L’évolution par les armes

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L’évolution par les armes

6 janvier 2010 — Dans notre F&C du 31 décembre 2010 consacré aux nouveaux avions de combat chinois et russes, nous laissions de côté la problématique européenne soulevée éventuellement par cette nouvelle, avec cette observation, qui valait promesse :

«La comparaison est ici limitée entre les USA et le bloc Chine-Russie, selon une approche essentiellement stratégique héritée de la Guerre froide, en mettant à part l’Europe. Nous devrions proposer prochainement une analyse de la position européenne en fonction de ces nouveautés russes et chinoises.»

…Nous allons donc essayer d’envisager une éventuelle évolution “européenne”, ou de certains pays d’Europe, en fonction de l’évolution que nous constations et envisagions dans ce F&C. Auparavant, signalons plusieurs faits, – dont un sera un rappel d’une information fort peu connue, jamais confirmée officiellement, que nous tenons d’une source que nous considérons comme sûre.

• La question de la levée de l’embargo des armes imposé par l’UE contre la Chine depuis 1989 devient un sujet brûlant. Une dépêche AFP, via Spacewar.com, le 30 décembre 2010, faisait une rapide analyse du sujet à partir d’une information parue dans Le FigaroA European Union arms embargo clamped on China in 1989 following the Tiananmen crackdown could be lifted in early 2011, Brussels sources told Thursday's edition of France's Le Figaro daily. The lifting of the embargo on all lethal weapons “could happen very quickly,” a source close to EU foreign policy chief Catherine Ashton told the paper.») Les différentes sources citées dans la dépêche, toutes venues des milieux européens, envisageaient avec faveur une telle mesure.

• … L’analyse confirmait notamment que Lady Ashton avait prôné une telle mesure comme une démarche d’affirmation européenne, présentée par elle devant les chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres. Nous avions observé cette attitude de la Haute Représentante de l’UE dans notre Bloc-Notes du 20 décembre 2010, que nous liions indirectement à une autre nouvelle, du 18 décembre 2010, sur une intervention particulièrement franche de l’ambassadeur de Chine à Bruxelles affirmant que l’attitude de l’Europe dans sa soumission aux USA, notamment sur cette question de l’embargo, était “pitoyable” et “pathétique”. (Cela, à la lumière d’un “Wiki-câble”, sur l’attitude US vis-à-vis de l’UE et, surtout, sur l’attitude de l’UE vis-à-vis des injonctions US...)

• Hier matin, on annonçait que Lady Ashton n’avait pas réussi à convaincre tous les Etats-membres, notamment et sans surprise, les Britanniques et les anciens pays d’Europe de l’Est. En même temps, on soulignait la pénétration en cours de nombre de pays de l’UE par la Chine, notamment dans le domaine des aides aux trésors publics pour la réduction de la dette souveraine… Ceci a un rapport contradictoire mais fort évolutif avec cela. On y reviendra plus loin.

• On rappellera également l’achèvement du marché France-Russie sur les navires de projection de force et porte-hélicoptères Mistral (Notre Bloc-Notes du 30 décembre 2010.)

• Enfin, on mentionnera une information, – celle que nous signalions plus haut comme venue d’une très bonne source, – datant de quelques années, autour de 2003, sur une visite secrète rendu par un haut fonctionnaire des services de sécurité chinois au président Chirac. Le visiteur venait sonder le président français pour l’éventualité d’un achat de 250 avions de combat Rafale par la Chine. Il ne semble pas que le président français ait envisagé sérieusement d’examiner cette proposition, dont il craignait évidemment qu’elle soulevât la fureur des USA. De ce point de vue, il existe certaines circonstances où la France, compte tenu de ses prétentions à l’indépendance et de ses moyens effectifs de l’assurer, balance entre la courte vue, le manque d’audace et un réflexe d’alignement sur les USA. Ce jugement est plus facile aujourd’hui qu’il ne pouvait l’être en 2003, sans aucun doute, mais il marquait bien la contradiction de la position française vis-à-vis des USA, s’opposant à la guerre en Irak telle que les USA la lançaient, pour aussitôt tout faire pour tenter d’apaiser les USA alors que cette position d’opposition à la guerre répondait aux principes d’une politique française cohérente. Cette contradiction française est un élément d’arrière-plan important de notre réflexion.

Notre commentaire

C’est sur cette toile de fond, ce canevas, que nous voudrions lancer notre commentaire, d’abord en insistant sur un autre événement que nous n’avons pas mentionné, qui est l’effondrement de la capacité qualitative, par l’effondrement tout court de la capacité de production de systèmes d’arme avancés des USA. Le JSF n’est pas à cet égard un “show” exceptionnel, mais bien l’illustration incontestable d’une situation générale.

@PAYANT En effet, l’hypothèse d’un effondrement, non seulement de la puissance, mais de la capacité de production de la puissance militaire US, est aujourd’hui plausible. Quand nous parlons d’“effondrement”, nous voulons parler de l’apparition dans l’industrie US de l’armement d’une réelle incapacité de concevoir et de produire un système d’arme moderne, sinon dans des conditions économiques et technologiques si extravagantes et extraordinaires qu’elles équivalent à une réelle impuissance et justifient de parler d’incapacité. Le problème est parfaitement illustré dans les termes les plus bas et les plus communs qui sont ceux de la comptabilité, et qui ont été largement détaillés depuis plusieurs années. Jamais depuis la Deuxième Guerre mondiale le Pentagone n’a disposé de budgets d’une telle abondance, et jamais il n’a aussi peu produit de forces effectives et efficaces. Cette situation est d’ores et déjà effective dans les capacités opérationnelles des forces. (Voir les démonstrations de Winslow Wheeler, notamment concernant l’U.S. Air Force.)

A cette situation s’en ajoute une seconde, dont on assiste à l’ouverture actuellement, avec l’installation du nouveau Congrès. Il s’agit bien entendu de la situation budgétaire des USA et de l’intention affichée des républicains de réduire les dépenses publiques pour tenter de résorber une partie du colossal déficit du gouvernement fédéral. On sait que cette intention, surtout appuyée sur la vague Tea Party, a largement débordé sur la question de la réduction des dépenses militaires. Une évolution générale est en train de se faire, où l’on voit même les leaders républicains comme le chef de la majorité à la Chambre Eric Cantor, envisager, ou être contraint d’envisager effectivement de telles réductions. Du côté démocrate, on trouve également une aile “progressiste” qui est prête à soutenir les républicains pour réduire le budget du Pentagone. D’une façon non concertée, mais bien sous la pression des évidences et des situations, est en train de se former une “union sacrée” contre les dépenses militaires à l’actuel niveau.

C’est dire si la situation décrite plus haut d’incapacité et d’impuissance du Pentagone a toutes les chances d’être accentuée et accélérée. Certes, personne ne parle réellement, à Washington, d’une “situation décrite […] d’incapacité et d’impuissance du Pentagone” qui signifierait une réduction dramatique de la puissance US, mais plus d’un parlementaire, notamment de la tendance Tea Party, estime que la première question de sécurité nationale aujourd’hui n’est pas la puissance militaire des USA mais la situation du déficit public. Encore une fois, nous répétons que nous n’attendons pas de ces diverses agitations une réduction très importante mais ordonnée du budget du Pentagone, comme le voudraient par exemple les réformistes (type Paul-Frank) ou certains membres de Tea Party, mais une bataille féroce et désordonnée pour le volume des réductions, avec divers intérêts et tendances antagonistes, aboutissant au désordre sinon au chaos, – ce qui est la pire chose qui puisse arriver pour aggraver encore la situation du Pentagone.

C’est par ce biais de l’évolution de la situation politique washingtonienne que l’on peut envisager une évolution peut-être rapide de la situation des relations des USA et de l’Europe, par le biais de l’OTAN, qui reste la principale courroie de transmission de l’emprisonnement politique et technologique, et d’influence, de l’Europe par les USA. La crise budgétaire de l’OTAN, donc les contributions US à l’OTAN, les investissements militaires US en Europe, vont être parmi les cibles possibles de réductions budgétaires du Pentagone, notamment sous la pression d’un Congrès dont l’état d’esprit tend vers l’isolationnisme tandis que les bellicistes (le War Party) sont tout entier concentrés sur l’Afghanistan… Or l’Afghanistan, aux yeux de ce War Party (et des autres à Washington) n’est pas la preuve de l’utilité de l’OTAN mais au contraire de son inutilité, et de la “trahison” des Européens de l’OTAN pour aider les USA. La seule urgence actuelle de sécurité nationale est objectivement un argument de plus de désintérêt US pour l’OTAN. Tout cela pèsera de son poids lorsque les républicains, qui tiennent les cordons de la bourse ou presque au Congrès, vont examiner les budgets militaires US “régions par régions” et qu’ils évoqueront l’ensemble Europe-OTAN.

La sujétion européenne aux USA se marque essentiellement par des acquisitions d’armement qui impliquent des myriades de liens et d’engagements divers qui confortent cette sujétion. La principale acquisition en cours, la plus colossale et la plus déterminante est celle du JSF, dont la situation ne cesse de se détériorer. On comprend aussitôt que cet aspect de la situation constitue un autre point central de la crise. La “coalition” JSF-Europe, qui était au départ conçue comme une stratégie d’investissement de l’Europe par les USA appuyée sur une “idéologie” d’inspiration néo-conservatrice revue à la sauce plantureuse du complexe militaro-industriel, est le principal moyen dont disposent les USA pour conserver leur main mise technologique, bureaucratique et opérationnelle sur les pays européens de l’OTAN. Ce point suffit à faire comprendre l’importance du destin de cette “coalition” JSF-Europe. Le programme JSF est au centre de la crise du Pentagone, il sera au centre de la crise budgétaire que va ouvrir le Congrès. Le sort du programme est plus qu’incertain et s’il y a une certitude c’est bien que les intérêts des alliés engagés dans le programme,– essentiellement des pays européens de l’OTAN, – ne seront aucunement pris en compte. C’est dire si cette situation constitue une opportunité qui n’a guère de précédent, à l’image de la crise US et de la crise du Pentagone, et de la crise du JSF, qui n’ont pas de précédents elles non plus.

Maintenant, que se passe-t-il de l’autre côté, – non du “côté européen”, qui est inexistant, mais du “côté” qu’on a évoqué dans notre F&C du 31 décembre 2010 concernant la Chine, la Russie et leurs nouveaux avions de combat. Les deux puissances de l’Est, chacune de leur côté et chacune à leur façon, mais dans une occurrence qui pourrait s’avérer une coordination après-coup, évoluent vis-à-vis de l’Europe.

• La Russie ne cesse de développer, l’une après l’autre, des propositions transeuropéennes, qui de sécurité (Medvedev), qui de “grand marché de l’Atlantique à l’Oural” (Poutine), qui de structures intermédiaires basées surtout sur la sécurité, notamment avec la France et l’Allemagne. Les accord économiques avec l’Allemagne sont considérables et l’accord finalement réalisé avec la France sur le BPC porte-hélicoptères Mistral reste un événement où la quincaillerie sophistiquée, quelles que soient les intentions, a une dimension stratégique. D’autre part, comme on le voit chaque jour, l’accord START-II (ou START-3) ne lie nullement la Russie à une coopération politique avec les USA mais, au contraire, rouvre la porte à de nouvelles polémiques sur les antimissiles qui pourraient à nouveau secouer l’OTAN et l’Europe.

• La Chine a une autre approche dans ce domaine “stratégique”. D’une part, elle fait la leçon aux Européens sur leur servilité vis-à-vis des USA, notamment sur cet embargo sur les armes qui est du type “symbolique” et maintenu à bout de bras par l’influence US d’une façon dont quelques WikiLeaks ont révélé le caractère “pitoyable” et “pathétique” pour l’Europe. D’autre part, elle avance ses pions dans le dédale des Etats membres en aidant l’un et l’autre (la Grèce, le Portugal, l’Espagne), c’est-à-dire en rendant les puissances publiques qui, en général, commandent les grands systèmes d’arme, débitrices, – et cela, plutôt dans un sens figuré que concret, c’est-à-dire “moralement” débitrices de la Chine. Pour le domaine qui nous importe, il est acquis que les Chinois veulent parvenir à des accords de transferts de technologies aérospatiales

Il n’y a pas de concertation entre les poussées russe et chinoise, il y a une expansion naturelle vers une Europe perçue comme de plus en plus faible parce que son protecteur est lui-même de plus en plus faible. Si cela suggère des images grossières et dégradantes (après tout, “protecteur” a un sens dans le milieu de la pègre et du trottoir), tant pis pour l’Europe, – elle l’a bien cherché et s’est conduite dans ce sens… Mais ce n’est pas ce qui nous importe ici.

Les promesses du destin du JSF

On le voit, on le comprend, l’événement principal est à l’Ouest, aux USA. On le voit et on le comprend, le cas du JSF jouera dans les 2-4 années un rôle capital car c’est autour de lui que risque de se cristalliser une crise transatlantique majeure autour des fournitures d’armement. L’affaire est beaucoup plus “chaude” que nombre d’experts et de dirigeants européens ne l’imaginent parce que ces experts et ces dirigeants ne réalisent pas le véritable état d’esprit des dirigeants et parlementaires US sur cette question. Alors que les Européens s’inquiètent de l’inattention US vis-à-vis des Européens dans l’affaire JSF, et qu’ils espèrent que cela va changer lorsque les USA s’apercevront à nouveau que les Européens sont dans le programme, c’est le contraire qui risque de se produire. Dans certains milieux washingtoniens, et devant la catastrophe qu’est le programme JSF, l’attitude vis-à-vis des Européens dans ce programme est que les Européens qui s’y trouvent devront payer le prix fort et participer à son sauvetage, au moins pour compenser leur absence d’engagement en Afghanistan. C’est ainsi qu’on raisonne dans les salons washingtoniens, avec la si particulière psychologie américaniste faite autant d’“inculpabilité” que d’“indéfectibilité”. On observe d’ailleurs que cet état d’esprit interfère directement dans la situation à l’OTAN, qui est, du point de vue budgétaire, très sensible pour les USA et très défavorable à l’entente transatlantique.

On ajoutera que d’autres affaires risquent d’empoisonner encore plus l’atmosphère, notamment l’affaire KC-X (les nouveaux ravitailleurs en vol de l’USAF) dont on connaît les péripéties rocambolesques. Dans tous les cas de figure, après les innombrables avatars qu’on a connus, une décision de l’USAF, d’ailleurs sans cesse reportée (actuellement, on parle de février 2011, voire d’avril), amènera une tension transatlantique. Ce sera le cas si l’avion d’EADS-Airbus n’est pas choisi alors que les Européens jugent que leur offre est la meilleure, et qu’ils y verront une manœuvre protectionniste ; ce sera le cas si la commande est partagée ou si EADS l’emporte, car il y a de très fortes chances que Boeing portera aussitôt l’affaire devant le GAO, voire devant les tribunaux, aussi bien pour vices de procédures qu'à cause de ce que la société US estime être la violation des règles de l’OMC par Airbus. Peu importe la validité des cas, ce qui est essentiel est la polémique dans une atmosphère électrifiée par les exigences de réduction du déficit fédéral.

Ce dernier point achève d’ailleurs d’établir une nouvelle situation aux USA pour les industriels européens. Jusqu’il y a quelques années, les Européens voulaient pénétrer sur le marché US pour l’apport de technologies et pour les gros budgets du Pentagone. Les deux arguments se sont successivement érodés, à mesure de l’avancement de la crise du technologisme et de la crise budgétaire aux USA. Aujourd’hui, les USA n’ont plus rien de ce “paradis des marchands de canons” dont rêvaient les Européens, avec l’avantage systématique donné aux industries US ou des conditions draconiennes exigées des Européens, pour des budgets qui dépendent de plus en plus de réseaux de corruption privés pour les énormes dépenses périphériques, et de plus en plus surveillés et contraints pour ce qui concerne les grands programmes. Même les Américano-Britanniques de BAE commencent à réfléchir à une stratégie d’un “certain retour” vers l’Europe.

A la lumière de tous ces événements, on comprend que l’agitation des côtés russe et chinois prend tout son sens et tout son poids. Quoi qu’elle en ait voulu et quelle qu’aient été ses velléités vertueuses, moralisantes et discoureuses, comme on l’a vu plus haut et comme on le constate de plus en plus, l’Europe a établi de plus en plus de liens avec la Russie et avec la Chine, et poursuit ce processus qui est dans la nature même des crises multiples qui se développent, – y compris, le cadre général de la crise eschatologique qui touche notre civilisation. Les nouvelles concernant les nouveaux avions de combat chinois et russes sont intéressantes parce que, d’abord, elles se situent dans le contexte transatlantique qu’on sait, ensuite parce qu’elles témoignent d’une avancée importante des deux puissances pour les amener au rang de coopérantes (avec les Européens) dans ces domaines. Enfin, et surtout, elles sont importantes parce qu’elles se situent dans un contexte général (celui des crises eschatologiques) où des domaines jusqu’ici strictement séparées (comme l’économie et la sécurité dans le cas russe et surtout chinois) tendent à converger jusqu’à des points d’une éventuelle fusion constructive. Cette sorte de convergence, avec la possibilité de coopérations qui semblaient impensables il y a encore 2 ou 3 ans, semblent concrètement moins impensables depuis la vente du Mistral, et elles pourraient devenir très vite concevables et souhaitables, – notamment en fonction de l’évolution de la situation outre-Atlantique.

Si nous développons ce sujet à propos des nouveaux avions de combat russe et chinois, c’est parce que c’est dans ce domaine que la situation européenne va rapidement devenir intéressante et critique, et intéressante parce que critique, à cause de la catastrophe du JSF.

• L’argument des plus atlantistes parmi les Européens, ceux qui ne peuvent concevoir que des rapports antagonistes avec la Russie et la Chine, et de servilité avec les USA, étaient jusqu’ici de deux ordres, selon les bonnes (de plus en plus rares) ou mauvaises nouvelles du JSF : les USA sont assez forts pour nous protéger et nous fournir des avions sans équivalent au monde, grâce au JSF ; ou bien : certes, le JSF va mal, mais de toutes les façons tout le monde en est à la génération précédente et les F-15, F-16 et F-18 US modernisés feront l’affaire… Le JSF va mal et le premier argument a du plomb dans l’aile ; les Russes et les Chinois développent de nouveaux avions et le second argument ne vaut guère mieux. Que diront les Polonais volant sur des F-16 dans un état déjà incertain et avec la présence discontinue d’un escadron de F-16 dépassés de l’USAF (si l’USAF en a encore de disponibles), lorsque les Russes aligneront leurs Su-35S puis leurs T-50 ?

• L’autre argument, européen celui-là, s’épargne la charge habituelle de l’antagonisme et voit les choses différemment. Il constate la crise US d’une part, la nécessité pour les pays européens d’une certaine modernisation de leurs forces aériennes d’autre part. (Nous ne jugeons pas cet argument opérationnellement essentiel mais nous le considérons avec faveur pour ses implications politiques, – nous nous en sommes souvent expliqués.) Dans ce cas, il faut envisager d’autres voies d’équipement, et les envisager plutôt dans un esprit de coopération avec des puissances avec lesquelles on veut établir des liens de coopération.

• D’autres voies d’équipement, c’est d’abord l’Europe… Si la situation envisagée implique des tensions avec les USA, comme c’est le cas, un avion comme le Gripen, qui est tenu par un équipement proche de 50% d’origine US, est hors-jeu. Les Anglais, qui participent au Typhoon et avec lesquels les Français favoriseraient une coopération sur d’autres programmes, – les Anglais sont les Anglais. Tout dépendra de ce qu’ils feront de leurs liens avec Washington, et l’on comprend de quelles façons. Pour eux, un “tournant européen” nécessite une rupture avec Washington… On verra (certains diraient : “c’est tout vu” ?).

• …Mais ce paysage européen, pour devenir cohérent dans le contexte que nous envisageons, avec la situation US en évolution catastrophique et des rapprochements avec la Russie et avec la Chine, doit effectivement évoluer d’une façon de plus en plus affirmée vers la voie complémentaire d’une coopération avec ces deux derniers pays, assurant une stabilité des relations politiques et d’éventuels avantages économiques. Au niveau des avions de combat, si la problématique est située dans le contexte général qui importe, la chose a sans aucun doute un sens. Et, dans ce cas, une fois de plus, malgré l’exceptionnelle médiocrité et les palinodies pro-américanistes de sa direction politique, c’est, du côté européen, la France qui est politiquement, technologiquement et culturellement la mieux placée, pour toutes les raisons du monde, – c’est une fatalité que nous a refilée le Général. Au reste, on sait bien que Sarko, qui est un sentimental, ne sait pas résister à ses amis Poutine et Medvedev et, s’il le faut, il en sera de même avec son ami Hu… La France a pour elle, dans le domaiune évoqué, le Rafale, qui vaut ce qu’on sait, qu’elle ne vend pas parce qu’elle continue à acquiescer aux normes américanistes du commerce des armes et qu’elle entretient une politique ambiguë à cet égard, concurrente des USA ici, là “amie privilégiée” des USA. La situation que nous envisageons, à nouveau, forcerait à modifier fondamentalement ces données.

…Pendant ce temps, peut-être l’UE commencera-t-elle à étudier sérieusement la question de la levée de l’embargo des armes vers la Chine. En attendant, un conseil : continuons à suivre avec attention le destin du JSF, si prometteur à bien des égards.