L’exaspérant Ron Paul, favori des conservateurs US en 2011 comme en 2010

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Chaque année en février, comme on commence à le savoir, se réunit aux USA la CPAC (Conservative Political Action Conference), qui réunit les conservateurs US, dont les républicains. La conférence est l’occasion d’un sondage informel, qui permet de déterminer les favoris des conservateurs pour les élections présidentielles. En 2010, grande surprise avec la première place remportée par le “marginal” Ron Paul. En 2011, la surprise n’est plus une surprise, mais une confirmation. Malgré des précautions formidables prises par les caciques du parti républicain pour tenter de contrôler le processus du sondage et écarter Ron Paul d’une éventuelle nouvelle première place, ce même Ron Paul est à nouveau premier (30% des voix, contre 31% en 2010), devant Romney (23% des voix, contre 21% en 2010).

La victoire de Paul a tout de même dû être répercutée dans la presse-Pravda, car l’on se rapproche de 2012 et la réunion de la CPAC est une étape importante dans le processus de sélection. La façon dont cette victoire est minimisée, diabolisée, marginalisée, sous l’inspiration des “experts”, “stratèges politiques”, etc., tous appointés des structures de l’establishment, rayon GOP (parti républicain), est extrêmement remarquable. Sans chercher beaucoup, simplement avec un texte de Politico.com et un autre de Reuters, on retrouve cette logique implicite qui tend à tenter de faire de Ron Paul, vainqueur du sondage, un non-candidat, un non-être, une aberration politique détestable et indigne d'exister.

• Tout le texte de Politico.com, du 12 février 2011, est à lire dans ce sens. On citera ce passage où Ron Paul est décrit comme “une menace” contre la conférence et les sondages qui y ont lieu parce qu’il domine l’un et l’autre de la tête et des épaules, et qu’il n’a aucune chance d’être désigné comme candidat républicain ; parce qu’il est très populaire et que cette popularité est elle-même suspecte, presque une aberration, et ne peut correspondre au choix du GOP, etc. «But the more pressing threat to the relevance of the venerable conservative confab, or at least its straw poll, is the continued dominance of Paul. The 75-year-old congressman may run for president again, but his prospects for winning the GOP nomination are nil. Yet because he has an intense following among antiwar youths, and has supporters who are willing to organize his effort, the libertarian-leaning Paul dominates the balloting and renders the survey as largely irrelevant…»

Dans le texte, le directeur de la conférence explique que, dans un grand élan de libéralisme, la conférence n’a pas interdit à Ron Paul d’y participer, pour crime de trop grande popularité… Signe que les caciques du parti y ont songé, qu’ils ont reculé devant la tempête qu’aurait soulevée une telle décision relevant de la censure à ciel ouvert, type-soviétique des belles années. «There is, however, little appetite among organizers to remove Paul from the ballot. Doing so would result in losing hundreds of fee-paying attendees and spark a backlash among an energized bloc of activists. “I think CPAC would be diminished if we got into a censoring of what our message ought to be,” said Al Cardenas, who will oversee CPAC going forward as the new ACU chairman.»

• Le texte de Reuters du 13 février 2011, est de la même eau. La victoire de Paul est attribuée à “l’émotion”, à l’espèce de “culte” qui entourerait ce marginal exaspérant, – étrange “marginal”, somme toute, qui réuni autour de lui une telle popularité qu’elle en devient suspecte à force de s’exprimer, – cela conduisant l'auteur de l'article à expédier le même Ron Paul d’un très sec «Political analysts say Paul has no chance to win the 2012 nomination»… Du coup, l'analyse s’intéresse essentiellement à Romney, qui, observe-t-elle, a accompli une performance remarquable avec une seconde place et 23% des voix… (Mais pas Ron Paul, deux fois n°1, alors qu’il est marginal, tandis que Romney, membre éminent de l’establishment et disposant de tous les soutien qu’il faut, s’est fait déboulonner de sa position de favori par le même Ron Paul, – Romney, n°1 du sondage à la CPAC jusqu’en 2009…). («Former Massachusetts Governor Mitt Romney, who in the past has drawn skepticism from conservatives, had a strong showing with 23 percent, coming in second behind Paul's 30 percent.»)

Toute cette désinformation politicienne, cette cuisine anti-Ron Paul, sont aussi sordides et corrompues que le Système en général. Il n’empêche qu’elles nous permettent, l’une et l’autre, d’avoir une bonne mesure de l’inquiétude, de l’exaspération, peut-être bientôt de la panique devant la position exceptionnellement forte que continue à tenir et à affirmer le député libertarien du Texas. Les structures de l’establishment, les apparatchiks des partis autant que du monde de la communication (stratégie politique, relations publiques, publicités, lobbying) détestent Ron Paul qui “ne joue pas le jeu”, autant par ses positions politiques elles-mêmes, que par la dialectique anti-Système qu’il développe, que par les réseaux qu’il constitue et l’influence très forte qu’il a fini par établir.

Les textes qui rendent compte des résultats de la CPAC-2011 sont beaucoup plus nombreux que ceux qui rendaient compte des résultats de la CPAC-2010, – et, par conséquent, beaucoup plus inquiets, beaucoup plus désinformateurs, beaucoup plus insinuants devant cette persistance de la puissante position de Ron Paul. On peut être sûr que vont commencer des intrigues très sérieuses pour tenter d’éliminer Ron Paul du jeu politique. Cela ne sera pas aisé si ce n’est trop tard, parce que le GOP est loin d’être uni, parce que la “marginalisation” de Ron Paul n’en est plus tout à fait une, tant s’en faut. Ce point, qui n’apparaît pas dans les articles cités, qui se contentent de nous faire goûter à la soupe électorale américaniste dans toute sa puanteur bien connue, renvoie au fait puissant et évident que Ron Paul représente aujourd’hui un courant non négligeable dans le camp conservateur, qui est largement implanté à Washington, au sein du 112ème Congrès. Commentant (le 12 février 2011) la même réunion du CPAC, le Guardian situe effectivement l’événement dans ce contexte plus large, avec les références à Tea Party et, en prime, le récit de la façon dont Dick Cheney et Donald Rumsfeld ont été hués lors de cette même conférence du CPAC, jusqu’à être traités de “criminels de guerre”…

«In his speech to the conference on Friday, Paul the elder was the only speaker to address the current crisis in Egypt and criticised successive US administrations for “propping up a puppet dictator”, citing 30 years of uncritical support for Hosni Mubarak. Traditionally, Ron Paul's supporters (and the libertarian philosophy they espouse) have been dismissed as merely boisterous gadflies fluttering around the real heavyweight horsetrading for political power within the Republican party. The issues they champion range from the practical (passing a balanced budget amendment), to the fanciful (abolishing the Federal Reserve and reintroducing the gold standard); thus they have never been taken seriously by the Republican establishment.

»But the rise of the Tea Party movement has changed the rules of the game, and given a more public forum to topics that were previously seen as off-limits to conservatives – such as drastically reducing the size of the US military and the propensity of successive White House administrations to deploy it overseas. While critics are quick to dismiss the Tea Party as merely the rabid right of the Republican party, many of its members reside to “the North” of the traditional “left-right” ideological divide; as such, this makes the race for the Republican party's 2012 presidential nomination extremely difficult to predict. […]

»The Tea Party alone may not be big enough to unseat President Obama in 2012, but if its concerns are not addressed – including even the shibboleth of the defence budget – by the current crop of Republican presidential hopefuls, it is certainly capable of tripping up any GOP hopefuls making a dash for the Oval Office.»

A cela, on ajoutera cet écho de Washington (RAW Story, le 13 février 2011), d’une semaine agitée à la Chambre des Représentants qui nous montre que la pratique a déjà confirmé la théorie. On y décrit trois occasions où le leadership républicain a été battu ou a du reculer décisivement ; l'une est particulièrement significative tant elle fut le fait de Tea Party en tant que tel. («Finally, on Thursday, a Tea Party insurrection forced Republican leaders back to the drawing board when the fired-up activists rebelled against a spending blueprint they said fell short of drastic austerity steps they promised in last year's campaign.») Le Speaker de la Chambre, John Boehner, prototype du parlementaire de l’establishment corrompu par les lobbies, a dû reconnaître devant les journalistes : «We're in a new era. That means that the leaders may not get what they want every day.»

…Tout cela, qui nous conduit à observer que nous sommes déjà bien avancés sur la voie de la déstabilisation de l’establishment, avec cet affaiblissement constant du GOP classique, complice du parti démocrate au sein du “parti unique”. Les événements s’y prêtent, y compris les événements extérieurs. On comprend, comme le rappelle le Guardian, que Paul ait été le seul à évoquer la crise égyptienne, qui est une démonstration bruyante, a contrario, du cynisme, de la brutalité, et en fin de compte de la stupidité de la politique de sécurité nationale du Système que le GOP soutient avec constance. Il n’est pas agréable de commenter le naufrage du Titanic alors qu’on proclame avec un zèle pavlovien que la bête est insubmersible.

Mise dans la perspective qui convient comme le fait le Guardian, la conférence CPAC-2011 précise un peu plus les conditions chaotiques et incontrôlables où vont se développer les manœuvres de la bataille pré-électorale, avant les présidentielles de 2012, aux USA («…this makes the race for the Republican party's 2012 presidential nomination extremely difficult to predict»). Les affaires intérieures devant se poursuivre comme on les voit faire, de crise en crise et de coup de boutoir en coup de boutoir, il est de plus en plus possible que les éléments situés à la marge de l’establishment (Tea Party, Ron Paul, etc., mais aussi la gauche anti-guerre des démocrates) poursuivent leur évolution dans le sens d’une radicalisation anti-establishment, en utilisant avec habileté les instruments et les procédures de l’establishment, – confirmant ainsi qu’ils se sont constitués naturellement en un système antiSystème… Il est de plus en plus possible, lorsqu’on mesure le succès des modes de financement alternatifs comme Ron Paul lui-même l’avait expérimenté en décembre 2008, que l’on s’achemine vers une présidentielle de 2012 plutôt en forme de triangulaire, avec un indépendant anti-Système…


Mis en ligne le 14 février 2011 à 04H56