trop extravagantes pour eux. Le « wokisme »[1] est inconnu en Russie, à l’exception de petites poches de gens branchés de Moscou qui sont aussi étrangers et étranges pour le Russe moyen que les Précieuses ridicules de Molière pour ses contemporains. Les hipsters russes attirent plus le ridicule et la dérision que la peur et la haine.
Cependant, une personne modérément woke (« éveillée ») n’aurait rien de fondamental à reprocher à la Russie.
Le féminisme traditionnel n’y a jamais été un problème : les Soviétiques pratiquaient l’égalité entre les hommes et les femmes. Les femmes ont pu voter dès les premiers jours de la révolution. Il y avait des femmes ambassadeurs et ministres, et des femmes cheminots aussi. Les femmes cadres et PDG n’étaient pas rares, comme vous pouvez le voir dans ce film populaire Moscou ne croit pas aux larmes. Les femmes russes travaillaient tout aussi dur que les hommes, comme le montre Les filles. Les femmes russes enviaient autrefois le style de vie des ménagères américaines des années 50 qui ne travaillaient pas et s’occupaient plutôt de la maison et de la famille, mais ce luxe a vite disparu en Occident aussi.
Personne ne s’est battu sur la question de l’avortement : La Russie est très libérale de ce point de vue, et l’a été pendant de nombreuses années, au moins depuis 1956. Avant l’avènement de la planification familiale, les avortements étaient extrêmement fréquents ; aujourd’hui, ils le sont moins, mais ils sont légaux et couverts par la médecine sociale.
Les Juifs ne posaient pas non plus de problème, car la majorité des Juifs russes avaient déjà émigré en Israël ou en Amérique, tandis que ceux qui restaient en Russie étaient les enfants assimilés de mariages mixtes. Après cela, le lobby juif russe a disparu (s’il a jamais vraiment existé). Les Juifs étaient égaux mais pas dominants. Les Russes n’étaient pas endoctrinés dans le dogme de l’Holocauste, ce n’était donc pas un problème non plus.
Il n’y avait pas de tensions raciales ; la Russie comptait très peu de Noirs, et ils étaient extrêmement bien traités. Il y a une histoire célèbre, celle de Abraham Hannibal, un Africain importé par le tsar novateur Pierre Ier (“Pierre-le-Grand”), qui fit une belle carrière et épousa la fille d’un noble, et dont l’arrière-petit-fils est devenu le grand poète russe Pouchkine. Il y avait des esclaves en Russie, mais ils étaient blancs. Les serfs russes ont été intégrés au reste du peuple russe après leur libération en 1861. Anton Tchekhov, le dramaturge, était le petit-fils d’un serf. Les personnes d’ethnies différentes n’ont pas été discriminées historiquement. Les Tatars et les nobles géorgiens, ukrainiens et polonais étaient acceptés à égalité à la Cour des tsars, et plus tard leurs représentants ont siégé au Parlement soviétique. Ainsi, alors que les Russes ne parvenaient pas à comprendre le problème racial en Amérique, ils ont toujours pu se féliciter d’être des progressistes de pointe.
Le « wokisme » américain est globaliste et vise à saper et à supplanter les cultures traditionnelles. Pourtant, il semblait s’agir au départ d’une déclaration d’une mode innocente. La Russie a commencé à s’habituer aux nouvelles normes en folie comme aux autres gadgets de la McCulture américaine.
La première épreuve de force a eu lieu à l’occasion de la gay pride. L’homosexualité ne fait pas partie de la culture russe, car les relations sexuelles normales entre garçons et filles n’étaient pas fortement limitées. Il y a moins d’hommes que de femmes en âge de procréer et un homme peut généralement trouver une épouse. Les relations homosexuelles étaient pratiquées dans les prisons, et non dans les écoles. La promotion insistante de l’homosexualité à l’étranger, avec ses défilés de gays, ses mariages et ses adoptions pour gays, a apporté la première grande note discordante dans ce qui était autrefois l’harmonie idéologique entre la Russie et les États-Unis. La première querelle entre la Russie de Poutine et les États-Unis a éclaté sur ce terrain. En Russie, les homosexuels sont tolérés, ils ne sont pas discriminés, mais ils ne sont pas non plus encensés ; tandis que le nouveau discours à la sauce « woke » exige la glorification de l’homosexualité et n’acceptera rien de moins. Le refus catégorique de Poutine d’accéder à cette demande lui a valu de nombreux points de faveur dans l’opinion publique russe, et a amorcé le basculement de la Russie vers l’indépendance idéologique.
Plus les Américains insistaient sur une question, moins les Russes voulaient y adhérer. Une tentative d’importation de #MeToo en Russie a été totalement infructueuse. L’idée générale de harcèlement ne fait pas recette en Russie. Il n’y a pas eu de chasse aux sorcières comme avec Weinstein, pas de procès spectacle pour divertir les masses. La campagne contre les hommes n’a même pas été enregistrée dans la conscience russe. Les hommes russes sont toujours les rois de leurs femmes, et les femmes russes sont censées faire la cuisine, le ménage et s’occuper des enfants en plus de leur travail à plein temps. Les hommes sont censés payer les factures dans les cafés et ouvrir les portes aux femmes. Les hommes russes n’ont pas honte mais sont fiers de leur virilité, et le terme anglais « toxic masculinity » n’a pas d’équivalent en russe.
Au fil du temps, la manie américaine du wokisme a atteint de nouveaux sommets. L’évacuation de la culture et la destruction des monuments aux grandes personnalités historiques rappellent quelque chose de familier aux Russes. Il semble que la Russie et les États-Unis aient évolué dans des directions opposées, car la folie furieuse que les Américains embrassent aujourd’hui est du même tonneau que celle que les Russes avaient embrassée puis rejetée il y a cent ans. Après la grande révolution de 1917, les Russes ont également dégradé et remisé de nombreux monuments commémoratifs de leur passé historique, mais ces attaques contre l’histoire n’ont pas duré longtemps, et les monuments ont été restaurés pour retrouver leur gloire d’antan. De plus, les Russes post-soviétiques ont continué à ériger de nouveaux monuments en l’honneur des personnalités qui avaient été déshonorées et vaincues. Tandis que les « éveillés » américains détruisaient les monuments aux généraux de la guerre de Sécession qui avaient combattu dans le camp des perdants, les Russes érigeaient des monuments à la mémoire de l’amiral Kolchak (qui avait combattu les Rouges et avait été vaincu et exécuté par eux) et à celle du général Mannerheim (qui avait combattu les Rouges pendant la guerre civile finlandaise et les Russes pendant la Seconde Guerre mondiale, mais avait sagement fait la paix avec Staline). Des statues de tsars et de dirigeants communistes embellissent les places et les jardins des villes russes.
La chasse aux sorcières menée contre J.K. Rowling par le lobby Trans fait écho à des histoires similaires concernant des écrivains russes qui avaient été « démasqués » et qui sont « tombés en disgrâce » dans les années 20 à 30, mais pour des raisons différentes. Si vous lisez Le Maître et Marguerite, le roman de Michael Boulgakov, vous rencontrerez le critique d’art, Latunsky, qui traquait l’écrivain politiquement incorrect. ProletCult et NaPostu sont les noms de certains des mouvements « woke » russes de l’époque, et de nombreux écrivains russes ont eu à souffrir de leurs exigences étouffantes.
Les universités américaines ont été le champ de bataille de la guerre des cultures entre « éveillés » et portés aux « dérapages », où le camp des vaincus a été défenestré ou du moins forcé à partir. Les Russes ont également traversé cette étape, il y a 70 ans, lorsque Lysenko et Vavilov ont résolu leurs différends en faisant appel à Staline. Aujourd’hui, les Russes ne font plus campagne contre des scientifiques politiquement incorrects. Un scientifique russe peut dire et écrire ce qu’il veut. Il ne perdra pas son prix Nobel comme James Watson [accusé de racisme]. Aucun scientifique russe ne sera qualifié de « discrédité », ou de « conspirationniste », comme le professeur Judy Mikovitz [auteure de la vidéo virale Plandemic, éliminée par youtube], encore que les Russes reconnaissent dans ces termes des relents caractéristiques de leur passé lointain.
Les Russes se disputent maintenant sur la question de savoir à quelle période de l’histoire russe correspond le stade de l’Amérique d’aujourd’hui.
Les émeutes et les problèmes raciaux correspondent à la dernière période soviétique de la Perestroïka, les années 1988-1990. Après quoi il y a eu des émeutes au Tadjikistan, en Ouzbékistan, en Géorgie. Les Arméniens se sont révoltés au Karabagh et les Azéris à Bakou et à Soumgaït. Il y a eu des émeutes dans les pays baltes, et les forces de sécurité ont hésité à intervenir.
La tentative actuelle de réécriture de l’histoire américaine par des universitaires « décoloniaux » ressemble aux campagnes de 1986-1990 visant à réécrire complètement l’histoire russe. L’Empire tsariste était alors présenté comme le sommet du développement, tandis que Staline était sali comme le destructeur de la culture russe.
L’âge avancé des candidats américains à la présidence fait penser à la période 1984-1986 de la Russie, où trois dirigeants soviétiques d’âge avancé sont morts en l’espace de trois ans. Ce défilé de dirigeants retraités s’est terminé par l’élection de Gorbatchev qui était relativement jeune et capable de parler sans prompteur. Les Russes comparent Joe Biden à leur Tchernenko (76 ans) qui a dirigé la Russie en 1984-1985.
Dans son nouveau roman L’art du toucher léger, le spirituel Viktor Pelevin suggère une autre date :
« L’Amérique moderne est une Union soviétique de style Brejnev vers 1979, avec les LGBT à la place du Komsomol, les grandes multinationales à la place du Parti communiste, la répression sexuelle à la place de l’expression sexuelle, et l’aube du socialisme à la place de la mort du socialisme. Il y a cependant une différence. On a pu échapper à la Russie soviétique, mais on ne peut pas échapper à l’Amérique (dans la mesure où son influence est mondiale). En Russie soviétique, on pouvait écouter la Voix de l’Amérique, et il n’y a plus rien d’équivalent maintenant. Seulement trois Pravdas légèrement différentes et un Brejnev immortel et multiface, qui se bat farouchement avec lui-même pour le droit de sucer Bibi Nétanyahou ».
Le populaire blogueur Dimitri Olshanski n’est pas d’accord. Pour lui, l’Amérique est comme la Russie des années 30. Il passe en revue les films américains récents :
« Biopic de l’icône féministe Gloria Steinem… Deux femmes au début ne s’entendent pas, puis elles deviennent amies, puis elles atteignent un fusionnement… Bassam Tariq raconte l’histoire d’un rappeur pakistanais terrassé par une maladie héréditaire… les conséquences d’une catastrophe environnementale causée par la pollution industrielle des eaux locales par le mercure. Féminisme – Lesbianisme – Greenpeace – Migrants pakistanais », etc. Ce n’est pas comme la Russie de Brejnev, où les artistes savaient tromper la censure et faire passer des sujets interdits ; c’est la Russie des années 30, où avec une férocité croissante, le malheureux spectateur se sentait terrassé à répétition par les images de fonderie d’acier, de mains d’ouvriers, d’objectifs à atteindre dans le cadre du plan ».
Olshanski conclut par un appel à voter pour Trump, car « il est le seul homme d’État capable de bloquer le matriarcat, les trente-huit sexes, le langage canin des « éléments déclencheurs » et les privilèges, et les hyper-post-modernistes qui jettent par-dessus bord Shakespeare et Churchill « .
« Jeter Pouchkine du bateau à vapeur de la modernité », tel était le slogan des wokes russes en 1912…
Apparemment, donc, certaines hystéries américaines rappellent à la Russie les années 1912, 1920, 1935, 1970 et 1980. Si on met tout cela dans le même sac, cela prouve que la Russie et les États-Unis ont beaucoup appris l’un de l’autre, et pas toujours le meilleur. Mais c’est tout simplement humain : nous adoptons souvent les mauvaises habitudes de nos amis, et nous gardons ces habitudes même après nous être perdus de vue.
[1] Le terme est apparu en 2010. Depuis la mort de George Floyd, ils sont, en effet, de plus en plus nombreux à être “woke”, autrement dit éveillés, conscients des injustices et de l’oppression que vivent les minorités, avec la volonté d’agir. Salué, le “woke” est aussi critiqué par certains, notamment Donald Trump et ses partisans, comme le sommet du politiquement correct, un courant de pensée extrémiste et liberticide.