L’extrémisme de la paralysie

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L’extrémisme de la paralysie


17 mars 2006 — GW Bush et les courants de pensée dont il est l’émanation, ou bien le porte-parole attitré, se trouvent soumis à la nécessité d’une surenchère continuelle, à mesure de leur paralysie et de leur impuissance. Ces quelques faits signalés ci-dessous doivent être considérés corrélativement.

D’une part, les très récentes activités de GW Bush montrent une confirmation de l’orientation extrémiste de sa politique.

• Il y a la réaffirmation de son soutien aux néo-conservateurs.

• Il y a, surtout, la “nouvelle” stratégie US, qui est présentée publiquement aujourd’hui et qui reprend tous les thèmes de la “guerre cotre la terreur”, à commencer par la guerre préventive. Selon le Washington Post: « President Bush plans to issue a new national security strategy today reaffirming his doctrine of preemptive war against terrorists and hostile states with chemical, biological or nuclear weapons, despite the troubled experience in Iraq.

» The long-delayed document, an articulation of U.S. strategic priorities that is required by law, lays out a robust view of America's power and an assertive view of its responsibility to bring change around the world. On topics including genocide, human trafficking and AIDS, the strategy describes itself as “idealistic about goals and realistic about means.”

» The strategy expands on the original security framework developed by the Bush administration in September 2002, before the invasion of Iraq. That strategy shifted U.S. foreign policy away from decades of deterrence and containment toward a more aggressive stance of attacking enemies before they attack the United States. »

Ces interventions dans le sens d’une tentative de relance de la politique américaniste extrémiste se placent alors que les nouvelles sur l’intense fragilisation du pouvoir US, et de GW Bush en particulier, continuent à se succéder.

• Bush est aujourd’hui à 33% d’opinions favorables (sondage PEW du 15 mars). C’est une mise en cause sérieuse du record de Nixon dans ce domaine de l’impopularité. Bien entendu, Bush n’a jamais été aussi bas et son déclin marque une remarquable régularité qui nous conduit à y voir in phénomène structurel. Son autorité est très gravement mise en question dans un système où la voix de l’opinion publique (la dictature de la majorité) est devenue le facteur d’incitation politique fondamental.

• Un autre sondage impressionnant indique que le soutien à la guerre est tombé à 28% des Américains. Jim Lobe observe à ce propos:

« Three years after Pres. George W. Bush ordered U.S. troops into Iraq, public confidence in the operation is dwindling ever smaller, as is the belief that Bush's stated reasons for going to war were sincere, according to a new poll released here Wednesday by the University of Maryland's Programme on International Policy Attitudes (PIPA).

» Only 28 percent of respondents said they were confident the U.S. will succeed in its aims in Iraq, down from 40 percent 18 months ago. And the public now believes by a two-to-one margin that the Iraq war was one “of choice” and that “it was not necessary for the defense of the United States.” By a 54-46 margin, however, Republicans believe it was a “war of necessity.”

» In addition, one out of three respondents – up from one in four in October, 2004 – said Bush decided to go to war on the basis of assumptions that he knew were incorrect. »

La question de la guerre en Irak (avec ses tentatives répétées d’assimilation à la guerre contre la terreur pour pouvoir la justifier dans la durée) est le seul débat qui reste intéressant par lui-même aux USA, parce que c’est le seul débat à échapper à l’implacable règle de “la dictature de la majorité”. (L’administration continue à soutenir la guerre malgré le désir désormais manifeste de la majorité de la voir cesser.) La cause de cette exception de la part d’une administration rompue à la démagogie nous paraît se trouver dans son engagement dans ce conflit. Cet engagement nous paraît irréversible. L’administration s’est tant appuyée sur ce projet et ce projet a eu un tel soutien populaire au départ qu’il est devenu, dans le chef de ceux qui l’ont initié et y ont cru (et y croient encore : GW Bush lui-même) l’événement refondateur de la légitimité du système. La guerre en Irak vit encore dans les esprits de nombre de membres de l’administration parce qu’elle se confond avec les soutiens à GW Bush de 80%-90% de la période septembre 2001-avril 2003. Il est impossible d’abandonner cela, malgré la pression grandissante du public, parce que ce serait mettre en cause ce qui fait fonction de légitimité du système.

(Le paradoxe est si fort, à mesure de l’événement, que même les tentatives de l’administration de se libérer de l’Irak comme fardeau d’impopularité en réactivant le fantôme de la guerre contre la terreur échouent régulièrement. Tout se passe à cet égard comme si l’administration ne croyait pas vraiment à la possibilité de ce transfert, tant elle est “habitée” par la guerre en Irak.)

C’est ainsi que le régime US est enfermé dans une course à l’extrémisme malgré les défaites et l’affaiblissement constant de l’outil de cet extrémisme (la force militaire), malgré l’hostilité constamment grandissante pour les effets de cet extrémisme de la référence essentielle des politiciens américanistes (les sondages favorables). En restant enchaîné à sa référence irakienne, l’administration doit toujours tenter d’en transcender la mauvaise réputation par l’extrémisme du propos et des projets éventuels.

On pourrait avancer que Ferguson a peut-être raison lorsqu’il estime que Bush n’a plus rien à perdre et que, pour cela, il pourrait bien ordonner une attaque contre l’Iran (on en reparle aujourd’hui, mais sans qu’il faille accorder à cet “événement du jour” une importance spécifique). A notre sens, si GW estime qu’il n’a plus rien à perdre, c’est moins à cause de la règle du deuxième terme (pas de réélection possible après deux mandats) comme le pense Ferguson qu’à cause de sa position actuelle d’impopularité, et de la mise en cause implicite de sa légitimité ; pour Bush le “il n’a plus rien à perdre” serait en fait un “tout ou rien” pour regagner le soutien populaire que mérite, selon lui, sa politique juste et bénéfique pour le peuple américain. Le seul véritable obstacle “objectif” que Bush pourrait rencontrer est bureaucratique : une éventuelle résistance des bureaucraties concernées, notamment au Pentagone, devant une aventure militaire devenant de plus en plus incertaine à mesure de l’affaiblissement des capacités US.

Cette situation de course vers l’extrémisme n’est pas exclusive à l’Amérique et à GW Bush. Elle est caractéristique des directions occidentales en général, on dirait de la civilisation occidentale (avec variation des causes et des objets de cet extrémisme). L’impuissance et la paralysie généralisées de ces directions, et leur illégitimité de fait qui est éclatante, les conduisent vers des attitudes de surenchère pour tenter de restaurer cette légitimité. La surenchère alimente la course extrémiste. C’est un phénomène spécifique à notre temps de voir l’impuissance et la paralysie comme moteur d’une institutionnalisation d’une politique extrémiste qui est habituellement définie comme mouvement excessif, pression agressive, etc. ; et cette politique extrémiste est mise en œuvre par des démocraties libérales qui ont construit leur vertu sur la résistance à l’extrémisme. Le système démocratique occidental évolue aujourd’hui à l’image d’un processus révolutionnaire aux abois, alors que le système dont il fait la promotion est le contraire d’une révolution. Si l’on pouvait en juger abstraitement, sans tenir compte des causes et des aléas politiques mais en se référant au seul état d’esprit, on dirait que ces dirigeants sont orientés vers une conception révolutionnaire, à l’image de la définition Michael Ledeen (un des plus extrémistes parmi les néo-conservateurs) donne de lui-même : « I describe myself as a democratic revolutionary, I don't think of myself as ‘conservative’ at all. Indeed it seems to me that most self-described leftists today are reactionaries, and have lost the right to describe themselves as people of the left. » (Dans une interview à RAW Story, le 28 février 2006.)

Bien sûr, il s’agit d’une description abstraite qui tend à habiller d’une certaine logique politique et d’une vertu idéologique certaine un processus qu’on ne contrôle pas une seconde. Pour tenter d’éviter d’être étouffé par un tel processus déstructurant, faisons mine de l’embrasser.