L'exemple belge (suite)

Faits et commentaires

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 641

L’exemple belge (suite)

30 mars 2003 — La Belgique continue à être fascinante, dans la mesure où elle nous montre comment, à partir d’une “base” et d’une “tradition” politiques d’une médiocrité extrême, — le système en place depuis 1947-48, qui en connaît en cette matière de la médiocrité, — elle engage des actes d’une importance majeure et non exempts de dignité. Elle y est aidée par l’aveuglement américain ; les Américains, incapables de se concentrer sur plus d’une crise à la fois, et c’est de l’Irak dont il s’agit, traitent la crise euro-atlantique avec une désinvolture type-Rumsfeld et laissent faire des choses qui détruisent le système d’hégémonie par influence et consentement qu’ils ont mis en place depuis 1945.

L’affaire belge du moment, c’est celle du traité bilatéral de 1971, clairement signé dans le cadre ultra-légaliste et quasi souverain (à l’époque) de l’OTAN, autorisant l’utilisation sans restriction de l’espace aérien et des voies de communication en Belgique par les USA, dès lors qu’il y a un “ état de crise” acté par une position officielle de l’OTAN, et confirmé évidemment par le vote unanime de ses membres. Le traité de 1971 est une grossière annihilation de la souveraineté nationale belge, mais qui n’a nécessité aucune pression particulière des USA, aucune attitude à-la-Bush ou type-Rumsfeld. Il a été signé (secrètement) en 1971 en toute conscience et en toute bonne conscience, sous la pression, à la fois des dangers de la Guerre froide, du poids soviétique (ce qu’on en percevait) et de la présence US en Europe (ce qu’on en percevait), — et enfin sous la pression indiscutable de cette quasi-légitimité qu’exerçait à cette époque l’OTAN sur ses membres européens, surtout les plus faibles et les plus petits.

Quelques données sur la situation actuelle :

• Le 13 septembre 2001, l’OTAN décide (vote nécessairement unanime de ses 19 membres) que, dans le cas de l’attaque du 11 septembre, l’article 5 est d’application. Concrètement, cela signifie que l’OTAN porte aide et assistance aux USA et qu’il y a effectivement état de crise. Tout cela n’a aucun sens, le bon sens le dit aussitôt (l’OTAN à l’aide des USA  !). Tout cela est du bricolage du secrétaire général, dont on sait les tendances et accointances ; son objectif est de donner un rôle à l’OTAN, qui n’en a plus aucun, et cela ne peut se faire que par une mesure d’alignement sur les USA. De cela, les USA n’ont cure, ils le montreront 13 jours plus tard (visite de Wolfowitz à l’OTAN) en venant informer les autres que les USA n’ont rien à faire de l’OTAN dans cette affaire. (D’ores et déjà, les Belges ont leur différence. Ils sont les plus acharnés contre cette initiative de Lord Robertson of Port Eillen, qu’ils considèrent comme une basse manoeuvre. On ne leur donne pas tort. Depuis, les relations entre la Belgique et le secrétaire général manquent de plus en plus d’aménité.)

• L’essentiel pour nous, ici, est bien qu’il y a “état de crise”, qui rend l’accord de 1971 d’application.

• Un saut de 16 mois. La situation euro-atlantique s’est tendue et la Belgique est à la pointe de la résistance anti-US. La guerre va avoir lieu en Irak, les USA commencent à déplacer leurs forces d’Allemagne vers le Golfe. Certaines transitent par la Belgique, sans la moindre information pour les Belges (les convois US se présentent aux postes frontières et entrent sur les autoroutes belges, comme vous et moi avec une caravane). Cette désinvolture agace ; le traité 1971, même s’il est sur le fond un complet abandon de souveraineté, entend y mettre quelque forme et fait un devoir aux Américains d’informer les Belges de tout transit de forces militaires US sur leur territoire. Les USA type-Rumsfeld ne s’embarrassent pas de telles manières.

• L’agacement né de la désinvolture, ou de l’impolitesse US, va grimper vers un paroxysme au fur et à mesure que la fièvre anti-guerre fait de même. Le gouvernement belge, le monde politique belge vont y être sensibles au point où ils vont mettre d’actualité cette question du transit US. Vertu chatouilleuse pour la souveraineté ? Il y a de cela (un petit peu) et, d’autre part, il y a une période électorale. La médiocrité du système nourrit sa très paradoxale et complètement involontaire grandeur.

• Certains (les Verts/écolos, principalement) veulent purement et simplement une interdiction immédiate de transit. Dans la fièvre, certains ministres non-Verts succombent un instant au charme de cette intransigeance (Louis Michel, affaires étrangères, et Flahaut, défense, il y a deux semaines à la télévision). L’affaire devient du pur juridisme, car sur le fond, qui est politique, tout le monde est désormais emporté par l’unanimité de l’évidence (nécessité de dénoncer ce traité). La position du gouvernement, plus ou moins imposée pour certains, est de dire qu’il y a un traité et qu’on ne peut que le respecter tant qu’il existe. (Argument de la vertu : les Belges ne vont pas faire ce qu’ils reprochent aux Américains de faire, de violer les traités. Contre-argument de la vertu : l’ONU n’a pas autorisé cette guerre, c’est une guerre illégale, la Belgique est donc fondée à refuser son aide à cette guerre parce que le traité de l’ONU a prééminence sur l’accord bilatéral de 1971.)

• Laissons tout cela et observons le résultat, qui est nécessairement un compromis “à la belge” pour éviter une crise au sein du gouvernement à deux mois des élections : on va renégocier l’accord bilatéral de 1971, c’est-à-dire l’abroger dans les règles ; cela prend du temps et cela sera sans doute le fait du prochain gouvernement. Le ministre Louis Michel dit que les USA ne feront pas de complications. (bis repetitat : les USA, tout entier concentrés sur l’Irak, ne prennent aucune attention particulière à leur “front” européen.) Des partis se prononcent effectivement, d’ores et déjà, pour l’abrogation de l’accord dans le cadre légal d’une consultation avec les “amis” US (c’est le cas des socialistes francophones, emboîtant le pas aux Verts, mais avec plus de retenue), — et toujours ces élections en ligne de mire pour garder le fer au feu, pour empêcher que la question soit mise de côté (en Belgique, on dit, comme partout  : “encommisionnée”.)

Et voilà, comment la Belgique a ouvert la boîte de Pandore. Le premier parmi les pays OTAN complètement soumis à la souveraineté OTAN/USA de la Guerre Froide, elle remet en cause un des textes secrets de cette abdication de souveraineté. Dans le climat actuel, le reste va suivre, comme on détricote un chandail. On va parler du stationnement ou pas d’armes nucléaires US en Europe ; on va parler d’accords secrets au niveau des services de renseignement  ; on va parler des dispositions des coopérations dans le domaine des armements ; etc. Cette lessive est non seulement nécessaire, elle est inévitable. Les événements y pressent. On laisse l’esprit libre de vagabonder pour mesurer l’ampleur des conséquences d’un tel événement, lorsque l’Europe mesurera le degré de sa sujétion juridique aux États-Unis, imposée durant la Guerre froide aux dépens de sa souveraineté.

(Cela vaut pour les institutions comme pour les pays. La Commission européenne, par exemple, vit complètement dans l’éther irrationnel de ces illusions pré-9/11 et du temps de la Guerre froide où l’alliance américaine était un acte de foi. On sait peu, bien sûr, que la Commission reçoit chaque année dans ses services des “stagiaires” US dont certains viennent du département d’État et d’autres du Pentagone. La réciproque n’est pas acceptée. Pourquoi ? Parce que le département d’État et le Pentagone fonctionnent dans une situation de confidentialité à laquelle des fonctionnaires de la Commission ne peuvent prétendre échapper.)