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165431 décembre 2010 — La présentation publique du nouveau chasseur chinois J-20, avec des caractéristiques furtives qui font de lui un avion de la classe du Lockheed Martin F-22 Raptor (dont les USA ont abandonné la production) a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le monde international de l’aviation de combat. L’événement suit la présentation, au début de l’année, et l’annonce du développement (en Russie mais aussi en coopération avec l’Inde) du chasseur russe PAK-FA, ou T-50, aux caractéristiques similaires. Enfin, une version avancée du Sukhoï 35, le Su-35S, qui sera opérationnel début 2011, est présentée comme équivalent des meilleurs chasseurs US, et sans doute supérieur au JSF/F-35, selon de nombreuses sources d’évaluation critique du chasseur US (nous parlons de commentateurs occidentaux, essentiellement US et australiens).
Divers textes s’attachent à la présentation de l’avion chinois J-20. On en trouve certains de l’excellent Bill Sweetman, sur Ares, le 29 décembre 2010, ou bien, avec la légende ironique d'une galerie de photos du J-20 chinois que Sweetman présente le 31 décembre 2010 de cette façon : «Good morning America! How does your long-term airpower planning look today?»
Le texte le plus complet sur cet événement est celui de Australian Air Power (AAP), ce site australien qui, depuis des années, milite contre la politique d’équipement de l’USAF, et notamment le JSF (qui est également commandé par l’Australie), et avertit de la montée en puissance qualitative des avions de combat russes et chinois. Le texte est intitulé «What China's New J-20 Stealth Fighter Means for the F-35 JSF and F/A-18E/F Super Hornet», il s’agit d’une étude extensive (NOTAM, dans le langage de AAP), en date de ce 31 décembre 2010, de C.L. Mills.
Nous en donnons quelques extraits, qui permettent d’avoir une idée de la situation ainsi créée. Il s’agit essentiellement de la situation stratégique d’infériorité vis-à-vis de ses adversaires potentiels, ou des fournisseurs d’avions à ses adversaires potentiels, où l’aviation de combat US (essentiellement le F/A-18 Super Hornet et le F-35) est en train d’être emportée à cause de la programmation et de la modernisation à propos de laquelle Bill Sweetman ironise… (Dans le texte AAP, IOC pour Initial Operational Capability, soit le point où un avion fait ses débuts dans le domaine de son emploi opérationnel, avec mises au point structurelles et tactiques.)
«Over the past few days, images have emerged of the new Chinese Stealth Fighter, the J-XX or the J-20. On the 29th January 2010, the Russians first flew the PAK-FA, and the Su-35S, which first flew on 28th February 2008, is expected to achieve IOC in early 2011. Meanwhile, back at the US fighter-farm, the JSF which first flew on 15th December 2006, has experienced continuing difficulties with the STOVL version and is likely to enter a substantial re-design programme in 2011, adding more years and even greater costs to the already frequently-extended development phase.
»By the time the F-35 makes IOC (if it ever does) it will be, to use that well-known technical term, ‘toast’… […]
»Why has this calamity fallen on the US fighter design teams? Perhaps the answer can be found in that now infamous phrase: “Manoeuvre is irrelevant – let the missiles do the turning!”. These simple words speak volumes about what is deeply flawed in the US development of those aircraft on which it will depend to protect its sovereignty, keep its fleets on top of the water, and project power…. […]
»The net result is that the Su-35S, the PAK-FA and the J-20 will, over their operational life, severely reduce the relative survivability and lethality of the F-35 and F/A-18E/F, and any other legacy fighters dressed up in new garb… […]
»To conclude with a familiar scene, the F-35 and F/A-18E/F pilots of the future will have exquisitely crafted digital cockpits which will give them a crystal-clear picture of their combat environment, such that they know with unprecedented precision the moment at which they will die – assuming that Russian and Chinese stealth technology can be easily defeated.
»And their opponents will have the same but a more enduring view, without such high and final costs, thanks to the inexorable merging of exponential growth laws and superior aerodynamic/kinematic design into their air combat machines.»
Il s’agit d’un bien amer cadeau de fin d’année… Nous ne nous attarderons pas à des considérations techniques et opérationnelles, sauf pour observer que, selon les normes classiques du combat aérien classique des grandes guerres conventionnelles, régulièrement haussées par les progrès technologiques, – donc pour ce qui concerne le moyen le plus fondamental de l'acquisition de la supériorité et de la domination aériennes, – les avions chinois et russes introduisent effectivement un élément révolutionnaire dans l’histoire de l’aéronautique militaire. C’est la première fois depuis 1944 que la puissance aérienne US, puissance incontestée et fer de lance de la puissance militaire stratégique US, est non seulement en situation d’être dominée dans un domaine spécifique du combat aérien, mais d’être enfermée dans une infériorité qui semble systémique. De la même façon, un autre point remarquable est la capacité de développement des chasseurs russes et chinois, jusqu’ici sans problèmes majeurs et relativement rapide, comparée à l’extraordinaire lenteur, confinant à la paralysie, avec des problèmes innombrables techniques et de dépassement de coûts, des nouveaux avions de combat US.
(La comparaison est ici limitée entre les USA et le bloc Chine-Russie, selon une approche essentiellement stratégique héritée de la Guerre froide, en mettant à part l’Europe. Nous devrions proposer prochainement une analyse de la position européenne en fonction de ces nouveautés russes et chinoises.)
Depuis 1944, des cas divers d’infériorité ponctuelle ont existé pour les USA face aux forces communistes, dont la Chine et la Russie sont aujourd’hui les héritières de facto. (Le cas de l’aviation US face aux MiG-15 soviétiques livrés aux Nord-Coréens, durant quelques semaines en 1950, avant l’arrivée des F-86 Sabre ; d’une certaine façon, le cas des F-4 Phantom face aux avions nord-vietnamiens en 1965-68…) Ces cas ont été très rapidement redressés dans chacune des situations opérationnelles et ils n’ont pas compromis la supériorité générale (la supériorité aérienne) des USA. Cette fois, il s’agit de tout autre chose. On ne sait pas, et l’on a de fortes raisons d’en douter, si les USA seront capables de redresser cette situation beaucoup plus générale d’infériorité à laquelle ils pourraient être confrontés, s’ils ne le sont déjà ; et l’on pourrait même dire : “On ne sait pas […] si les USA seraient capables…”, car l’on ignore s’ils seront capables intellectuellement d’identifier et, surtout, psychologiquement, d’accepter le fait même de leur infériorité.
Le cas du JSF, qui est quasiment la seule carte restant dans le “jeu” américaniste, – à moins que les USA relancent, à quel prix d’ailleurs, la production du F-22, – est révélateur. Cet avion est si totalement “virtualisé”, il est si complètement surchargé de mensonges, de narratives, il a justifié tant de promesses et de manœuvres vicieuses, que la reconnaissance qu’il est peut-être d’ores et déjà inférieur et battu d’avance face aux T-50 et aux J-20 russe et chinois semblerait un exercice intellectuel bien complexe pour les capacités du Système et de sa bureaucratie, et, surtout, un cas de souplesse psychologique quasiment au-dessus de leurs capacités. Par définition, le Système (les USA, la technologie américaniste, etc.) ne peut être inférieur aux équivalents russe et chinois, dont la réputation de rusticité, d’obsolescence, etc., est un des lieux communs de la pensée stratégique américaniste-occidentaliste. L’arrogance intellectuelle et la paralysie psychologique qui affectent le Système et ses serviteurs sont des forces d’une puissance absolument effrayante.
Cela écrit, nous ne décrirons pas l’événement comme une catastrophe militaire qui va entraîner l’Ouest dans un conflit où une “union sacrée” Chine-Russie l’emporterait… Nous ne croyons décidément pas à cette sorte de conflit pour des raisons structurelles objectives, – disons, “si l’époque continuait à se dérouler comme elle le fait”, – mais aussi et d’une façon plus conjoncturelle quoiqu’évidemment fondamentale parce que nous pensons que l’effondrement du Système (américaniste-occidentaliste, mais globalisé en vérité) précédera largement toute possibilité d’un tel conflit. L’événement est donc plutôt une mesure, – justement, – du degré et de la rapidité d’effondrement du Système. Que les USA, ou les américanistes-occidentalistes, ou le Système, rassemblés par exemple dans le projet JSF (USA, alliés, réseaux du complexe militaro-industriel, etc.) comme dans un seul état d’esprit hégémonique d’une bassesse équivalente à la prétention de puissance extraordinaire de ce programme, parvienne malgré les moyens mis en œuvre à une situation de quasi blocage, puis de quasi paralysie sans doute, jusqu’à un point où ce programme et l’affirmation de puissance à laquelle il prétend se trouvent menacés de voir leur ambition taillée en pièces par les Russes et les Chinois, mesure d’abord le rythme de l’effondrement du système.
Cela est un premier point qui nous paraît essentiel, plutôt que d’annoncer une époque de domination russo-chinoise, ou russe et chinoise, dans le domaine de l’aviation de combat avancée, ce qui nous conduirait à des prévisions tablant sur des termes de 10, 15 ou 20 ans minimum dont nous jugeons qu’ils seront largement bouleversés par des crises et un effondrement du Système d’une toute autre dimension. Nous ne sommes plus dans une de ces époques courantes de la “course aux armements”, des comparaisons des puissances, etc., tout cela selon des normes voulues d’ailleurs par notre Système selon la logique de puissance de la géopolitique qui est à notre avis complètement dépasséee. Nous serions donc inclinés à voir dans ce fait extraordinaire de la possible perte de la domination technologique du Système dans l’un des domaines “sacrés” (celui de l’aviation de combat avancée), un signe de plus de l’avancement dans l’effondrement du Système plutôt que l’annonce de conséquences opérationnelles et géopolitiques marquantes pour le terme qui nous importe, dans une époque où les réalités opérationnelles et géopolitiques n’ont plus du tout l’importance qu’elles avaient.
C’est ce point que nous allons développer ci-dessous
…En effet, nous faisons plus haut l’hypothèse que le Système lui-même (la bureaucratie, le complexe militaro-industriel, les forces armées, nombre de commentateurs) aura bien du mal à accepter seulement l’idée qu’il puisse être dépassé, ou menacé d’être dépassé dans ce domaine sacro saint par des pays considérés traditionnellement par le Système et ses porte paroles anglo-saxons comme rétrogrades et incapables de réelle sophistication (les Russes, les Chinois, ces diverses cliques d’une sorte de nébuleuse des “métèques” hors-Système, que le suprématisme anglo-saxon n’a jamais vraiment intégré dans la sphère des possibilités de modifications selon les normes du Système). Il y a là une sorte de blocage psychologique du à l’hubris du Système, à sa vanité extraordinaire, à la conception même de sa propre puissance irrésistible. Il est le Tout du monde, l’Ensemble de l’Univers efficace et utilitaire, et progressiste évidemment, et il est proprement unthinkable que cette donnée fondamentale puisse être modifiée par un fait dont il n’a pas autorisé la spéculation éventuelle avant même qu’il puisse être conçu, qui intervient au contraire quasiment comme un fait acquis hors de son domaine hégémonique, – alors qu’il n’y a pas, en fait, selon la conception absolu du Système, de domaine terrestre et universel qui soit hors de son domaine hégémonique… Et ainsi de suite, on voit à quelle paranoïa l’on a affaire.
Pour autant, l’affaire n’est pas jouée… Si la conformation psychologique du Système lui interdira sans doute de reconnaître son infériorité, sa psychologie elle-même, au niveau de la perception, cette chose qu’il ne contrôle pas, enregistrera le fait qui ne manquera pas d’être claironné de l’avancée chinoise et russe. L’univers psychologique américaniste, complètement structuré par l’“idéal de puissance” et complètement à l’image du Système, est complexe et ne craint pas la contradiction. D’une part, il refuse absolument de considérer, d’envisager toute possibilité de supériorité de quiconque sur lui-même, vivant dans un univers absolument suprématiste ; d’autre part, il vit dans la crainte constante de perdre la puissance qui fonde cet univers, de ne pas l’augmenter assez et assez vite, et de donner ainsi l’occasion à un “Ennemi” mythique de se manifester d’une façon dangereuse, et que son univers se trouverait alors en danger de déclin et d’effondrement. Par conséquent, en même temps que la possibilité d’une perte de supériorité technologique américaniste-occidentaliste serait repoussée conformément au sentiment suprématiste, la psychologie serait pénétrée, par le biais des divers événements qui se produisent, de la réelle possibilité de la perte de cette supériorité du fait d’un Ennemi traître et vicieux.
Ces sentiments contradictoires vont pénétrer et assiéger toutes les psychologies de l’establishment. L’on pourrait alors assister à une surenchère de facteurs contradictoires sur les mesures à prendre, notamment budgétaires (alors que le budget du Pentagone explose déjà et devient de plus en plus inefficace à mesure qu’il reçoit de l’argent) et concernant des programmes ; les adversaires des dépenses publiques (les “deficit hawks” venus de Tea Party), si décidés à en découdre, devraient ajouter à la confusion en dénonçant l’inutilité de dépenses militaires colossales qui n’arrivent pas à maintenir la supériorité technologique sur des pays dont les budgets de la défense sont 5 à 10 fois inférieurs à celui des USA.
Mais l’essentiel à retenir de cet épisode se trouve dans un point fondamental, qui ponctue toute cette confusion. Il s’agit de l’affirmation de deux pays hors du cercle du Système, hors du processus de l’“idéal de puissance”, qui parviennent à avancer une option de supériorité technologique dans un domaine fondamental, sur le plus grand moteur du Système et intégrateur de l’“idéal de puissance”, sur le plus grand producteur et concepteur de puissance du système du technologisme.
Ce qu’arrivent à faire les Russes et les Chinois ne représente pas un épisode d’une compétition à l’intérieur du Système et sous l’inspiration de l’“idéal de puissance”, mais une défaite du Système et de l’“idéal de puissance”. Ils mettent en cause l’hégémonie de l’archétype même du moteur du Système et de l’élément clef au cœur du système du technologisme (les USA), dans le domaine fondamental du système du technologisme. Ils ne démontrent pas la toute puissance de la technologie, – chose qui est aussi évidente qu’une lapalissade dans un univers dont la règle de base est le règne de la toute puissance de la technologie. Ils démontrent que la technologie ne dépend plus de la toute puissance que sont les USA, cœur du Système, qu’au contraire la technologie au cœur du Système et à l’avant-garde du système du technologisme se trouve à son point de blocage et d’impuissance.
Nous observons cela quelles que soient les pensées et les ambitions russes et chinoises. Dans ce cas et selon notre conception, Russes et Chinois sont “utilisés” par les événements plus qu’ils ne les utilisent… Ils ne reprennent pas le flambeau qu’auraient laissé tomber les USA, ils constatent simplement que ce flambeau est désormais accessible à d’autres qu’aux USA, qu’il ne constitue plus l’alpha et l’oméga de la marche du monde.
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