L’expertise germanopratine

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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L’expertise germanopratine

30 novembre 2019 – Il fut un temps dans la période d'après-guerre où les journalistes français avaient une connaissance solide, et même parfois brillante, des affaires internationales, notamment des relations avec les USA et de la situation US, de l’OTAN, etc. Cela vaut surtout pour le temps de la Guerre froide, essentiellement pour les années1950 et 1960 sans aucun doute.

(Mon explication pour cette période est qu’alors il n’était pas encore envisagée de boucler le savoir de toute chose en matière de relations extérieures et tout ce qui y affère en transférant la patate chaude au concept et aux instances remarquablement informées de “l’Europe”, éventuellement avec l’OTAN en mode de réhabilitation après les éclats gaullistes. Cette attitude aparut dès l’époque qui suivit [courant des années 1970], lorsque l’Europe devint un sujet inévitable dans tout ce qui concernait l’extérieur de soi, et effectivement le chroniqueur perdit toute souveraineté de jugement pour s’en remettre à une entité qui ne peut en avoir [de jugement], puisque privée de souveraineté.)

Aujourd’hui, le niveau d’ignorance, d’inculture, d’aveuglement saupoudrées d’arrogance et de certitude de soi est, chez ces mêmes journalistes français, spécialiste de tout et rudement-grassement payés, stupéfiant au-delà de tout. Cela se situe au sous-sol du Mordor et ça parle autour des talk-shows bavards des grands réseaux d’infos, avec une assurance à ne pas croire, une assurance “qui ose tout” comme disait Audiard.

Je me fais souvent cette sorte de remarques et me décide à vous en faire part après avoir entendu O.M. (on l'a reconnu), éditorialiste tous-terrains de LCI, ce matin autour de 09H10. O.M. éditorialisait sur “les faits de la semaine” et on lui proposait, en ricanant comme il convient dans ce cas, à-propos de cette crapule d’Erdogan qui vient de dire qu’en fait de « mort cérébrale » (l’OTAN selon Macron), ce serait plutôt Macron qui en souffre. (L’aimable propos a valu une convocation de l’ambassadeur turc au Quai d’Orsay. On s’occupe comme on peut.) Bien, – alors, que pense O.M. de la sortie du Calife Erdogan ?

En substance, il dit que le propos de Macron sur l’OTAN, qu’on l’approuve ou non, a au moins du bon en mettant les choses à nue. Ainsi en est-il d’Erdogan qui est ainsi mis sur la sellette (à partir de son incursion en Syrie qui est la cause tout ce qu’il y a de plus apparent-simulacre du jugement de Macron sur l’OTAN) et dont on découvre, nous révèle O.M., “qu’il met l’OTAN en danger en achetant des systèmes de missiles russes anti-aériens” ; et même, – écoutez cela, la traîtrise n’a plus de bornes, – “qu’il a permis à des techniciens russes de venir en Turquie pour espionner avec leurs systèmes ainsi mis en place les secrets des avions américains dont les Turcs sont équipés”. Ainsi O.M. implique-t-il, par raisonnements en cascade, que la sortie de Macron contre l’OTAN (l’affaire terrible de la « mort cérébrale ») avait en vérité pour but de défendre les secrets du F-35.

Est-il bien utile de passer en revue les sottises innombrables dont est marquée cette intervention, du “danger” que les S-400 font courir à l’OTAN (de même que les S-300 dont les Grecs sont équipés depuis nombrecd'années ?), de l’“espionnage” que des Russes déguisés en S-400 vont effectuer sur les nombreux F-35 dont la Force Aérienne turque n’est pas encore équipée, qui font l’objet d’un marchandage grotesque au point qu’on ne sait s’ils seront livrés, qui sont d’ailleurs et d'ores et déjà largement “calibrés” et “éclairés” par les Russes et les Chinois lorsqu’il leur arrive de voler, etc... C’est donc cela qu’un chroniqueur-vedette arrive à nous sortir de la déclaration Macron sur l’OTAN, répétée à plusieurs reprises : démasquer un complot russo-turque pour saboter l’OTAN alors qu’elle est faite pour tenter d’être quitte de l’OTAN et tenter de se rapprocher décisivement des Russes. Non seulement on dit des sornettes déguisées en sottises, ou le contraire, en abordant un simulacre hors-sujet et complètement annexe farci de ragots de salon, mais on en sous-entend suffisamment pour en laisser conclure comme explication d’un tel acte (la déclaration de Macron) le contraire de ce qu’il prétend tenter.

Que vaut donc O.M. dans cette aventure ? Répond-il à la définition de  Pilger sur les journalistes post-modernes (malgré son âge respectable qui laisse à penser qu’il exerça avant l’arrivée du “nouveau monde”, mais la mémoire d’une cervelle d’oiseau ne suffit pas) :

« Aujourd'hui, les vrais francs-tireurs sont redondants dans les médias grand public. Les relations publiques du Corporate Power sont la force dominante du journalisme moderne. Regardez la façon dont les nouvelles sont écrites : presque rien ne répond à la juste réalité. J'ai écrit pendant de nombreuses années pour le Guardian ; mon dernier article date d'il y a cinq ans, après quoi j'ai reçu un appel téléphonique. J'ai été liquidé, ainsi que d'autres écrivains indépendants. Le Guardian promeut maintenant la fiction sur la Russie d’une façon obsessionnelle, les intérêts des services de renseignements britanniques, d’Israël, du Parti démocrate américain, les narrative de la théorie des genres si chère aux bourgeois et une vision très satisfaite de lui-même. »

Même pas vraiment... Je crois que c’est lui faire trop d’honneur que de croire qu’il “obéit” à des ordres ; l’autocensure, d’une part, suffit à la besogne ; mais surtout et d’autre part, cette longue et rapide descente dans la servilité absolument-volontaire rend de plus en plus stupide, et bientôt enchaîné au  déterminisme-narrativiste (narrative de départ : “les Russes sont les vilains”) qui les mène tous par le bout du nez sans qu’ils n’y voient goutte, alignant les sornettes-sottises sans même songer à les évaluer, comme des robots lobotomisés-zombistropiés.

C’est à mon avis une très grande faiblesse d’avoir, comme ça, les grands noms des plateaux se lancer dans des racailleries de la sorte, – une très grande faiblesse pour le Système, le Corporate Power, les 1% et toute cette clique. Je veux dire qu’écoutant O.M., ses approximations, cette évidence qui suintait de toutes ses paroles assez molles et sans conviction qu’il parlait manifestement de quelque chose à propos de quoi il ne pouvait rien ni entendre ni comprendre, qui même ne l’intéressait pas une seconde, en l’écoutant et en l’entendant de la sorte le doute s’installe dans votre oreille et vous vous dites : “Ce type, finalement, dit n’importe quoi”. C’est exactement cela, et il est payé assez haut pour cela, car ce n’est pas une spécialité si commune d’arriver à dire n’importe quoi sans se demander si l’on n'est pas en train de dire n’importe quoi...

Ainsi, John Pilgen, en est-il du journalisme assermenté aujourd’hui ; de la volaille de basse-cour qui vous pond des œufs carrés en bêlant comme un mouton du Sieur Panurge que la chose est importante.