L’extraordinaire désertion des démocrates

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C’est un phénomène singulier, étrange, voire extraordinaire, que met en évidence le Daily Telegraph du 16 février 2010: l’exode de sénateurs démocrates annonçant qu’ils ne se représenteront pas en novembre. Mais plutôt que d’“exode”, parlant de désertion devant l’ennemi, voire de déroute d’une armée en campagne qui se dissout, qui refuse le combat tant elle se sent, non pas battue d’avance, mais dépourvue de l’esprit du combat et de l’espérance de la cause. Et l’on parle d’un parti qui occupe une énorme majorité et qui vient de remporter les présidentielles après une présidence républicaine extraordinairement calamiteuse.

«There was speculation on Tuesday that the next to join an exodus ahead of the November elections could be Blanche Lincoln, who represents the conservative southern state of Arkansas and is behind every putative Republican challenger in opinon polls. The Senate Majority Leader, Harry Reid, is meanwhile trailing all his potential Republican opponents in his state of Nevada, and even Mr Obama's old Senate seat in Illinois is expected to be close run.

»The White House was rocked on Monday by the announcement by Evan Bayh, a popular, centrist senator from Indiana, who became the fifth senator to confirm he will not run for re-election. The latest speculation of more senators coming forward will only add to President Obama's woes and raise the prospect his party could lose its majority in Congress.

»The emerging consensus in Washington is now that the Democrats have only a 50-50 chance of keeping control of the Senate, where they currently hold 59 out of the 100 seats, in what would be a stunning reversal of fortune after the party's clean sweep in 2008.

»It has already lost the 60-strong majority that automatically overrode procedural blocks, after little known Republican Scott Brown last month captured a Massachusetts seat held by the late Edward Kennedy for 47 years. Other Democrats are expected to withdraw from fray before deadlines fall for standing in the midterms, when 33 Senate seats and all 435 House of Representative seats will be contested.»

Notre commentaire

@PAYANT Si nous devions choisir le symptôme le plus représentatif de la crise du système (américaniste et occidentaliste, unissons-les tant ils sont le même), ce serait celui-là. Cette épidémie de retraits, d’abandons, de retraites opportunes (sans compter les malades et les très vieux sénateurs démocrates qui sans doute ne se représenteront pas ou s’en iront, – Byrd, 92 ans, Lautenberg, 86 ans, Specter, 80 ans), – tout cela, on le comprend, ne dépend pas seulement des fatigues personnelles, des humeurs, ni même des seules perspectives électorales selon les sondages pour chacun d’entre eux. Il y a bien autre chose au-delà, qui dépasse le parti démocrate, qui est une formidable indication de l’état d’esprit du système as a whole. Il s’agit des démocrates parce que les circonstances les mettent en position de la puissance dominante qui découvre ses pieds d’argile, mais c’est bien le système tout entier qui est concerné, évidemment avec ses pieds d’argile.

… La “puissance dominante” qui, bien entendu, n’a rien osé faire dans le sens où il aurait fallu, parce qu’elle est tenue par ce qu’elle juge être les obligations du système, parce qu’elle est évidemment corrompue par tant de forces d’argent par ailleurs souvent antagonistes, parce qu’elle a peur d’agir, parce qu’elle est paralysée par l’attaque anarchiste et nihiliste du parti républicain qui joue son rôle antagoniste dans l’agonie du système, – sans parler des inconnues diverses, qu’on tente bien de “diaboliser” pour s’y retrouver, comme l’insaisissable et bordélique Tea Party, qui représente, volens nolens et avec ses innombrables inepties, le courant puissant de la colère populaire. Tout cela est parfaitement représenté par l’imperturbable président Obama, qui pourrait effectivement bien être, paradoxalement et presque par nihilisme paradoxal, en poussant la logique du désordre du système à son extrême, sans trahir le système mais en poussant sa logique institutionnelle au terme, – qui pourrait bien être effectivement, par son administration même, cet “America’s Gorbatchev” dont parle Goure. Il faut dire que BHO, de son côté, dans cette période pré-électorale, fait de son mieux pour activer élégamment le mouvement.

Alors, revenons aux désertions. Pas d’autre mot, n’est-ce pas, devant ces sénateurs qui abandonnent la bataille avant que la bataille n’ait lieu, pratiquant dans cette extraordinaire occurrence l’art éminemment européen et tauromachique de l’esquive. Une “extraordinaire occurrence” car cette situation est bien celle qui caractérise, non pas les armées en déroute après s'être battues, mais les armées puissantes avant la bataille qui se délitent de l’intérieur, par le poison de leur psychologie épuisée, vaincue, qui ne croit plus en la cause pour laquelle elles furent constituées. Les démocrates avant la bataille de novembre prochain (cela nous laisse bien du temps pour d’autres événements extraordinaires) commencent à ressembler à l’armée russe de Kerensky après la première révolution de février 1917 et la chute de Nicolas II, dont le comportement et la déroute avant la bataille furent l’un des plus formidables phénomènes de dissolution d’une force constituée de l’histoire militaire (rien à voir avec les mutineries de l’armée française à la même époque). Les démocrates, si puissants, si triomphants il y a quatre ans (victoire du mid-term de 2006) et il y a deux ans (élection de BHO), sont paralysés devant ce qui leur semble leur inéluctable défaite collective après la défaite isolée du Massachusetts. Mais la chose ne peut se comprendre en termes électoraux et partisans, elle représente en vérité une étape de plus de la dissolution du pouvoir d’un système aux abois.

En face, les républicains se réjouissent-ils? Pauvres et piètres esprits, si c’est le cas. On ne perçoit tout de même pas une marée enthousiaste, sauf chez les plus fous (il n’en manque pas). Si l’affaire se poursuit comme elle est lancée, – et Dieu sait si les désertions démocrates vont accroître le désarroi dans les rangs du parti et surtout chez les électeurs démocrates, – si finalement les républicains l’emportent, nous aurons un Congrès certes hostiles à Obama, et paralysant son pouvoir. (Mais est-ce vraiment grave, quand on voit comment il l’exerce, au point de se demander s’il y a vraiment “exercice” du pouvoir?) Nous aurons plus encore, bien plus grave: nous aurons un Congrès devenu fou, avec les républicains plongés dans la folie de la surenchère, conduits, forcés par leur victoire à un maximalisme effréné. Nous aurons un pouvoir absolument paralysé à Washington, avec ce pouvoir hurlant et éructant pour agir de la plus folle des manières, et impuissant à agir par le jeu des blocages et des contre-blocages. Certains diraient : “la Révolution est en marche”. Nous dirions que “la Révolution” paraîtra un exercice bien dépassé et bien ordonné à côté de ce que l’avenir proche nous réserverait dans le cas évoqué.


Mis en ligne le 17 février 2010 à 07H53