L’exemple ukrainien : le bouc-émissaire et le savoir

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L’exemple ukrainien : le bouc-émissaire et le savoir

On va mettre en parallèle deux interventions, à cinq jours d’intervalle, de trois dirigeants politiques de pays du bloc BAO, par rapport à la situation en Ukraine et concernant l’attitude des Russes. La caractéristique de ces interventions est leur remarquable similitude, selon une logique dont le ton officiel du discours et l’assurance qui l’accompagne sembleraient assurer la validité et l’application impeccable et complètement rationnelle. Les mêmes déclarations (exigences assorties de menaces si ces exigences ne sont pas satisfaites) ont déjà été faites à d’autres occasions concernant la situation en Ukraine, et nous irions jusqu’à annoncer audacieusement qu’il y en aura d’autres, exactement similaires, pour d’autres circonstances également ukrainiennes. Tout cela suit absolument le même modèle-standard.

• Le premier cas est celui de la rencontre Hollande-Merkel du 10 mai, où il a bien entendu question de la situation en Ukraine. Les deux dirigeants européens ont affirmé conjointement que des sanctions nouvelles seraient prises contre la Russie si la situation continuait à se dégrader Ukraine. Le commentaire RIA Novosti, du 12 mai 2014 qui accompagne la nouvelle exsude l’indignation.

«Les chefs des exécutifs allemands et français ne se sont pas inspirés des Evangiles lors de leur réunion commune à Stralsund, le 10 mai 2014. Ils menacent la Russe de sanctions “si la situation se dégrade en Ukraine”, comme si les Occidentaux et le pouvoir de Kiev n’y étaient pour rien ! Loin de s’interroger sur leurs propres échecs, ils jettent la pierre, une fois de plus à la Russie, commode bouc émissaire !»

• Cinq jours plus tard, c’est le tour du secrétaire d’État John Kerry d’employer le même argument pour la même menace (nouvelles sanctions), pour les mêmes circonstances (la situation en Ukraine), tout de même avec un souci du détail tout à son honneur. Cette fois, il s’agit du scrutin du 25 mai, dont Kerry tient les Russes responsables du bon déroulement. Plein de sagesse et de modération, il ne va pas à des exigences plus précises encore (du type si la participation est inférieure à tant de pour cent, les Russes seront tenus pour responsables, si tel candidat n’est pas élu, idem). (Sur Antiwar.com, le 16 mai 2014.)

«Speaking today in London, Secretary of State John Kerry says the US is prepared to impose yet more sanctions on Russia later this month if Ukraine’s upcoming presidential election is “disrupted” by protests. [...] Kerry said he wants Russia to play a “constructive role” in the May 25 Ukraine vote, which aims to replace the ousted pro-Russian government with pro-Western officials.»

Il est donc amplement montré et démontré qu’il s’agit d’une procédure quasiment automatique depuis désormais plus de deux mois. Elle revient à rendre la Russie comptable et coupable de tous les événements qui, en Ukraine, ne correspondent pas au modèle de développement de la situation que privilégie impérativement le bloc BAO, – c’est-à-dire l’organisation apaisée d’une démocratie vertueuse, née de l’équipe mise en place à Kiev par des événements largement favorisés par le bloc. On notera que tout cela ne change pas fondamentalement la situation. Les sanctions contre la Russie suivent une autre logique que le coup par coup et ne correspondent nullement à des décisions liées au déroulement précis de la situation ukrainienne. Les sanctions sont décidées non pas en fonction de tel ou tel événement en Ukraine, mais selon des critères tout autres, qui concernent une planification bureaucratique, avec la prise en compte de divers effets et conséquences directs et indirects tells qu’on les appréhende (notamment, les contre-effets, type-boomerang, que telles sanctions pourraient produire chez ceux qui les décident). Du coup, la thèse de la “Russie bouc-émissaire”, que suggère le commentaire de Novosti, doit être considérée avec un certain scepticisme. La politique de sanctions a été décidée d’une façon autonome, apparemment en fonction de certains événements (notamment l’annexion de la Crimée), mais selon des considérations qui sont elles-mêmes assez suspectes, – notamment, selon l’idée que l’annexion de la Crimée est non seulement une des sources de la situation de désordre de l’Ukraine, mais plus encore, que la Russie est la seule responsable de cette situation de désordre, qu’elle est même la seule responsable, qu’elle a organisé les événements en Ukraine pour en prendre prétexte et arriver à ses fins (pour l’instant, l’annexion de la Crimée). On sait combien cette version est contestée comme grossièrement faussaire, jusque par des personnages consacrés de l’establishment washingtonien (voir Kissinger, le 15 mai 2014), et selon des faits avérés.

La question qui se pose est donc de savoir si la Russie est vraiment prise comme bouc-émissaire, c’est-à-dire jugée coupable et cause de tous les désordres ukrainiens à partir d’une décision et d’une analyse faussaires, et que les “sanctionneurs” savent être effectivement faussaires. Justement, ce n’est pas tout à fait notre avis. Pour nous, la Russie n’est pas pour ceux qui l’accusent un bouc-émissaire (c’est-à-dire quelque chose qu’on charge indûment et faussement, et en toute connaissance de cause de la responsabilité d’événements fâcheux), elle est sincèrement et entièrement jugée coupable de l’aspect catastrophique des événements, à partir d’une appréciation générale, certes, mais également d’exemples que nous connaissons du fonctionnement du processus général d’évaluation de la situation dans des institutions impliquées dans la crise, notamment les institutions européennes. Il existe dans ces milieux une tendance générale à privilégier la version “complètement faussaire” selon notre jugement, mais nullement en la reconnaissant comme telle, et encore plus et au contraire, en la jugeant comme tout à fait juste en toute bonne foi. C’est-à-dire que l’appréciation “en toute bonne foi” de la situation par ces bureaucraties conclut effectivement, d’une façon nullement manipulée, à une responsabilité fondamentale et originelle des Russes dans cette crise, et à leurs responsabilités conjoncturelles dans les événements qui se produisent en Ukraine. D’une façon générale, les analystes et bureaucrates du bloc BAO croient à ce qu’ils disent dans le sens qu’on voit, et cela à partir d’enquêtes sur le terrain, d’échanges diplomatiques, d’analyses bureaucratiques développées sincèrement, sans volonté de tromperie, sans dissimulation ni manipulation volontaires et conscientes. Là-dessus, certes, règne un mécanisme psychologique qui va dans ce sens, d’une façon écrasante, – les US nomment cela groupthink ou groupthinking (voir le 30 septembre 2003), – qui implique le réflexe fondamental de privilégier, là aussi sans intention de manipuler, les éléments privilégiant la “ligne du Parti”. Cette sorte de conformisme général et impératif a son effet lorsque parfois un chercheur ou un analyste dévie de la ligne générale parce qu’il collecté certains éléments discordants, ou bien lorsque l’un ou l’autre, sensible aux échos extérieurs qui montrent une vérité de situation complètement différente, émet quelques doutes. Mais, d’une façon générale, nous plaidons avec force l’appréciation qu’il existe un réel savoir de communication qui substantive ces versions complètement faussaires. (Il faut tout de même signaler que les restrictions, les surveillances, voire les sanctions, etc., devant des réactions dissidentes, même isolées, à l’intérieur du Système, surtout dans des échos publics, sont de plus en plus impitoyables aujourd’hui, notamment dans les institutions européennes, ce qui constitue une évolution significative par rapport à ce qu’il en était il y a 15 ou 20 ans. C’est le signe indubitable que le Système est très inquiet de la persistance, voire de l’amplification des visions dissidentes, avec crainte de contamination... Ce qui nous conduit en passant à observer que le Système que nous percevons comme une entité non humaine, le Système, lui, au contraire des sapiens-Système, sait précisément ce dont il s’agit.)

Notre observation générale est donc que le pouvoir en place, qui détient aujourd’hui une puissance considérable, souffre par contre d’un déficit grandissant jusqu’à devenir colossal, du savoir (information, communications) de la vérité de la situation, ce qui constitue une faiblesse objective extrêmement grave. Nous n’avons pas affaire à des gens qui mentent consciemment et volontairement, qui organisent fondamentalement des manipulations (même s’ils y cèdent occasionnellement, lorsque le processus est engagé), mais qui dépendent d’une organisation du processus d’acquisition de leur savoir d’une façon telle que la conception générale soit rencontrée, et que la vérité de la situation soit ignorée, sinon contredite d’une façon de plus en plus grotesque. La situation ukrainienne est un exemple sans précédent à cet égard, par la formidable importance de l’absence de savoir de la vérité de la situation dans le chef du bloc BAO.

Il reste à déterminer quelle est la cause fondamentale originelle de cette distorsion organisée inconsciemment ; si l’on répond “l’idéologie”, l’on n’aura pas encore répondu à propos de la cause première puisque l’on n’aura parlé que d’une cause que la conscience greffe sur un processus d’ores et déjà engagé inconsciemment, pour l’habiller a posteriori des vêtements brillants d’une pseudo-conception intellectuelle ; l’on aura encore moins répondu, que toutes les évolutions dépendantes de ces distorsions vont toutes dans le même sens de la déstructuration, de la dissolution et de la destruction du monde, donc de l’entropisation (processus dd&e) qui est le contraire de ce que ces organisations fortement structurées devraient rechercher pour se l’annexer. (Il n’est pas nécessaire de mettre l’Ukraine à feu et à sang comme c’est le cas aujourd’hui pour lui imposer le traitement FMI, puisque les interlocuteurs du Système qui la dirigent ne demandent que cela.) On se doute que c’est là, dans cette convergence, que se situe pour nous la clef du Mystère, puisqu’on retrouve cette formule (dd&e) dans la production naturelle, par l’intermédiaire opérationnel du Système, du phénomène que nous jugeons originel de la séquence historique/métahistorique actuelle, dito le “déchaînement de la Matière”.


Mis en ligne le 17 mai 2014 à 11H31