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563924 mars 2023 (17H10) – Combien de fois n’ai-je cité ces mots qui viennent de ce livre réunissant des chroniques et un essai après le 11-septembre et la guerre infâme contre l’Irak. Il est de “Philippe Grasset” (dixit PhG), les premières phrases de l’essai contenu dans le livre, fixant ce phénomène que je n’ai plus jamais cessé de constater, de mesurer, parfois affolé par son accélération...
« D'abord, il y a ceci : en même temps que nous subissions cet événement d’une force et d’une ampleur extrêmes, nous observions cet événement en train de s’accomplir et, plus encore, nous nous observions les uns les autres en train d'observer cet événement. L’histoire se fait, soudain dans un déroulement explosif et brutal, nous la regardons se faire et nous nous regardons en train de la regarder se faire. On sait également que ceux qui ont décidé et réalisé cette attaque l’ont fait parce qu’ils savaient qu’existe cet énorme phénomène d’observation des choses en train de se faire, et de nous-mêmes en train d’observer. Le monde est comme une addition de poupées russes, une duplication de la réalité en plusieurs réalités emboîtées les unes sur les autres. » (*)
Une chose simplement pour cette chronique, pour poursuivre cette chronique, – mettre une majuscule à “événement” et l’élever au rang de phénomène cosmique, unique : « ...en même temps que nous subissions [l’Événement] d’une force et d’une ampleur extrêmes », – Événement, Toi dont nous subissons toujours, aujourd’hui plus que jamais jusqu’au paroxysme, l’extrémité de Ta force et de Ton ampleur... Événement-Dieu, si vous voulez, pour parler symboliquement et se fixer notre orientation.
Je veux en effet parler de quelque chose qui nous dépasse tous, qui rassemble cette poussière d’événements extraordinaires et pourtant anecdotiques, qui ne valent rien à eux seuls, – seuls sans les autres veux-je dire, – “événements” du 11-septembre aux banques “too big to fall”, du Trump et du Covid, de l’Ukraine 2014-2023, jusqu’au Macron et à ses macronades, son hybris d’adolescent capricieux qui met un pays épuisé et désenchanté dans un sursaut de colère à ne pas croire ! L’Événement, c’est ce qui rassemble tout cela en un immense tourbillon crisique sans fond, devenu Structure Crisique de l’univers, dépassant tout ce que l’esprit de l’Homme (celui des Lumières, celui des Droits de l’Homme, celui de la cancellation du wokenisme, celui de la haine du Russe) – dépassant avec un haussement d’épaule tout ce que cet esprit peut s’imaginer pouvoir concevoir.
Au contraire, une sorte d’étrange sérénité m’envahit. Je me suis toujours demandé par quel miracle la nature avait-elle inventé ce mouvement circulaire devenu fou qui crée en son cœur même, dans l’œil du cyclone fou, cet espace d’une stupéfiante et sublime tranquillité ? Seul l’Événement est capable d’un tel paradoxe divin, ce pourquoi je lui donne sans barguigner de “l’Événement-Dieu”. L’enchaînement est prodigieux, il se fait en douceur, stealthily comme le JSF/F-35, en dissimulant avec une habileté de saltimbanque tous ces fils secrets qui relient les uns aux autres les avatars encombrant notre effondrement de pleurnicheries diverses.
La France, dites-vous, plongée dans cet immense délire, – mais qui a provoqué cela ? Qui se rappelle encore que Macron, l’élu comme une bombe à retardement, élu et haï, laissé à l’Élysée pour attiser la Grande Colère, – qui se rappelle qu’il l’emporta à cause de la guerre en Ukraine qui nous ficha une fort-Grande Pétoche et nous rassembla autour de ce qui faisait office de Statue du Commandeur, – sans rire il y en eut pour y croire, à la statue, – et hop, Macron réélu ! C’est Poutine qui l’a fait réélire, ce Russe a plus d’un tour dans son sac car il savait bien où le Macron nous entraînerait, avec la France déchue donnant son rythme de mort à une époque, – “le Système” dit l’un, ‘Le règne de la quantité’, précise l’autre, – dont elle fut le porte-drapeau mais qu’elle déteste au fond, avec une alacrité à ne pas croire !
Mesure-t-on la vitesse du Temps qui nous emporte ? Qui, il y a six mois, peut-être même quatre mois, qui de Xi et de Poutine aurait imaginé cet échange entre lui-même et lui-même, entre le Chinois énigmatique et le Russe impassible, sur le perron de cet instant de se quitter après avoir bouleversé le monde ?
Jinping : « Un changement qui ne s'est pas produit depuis 100 ans arrive. Nous le ferons ensemble. »
Poutine : « Je suis d'accord. »
Jinping : « S'il vous plaît, faites attention cher ami. »
Xi parle de ce “changement” comme s’il s’agissait d’une force qui surgissait d’elle-même, et qu’il faut accompagner, s’y adapter, s’y couler, pour l’aider à prendre la forme qui convient, comme Rodin sculptant son Balzac « dans cette lutte prodigieuse entre la matière rétive et la volonté créatrice... » (Daniel-Rops), – et aboutissant à la création de ce que cette force extérieure exigeait. Xi et Poutine chargés de cette mission de conduire le produit de “cette force extérieure” vers son accomplissement d’une forme irrésistible, – l’Événement, certes...
Même les plus fidèles parmi les chevaliers de l’ultralibéralisme, comme le Britannique Timothy Garton-Ash, sont conduits à reconnaître la marche du Temps, irrésistible et stupéfiante de vitesse, avec le bouleversement qu’elle impose. Ses remarques sont bien peu originales dans la forme, mais elle exprime avec une désolation furieuse la puissance colossale du bouleversement du fond des choses :
« Alors que la plupart des Européens et des Américains vivent dans un monde datant d'avant la guerre froide et structuré par l'opposition entre la démocratie et l'autoritarisme, de nombreuses personnes en dehors de l'Occident vivent dans un monde postcolonial fixé sur l'idée de la souveraineté nationale...
» Le conflit ukrainien pourrait être un tournant marquant l'émergence d'un ordre mondial post-occidental. Il est hautement improbable que l'ordre libéral en perte de vitesse, dirigé par les États-Unis, soit restauré. Au contraire, l’Occident doit vivre comme l'un des pôles d'un monde multipolaire... »
Je sais bien que nous avons le devoir d’observer sans chercher à comprendre ; que nous avons le devoir de décrire sans prétendre expliquer... L’Événement décide pour nous. Nous nous inclinons, nullement vaincus car nous préférons l’“idéal de perfection” à l’“idéal de puissance”, – mais plutôt, comment dirais-je, confiants après tout, – si possible avec un brin d’une ironie moqueuse pour nous-mêmes, nous qui croyions être nous-mêmes L’Événement en question... Homme qui se crut créateur de toi-même, va jouer avec cette poussière.
La Vitesse du Temps emporte l’Histoire dans sa course folle. Elle réduit prodigieusement vite l’espace de notre simulacre poussif et chargé de prétentions extravagantes, et ainsi libère-t-elle le monde de ses chaînes enjôleuses et trompeuses, comme des sirènes, faussaires séductrices. La Vitesse du Temps chante le retour d’Ulysse qui a fait un si long voyage.
(*) Philippe Grasset (himself), ‘Chroniques de l’ébranlement’, éditions Mols, Bruxelles 2003. Le titre de l’essai cité est ‘Des tours de Manhattan au jardin de l’Élysée.’
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