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22 juillet 2003 — C’est avec une certaine ironie amère que le Guardian accueille l’arrivée du premier Eurofighter dans la RAF. Le chapeau de l’article de Andy Beckett en dit déjà beaucoup, — même s’il ne dit pas tout, et surtout pas l’essentiel : « It has cost £50 billion, has been 30 years in the making and is designed to fight an enemy that no longer exists. So is the Eurofighter a military white elephant? » Plus précisément :
« This month, after more than a quarter of a century of development, and a decade later than planned, the RAF is finally receiving its first consignment of Eurofighters. “There is already a considerable buzz around frontline squadrons,” the head of the RAF, Air Chief Marshal Sir Peter Squire, crisply told the press three weeks ago. Jointly produced by Britain, Germany, Spain and Italy, the Eurofighter is the most expensive European defence project ever, with a big enough budget — more than £50bn for an anticipated 600 aircraft — to dig five Channel Tunnels.
» Since the aircraft was conceived, it has survived countless technical and financial crises, design revisions and rescue packages, changes of government and shifts in strategic priorities. The resulting warplane, with its thick, slightly stubby fuselage and sharply swept-back wings, is “one of the most advanced fighter aircraft in the world”, according to Stewart Penney, defence editor of the trade magazine Flight International.
» But a feeling of unease lingers around the project. Partly this is down to the Eurofighter's problematic history; partly it is down to something more fundamental. As Penney admits: “The last time a UK pilot shot down an enemy aircraft was in 1982 in the Falklands.” Since then, Britain's frequent wars have been fought against opponents either without air forces or without much chance to use them. Yet the Eurofighter was devised in a very different era: when massed formations of Russian aircraft were anticipated by western military planners as an accompaniment to an invasion of Europe. »
Tout cela ne manque certes pas d’intérêt, mais l’essentiel n’y est pas. L’essentiel, selon nous, c’est la deuxième pièce de ce dossier dont un article publié trois jours avant dans le même journal donne la mesure, avec l’annonce que BAE, le constructeur coopérant de l’Eurofighter, vient de se voir attribuer un énorme contrat US ($2 milliards) dans un programme où il travaille en sous-traitance de Boeing. BAE s’affirme donc de plus en plus comme une société américanisée, beaucoup plus qu’une société de coopération transatlantique.
La coïncidence des deux événements permet de rappeler/d’observer plusieurs points.
• L’Eurofighter est un “monstre” de la coopération. Ce n’est pas une coopération européenne ; c’est une coopération OTAN maquillée en coopération européenne pour dissimuler qu’elle vise d’abord, reflétant en cela l’attitude des pays membres de l’OTAN au sein de l’Organisation, à rencontrer des intérêts nationaux. (Selon le Guardian encore : « Sharing the work between four countries increased, rather than reduced, costs. Satisfying four separate air forces demanded compromises - the jet got heavier - and the production of four different versions of the same aircraft. Even the name became a problem: in 1998 a British plan to change it yet again to the Typhoon reportedly caused friction with the Germans, who vividly remembered an RAF ground-attack aircraft of the same name incinerating German tank crews during the second world war. ») Ce programme a achevé de démontrer qu’une coopération décidée de façon arbitraire, pour satisfaire des intérêts politiques nationaux différents, devient rapidement un gouffre budgétaire et une source de problèmes techniques sans fin.
• Nous ne sommes pas encore à l’essentiel, car il y a un problème Eurofighter pour la coopération, mais aussi, et surtout, un problème Eurofighter pour le Royaume-Uni. C’est le cas le plus intéressant.
• Aujourd’hui, les Britanniques ont des appréciations bien contrastées sur l’Eurofighter. Le dernier chef d’état-major des armées a déclaré, après son départ, qu’on pourrait réduire la commande (plus de 300) à 190, sans réel problème. Il y a eu une tempête de protestations, marquant l’hypocrisie habituelle des attitudes. Si un CEMA britannique fait cette remarque, c’est qu’il y a une raison. On la trouve dans l’évolution de l’attitude britannique en faveur du JSF, — lequel est, désormais, dans la programmation de la RAF, un concurrent direct d’au moins la deuxième tranche d’Eurofighter.
• Cette évolution a deux raisons, qui n’en font qu’une finalement : l’évolution pro-US de Blair, qui ressemble ces derniers mois à un film en accéléré, et l’évolution vers l’absorption de BAE par les Américains, qui s'inscrit parfaitement dans ce même film. Quand BAE sera complètement américain, c’est-à-dire contrôlé par les Américains, on le voit mal favoriser la production de l’Eurofighter alors qu’il est également impliqué dans la production du JSF.
En d’autres termes, le drame de l’Eurofighter britannique, qui n’est pas loin d’être désormais exposé dans toute sa crudité, représente une illustration du drame du hara-kiri de la souveraineté nationale britannique auquel nous assistons aujourd’hui. Le programme est conduit à son extinction, dans tous les cas du côté britannique, comme l’est la base technologique indépendante britannique.
La sombre ironie de cette affaire est que l’aspect de la coopération internationale qui a mis à mal l’Eurofighter pourrait bien se retrouver dans le programme JSF, son “vainqueur”, dont les signes de faiblesse ne cessent de se multiplier. C’est ce que signale le Governement Accounting Office (GAO), dans un rapport rendu public avant-hier, qui signale les dangers grandissants des obligations de cette coopération (pourtant bien maigrichonne, selon les coopérateurs non-US).