L’évolution des relations USA-UE : de mal en pis, comme prévu

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L’évolution des relations USA-UE : de mal en pis, comme prévu


21 janvier 2004 — Hors des pitreries sémantiques sur la “vieille Europe” et la “new Europe”, la situation euro-américaine évolue régulièrement vers l’éloignement des positions des deux “partenaires”, — éloignement des conceptions, éloignement des perceptions, éloignement des états d’esprit, bref tout ce qui constitue le fondement d’une politique. Cet éloignement n’étant pas sanctionné, ni par des déclarations de prise en compte, ni par une modification des structures existantes, il a pour effet un accroissement régulier des tensions sans raisons strictement identifiées.

C’est la marque de l’évolution des relations euro-américaines : une évolution vers un antagonisme sans raison apparente, d’autant plus dangereux, et surtout incontrôlable lorsqu’il fera sentir des effets violents et pressants à l’occasion de l’une ou l’autre crise. On a mesuré cela lors de la “crise” à l’OTAN, en janvier-février 2003. Elle a pris des allures de grande rupture alors qu’elle ne comprenait stricto sensu qu’un nombre extrêmement réduit de nations (la France et la Belgique) et portait sur un sujet très mineur (transférer des armes défensives de l’OTAN à la Turquie, risquant de pousser à une provocation conflictuelle avec l’Irak, ou bien, plus justement, aggravant l’impasse d’une solution, diplomatique à l’ONU, selon les manigances américaines). Si cette “fausse-vraie” crise a pris cette allure, c’est parce qu’elle exprimait indirectement tant de non-dits et de pensées non exprimées.

Aujourd’hui, on peut mesurer l’évolution des pensées réelles à cet égard, lors d’enquêtes qui sont faites hors des dossiers pressants ou des déclarations officielles. C’est le cas des deux récents articles de John Vinocur dans l’International Herald Tribune, l’un qui est consacré au sentiment général de l’establishment US vis-à-vis de l’Europe, l’autre, publié le lendemain (le 20 janvier), qui tente de restituer le même sentiment, mais des Européens pour les Américains. Sans la moindre surprise, on a la confirmation du climat détestable régnant entre les deux continents, entre indifférence méprisante et hostilité dédaigneuse.

L’un des textes de Vinocur est particulièrement intéressant dans la mesure où, au travers d’une ou l’autre précision qu’il rapporte de ses entretiens aux États-Unis, il apparaît que les conceptions les plus extrémistes (celles des néo-conservateurs) sont en train de s’installer dans la pensée générale. Le conformisme du système étant d’une force considérable, cette diffusion et cette installation ont toutes les chances de s’accroître encore, et la politique extrémiste de l’administration GW elle-même de s’institutionnaliser.

De même, on voit que la politique agressive, anti-européenne de l’administration GW Bush, cette politique dite “de désagrégation” consistant à tenter de diviser les Européens n’est mise en cause par certains, — notamment chez les experts de tendance démocrate,— que dans la mesure où elle n’est pas assez efficacement anti-européenne (dans le sens d’un frein à une réelle politique européenne).


« In reality, the great change on the U.S. side of European-American relations since the September 2001 terrorist attacks on New York and Washington may be in the ready acceptance here of the neoconservative Robert Kagan's characterization of two similar cultures with markedly different views on the use of power and military force.

(...)

» James Steinberg, who served under Clinton as deputy national security adviser and now directs the foreign policy studies program of the Brookings Institution, believes that the Democratic presidential candidates have much greater regard for the experience of the Europeans and are much more in touch with European motivations. If Americans don't have a deep conviction one way or the other on Europe, he said, the decline in regard for Europe is less sharp in the United States than it is in the other direction within the European Union.

» “All the same,” he told a visitor, “a Democratic administration is going to be much more unilateralist than the Europeans want.”

» Steinberg accuses the Bush administration of not supporting EU integration, preferring to deal with individual European countries than a European whole. But he hardly sees the end-goal of such integration with the eyes of those Europeans who would want the EU to function as a counterweight to the United States.

» “I think more integration actually would have isolated the French and the Germans,” he said, noting their effort to speak in Europe's name against the United States on Iraq. “What so angered the other Europeans is the way the French and the Germans went off on their own.”

» Chancellor Gerhard Schröder “doesn't give a damn about Europe,” Steinberg said. And the other Europeans see the French and the Germans as “miscreants.”

» But even among opponents of the Bush administration's take on Europe, wanting a more respectful, more cooperative relationship does not necessarily come combined with a sense of apology or regret on what they share, if tacitly, with the administration. More than a few critics of a neoconservative view of Europe acknowledge the emergence of palpably different visions of the world, and a genuine diminution in identical values. Ivo Daalder, who served on the National Security Council under Clinton, and has written a critical new book about Bush's foreign policy, believes that “the value gap is a lot larger than we think.” »


Dans ce contexte, on doit aussi rappeler les déclarations du général finlandais Hagglund, président du Comité militaire de l’Union européenne, à Stockholm, le 17 janvier. Elles constituent un signe intéressant. Hagglund affirme nettement une volonté et une capacité européennes de défense du continent, sans les Américains. Cette déclaration n’a pas été faite par hasard, ni sans rapport avec le contexte général. Elle montre un certain agacement des autorités européennes devant l’activisme anti-européen des Américains, qui se manifeste jusque dans les institutions et services européens chargés des questions militaires. Elle complète le tableau général en montrant qu’une aggravation des relations euro-américaines, telle qu’on la ressent comme possible aujourd’hui, se traduira évidemment, du côté européen, par une affirmation d’indépendance militaire aujourd’hui tout à fait possible.


« The European Union's top military official suggested on Sunday that American and European forces should be responsible for their own territorial defence and only cooperate on major crises outside their regions.

» Finnish general, Gustav Hagglund, who is chairman of the EU's military committee, told a defence conference it was time Europe shouldered the defence of the continent itself.

» “The American and the European pillars (of NATO) would be responsible for their respective territorial defences, and would together engage in crisis management outside their own territories,” Hagglund told the conference in Salen, 450 km (280 miles) northwest of Stockholm.

» “My prediction is that this will happen within the next decade,” he told a news conference later. »


Cette attitude européenne est rendue d’autant plus possible par une perte sensible de la considération des Européens pour la puissance américaine, en fonction des événements en Irak. Les Européens commencent à admettre ce qui est une évidence depuis un certain temps déjà pour ceux qui étudient la machine militaire américaine : derrière la puissance d’influence qui fait croire à une puissance absolue, presque magique, les réalités montrent des faiblesses graves.

(Signe de cette évolution de l’appréciation de la puissance européenne, cette citation de François Heisbourg dans Dossiers Européens, décembre 2003  :

« ...Les États-Unis ne sont pas pour autant un empire exerçant son hégémonie. Ils ne peuvent pas occuper durablement un territoire, sauf à consentir des pertes de mobilité stratégique dans d’autres parties du monde. On voit donc leurs limites même en matière de défense. Politiquement, les États-Unis n’ont même pas pu convaincre leurs voisins les plus proches — le Canada et le Mexique — de les soutenir pendant la crise irakienne.

» Dès lors, nous sommes dans un système international où le pouvoir d’influence directe de l’une quelconque des puissances qui le compose est relativement faible, même s’il s’agit de la seule superpuissance que sont les États-Unis. »)