L’euro, arme de la guerre asymétrique?

Faits et commentaires

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 427

L’euro, arme de la guerre asymétrique?


25 mars 2005 — Un commentateur arabe d’origine palestinienne vivant actuellement aux USA, le Dr. Elias Akleh, évoque la possibilité de l’utilisation de l’euro comme arme anti-américaine par l’Iran. L’idée retranscrite dans le titre de son analyse oriente évidemment la réflexion vers le principe fondamental de la guerre asymétrique, qui est de frapper là où on n’attend pas d’être frappé par son adversaire, avec des armes et des moyens également inattendus. L’idée dans le titre (« Iranian Threat: The Bomb or the Euro? ») est bien ce concept de substitution propre à la guerre asymétrique : utiliser contre les USA l’euro de préférence à l’arme nucléaire supposée en développement chez les Iraniens.

L’idée d’un euro comme arme contre le dollar n’est pas nouvelle, mais les conditions évoquées par Akleh sont, elles, complètement inédites. Il s’agit au reste d’une simple formulation mais elle suscite évidemment une analyse et une réflexion, tenant compte de la psychologie US. L’idée d’un euro comme arme contre le dollar est vivace dans l’esprit des experts depuis des années, d’ailleurs avec autant de “pour” que de “contre”. Ce qui est différent ici, c’est la chronologie et l’inclusion de l’image “euro en guerre contre le dollar” au cœur d’une crise en cours, véritablement comme l’on parlerait d’un fait militaire, et de l’euro comme d’une “arme nouvelle” (ou “arme secrète”, comme les armes hitlériennes de la fin de la guerre). L’idée a toutes les chances de trouver une extrême attention, essentiellement de type hystérique, chez les experts en vigilance de Washington.

• Au reste, il y a effectivement des signes de déplacement des équilibres, ou des déséquilibres, dans le monde financier, et avec renforcement de l’euro contre le dollar. Le Monde notait le 23 mars, sous le titre « L'euro s'impose peu à peu comme une alternative au dollar » : « La Banque centrale russe a annoncé, lundi 21 mars, qu'elle avait décidé d'augmenter la part de la monnaie européenne dans la panier de devises qu'elle utilise pour fixer le taux de change du rouble. La part de l'euro va y être portée de 10 % à 20 %, tandis que celle du dollar sera ramenée parallèlement de 90 % à 80 %. Au cours des dernières semaines, plusieurs pays d'Asie ont laissé entendre qu'ils comptaient augmenter la part de l'euro dans leurs réserves de changes, au détriment du dollar. Ce fut le cas, fin février, de la Corée du Sud puis, quelques jours plus tard, du Japon. »

• La thèse de Elias Akleh concerne l’idée “pétroeuros versus pétrodollars”, au travers de la création d’un système de paiement du pétrole en euros lancé par l’Iran. Plusieurs pays sont intéressés : « Iran’s determination in using the petroeuro is inviting in other countries such as Russia and Latin American countries, and even some Saudi investors especially after the Saudi/American relations have weakened lately. » Akleh décrit ainsi le système que développerait l’Iran:


« In June of 2004 Iran declared its intention of setting up an international oil exchange (a bourse) denominated in the Euro currency. Many oil-producing as well as oil-consuming countries had expressed their welcome to such petroeuro bourse. The Iranian reports had stated that this bourse may start its trade with the beginning of 2006. Naturally such an oil bourse would compete against London’s International Petroleum Exchange (IPE), as well as against the New York Mercantile Exchange (NYMEX), both owned by American corporations.

» Oil consuming countries have no choice but use the American Dollar to purchase their oil, since the Dollar has been so far the global standard monetary fund for oil exchange. This necessitates these countries to keep the Dollar in their central banks as their reserve fund, thus strengthening the American economy. But if Iran — followed by the other oil-producing countries — offered to accept the Euro as another choice for oil exchange the American economy would suffer a real crisis. We could witness this crisis at the end of 2005 and beginning of 2006 when oil investors would have the choice to pay $57 a barrel of oil at the American (NYMEX) and at London’s (IPE), or pay 37 Euros a barrel at the Iranian oil bourse. Such choice would reduce trade volumes at both the Dollar-dependent (NYMEX) and the (IPE).

» Many countries had studied the conversion from the ever weakening petrodollar to the gradually strengthening petroeuro system. The de-valuation of the Dollar was caused by the American economy shying away from manufacturing local products — except those of the military -, by outsourcing the American jobs to the cheaper third world countries and depending only on the general service sector, and by the huge cost of two major wars that are still going on. Foreign investors started withdrawing their money from the shaky American market causing further devaluation of the Dollar. »


Il y a beaucoup d’espace et d’arguments pour apprécier la vigueur et la valeur de la thèse de Akleh, dans les deux sens. Nous nous en tenons effectivement à cet autre aspect présenté ci-dessus, qui nous est si cher : l’aspect psychologique. Avant même d’étudier la possibilité de l’utilisation de l’euro comme arme de guerre, avant même d’envisager les premiers effets concrets de cette utilisation si le cas est réalisé, nous devons nous attendre à une appréciation alarmiste, de type militariste, des milieux adéquats à Washington. L’assimilation sera évidente entre l’Iran, un des “ennemis n°1” du jour, et, bien entendu, les malheureux Européens, qui n’en peuvent mais qui vont continuer à être mis à toutes les sauces du complot agressif anti-américaniste. C’est un nouveau front à ouvrir entre l’analyse schizophrénique des menaces contre l’Amérique des américanistes et l’Europe.

La perspective est bien que l’euro va être considéré comme une “arme de guerre”, peut-être à l’équivalent du terrorisme et du droit international, ce qui nécessiterait quelques corrections dans la nouvelle stratégie américaine dans le cadre de la QDR 2005. Cette dérive nous paraît inévitable tant elle s’accorde parfaitement à la psychologie américaine, et l’élément décisif est bien entendu cette assimilation de l’euro à une véritable arme de guerre, à l’image de l’hypothétique bombe iranienne, et de façon bien plus efficace que celle-ci. La tension transatlantique a encore de beaux jours devant elle.