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1313Nous sommes de plus en plus intéressés par cet évènement que fut la commémoration de la victoire de 1945, du 9 mai 2015 à Moscou et dans toute la Russie. Nous en avons déjà parlé à plusieurs reprises et dans diverses occasions. (Voir le 9 mai 2015, le 11 mai 2015, le 15 mai 2015, le 19 mai 2015, le 21 mai 2015.) Nous comptons encore développer notre réflexion car cet “événement”, – c’en est un au sens le plus large et le plus haut du terme, – dépasse largement la crise ukrainienne et celle des relations Russie-bloc BAO, il dépasse largement le cas de la seule Russie même si la Russie est le centre du propos ; il concerne l’affrontement fondamental entre le Système et l’antiSystème et pose même des questions fondamentales de métahistoire et par rapport à notre “crise du sacré” spécifique.
Aujourd’hui, nous nous intéressons à un article dont nous donnons une adaptation en français du commentateur russe Andrew Korybko, ayant fait des études aux USA et travaillant de Moscou pour divers organes de presse. (On peut lire son très rapide portrait sur Russia Insider auquel il collabore notamment.) Il s’agit d’un article du 19 mai 2015 sur le Saker-USA, intitulé dans sa version anglaise «9 May, 2015: The Day Russia Showed The World How To Kill Color Revolutions». La thèse de Korybko est en effet que ce qui s’est passé à Moscou et en Russie le 9 mai 2015 a constitué une défaite d’une certaine façon par avance de la possibilité d’une “Révolution de Couleur” (regime change) en Russie. Dans nos Notes d’analyse du 21 mai 2015, nous étions proches de ce constat en jugeant que la venue-surprise de Kerry à Sotchi résultait des conclusions tirées par la direction US à propos de ce qui s’était passé en Russie le 9 mai 2015.
L’intérêt du texte de Korybko, selon nous, est surtout dans la façon dont il utilise le concept d’“Historicité”, de “conscience historique”, etc., comme “armes de défense” contre les Révolutions de Couleur. En quelque sorte, il mobilise l’Histoire pour en faire une arme conceptuelle agissant comme dans une guerre, contre une attaque dont il juge que l’arme principale est l’imposture introduite dans l’histoire de la cible visée. Korybko a des analogies heureuses, comme lorsqu’il fait des Révolutions de Couleur des plants d’OGM par rapport à la plante naturelle qu’est le réflexe patriotique-historique auquel il se réfère, ou des virus chargés de disséminer une maladie qui tue la conscience et la mémoire historiques aussi sûrement qu’un cancer. Ce texte est une bonne introduction à un champ de réflexion qui nous intéresse particulièrement, qui est celui de “la guerre” de notre époque postmoderne, de plus en plus caractérisée par des affrontements et des moyens de communication, jusqu’à des situations tout à fait exceptionnelles, – précisément, nous semble-t-il, comme l’est cette situation du 9 mai 2015 et ses effets sans nombre, qu’on commence à distinguer, et qui vont en grandissant et en s’approfondissant tout ensemble.
Le texte de Korybko est donc surtout intéressant, pour notre compte, du point de vue conceptuel, et notamment par les domaines et les champs qu’il ouvre. Bien entendu, il s’agit d’un texte qui s’oppose violemment aux méthodes et à la dynamique du Système (des USA), qui fait naturellement appel à la fermeté intangible des principes contre la manipulation virevoltante des “valeurs” comme on les entend aujourd’hui. Sa description de la situation russe est particulièrement convaincante, tandis que celle de la Syrie est moins nette à cause de l’évolution actuelle et du fait qu’un facteur de désordre extérieur à la thèse et spécifique au Moyen-Orient joue désormais à plein dans la situation syrienne. (Son affirmation que la Chine a la même solidité historique que la Russie est un autre point intéressant à retenir.)
On notera un détail intéressant, qui concerne complètement la spécificité du 9 mai en Russie, lorsque Korybko observe que «...certains épisodes historiques [peuvent] encore et encore être utilisés pour contrecarrer les efforts faits pour renforcer l’unité nationale. Dans le cas de la Russie, on peut citer la période stalinienne...» Le point intéressant est que la Deuxième Guerre mondiale fait partie de la période stalinienne pour la Russie, et que, pourtant elle ne subit pas ce discrédit dont Korybko craint qu’on puisse le manifester contre la Russie et contre la Chine pour ces cas particuliers. Cela renvoie au caractère extrêmement particulier de la Deuxième Guerre mondiale pour la Russie (l’URSS), qui semble en effet s’extraire de la période stalinienne, et, si l’on veut, de la période soviétique pour apparaître comme un artefact historique spécifique d’une extrême valeur. Cela tien au fait que, pour redresser la situation catastrophique de l’URSS en juin-juillet 1941, Staline, qui s’était tu pendant deux semaines après le lancement de l’Opération Barbarossa (21 juin 1941) par les Allemands, fit son premier discours de guerre le 3 juillet en ressuscitant les références historiques russes qui avaient totalement disparu sous le régime léniniste puis stalinien. (Voir le texte ce discours, avec des approximations dues aux difficultés de la documentation, et quelques erreurs de commentaire [les Allemands n’avaient tout de même “encerclé Moscou” en juillet 1941, puisqu’ils furent arrêtés devant Moscou en décembre 1941].) Une analyse du “stalinisme de guerre” d’un texte de Strategium-alliance.com rend bien compte de ce phénomène qui extrait littéralement la Grande Guerre Patriotique de l’ère communiste et stalinienne pour la rendre complètement russe :
«Comme on l'a vu, la mobilisation économique se fait dans un climat militarisé. Pourtant, les ‘frontoviki’, les combattants du front, témoignent unanimement d’une liberté des propos au front, d'une nouvelle manière de communiquer et de s’informer, du recul de la peur du mouchard, qui avait atteint son apogée quelques années plus tôt, en 1937-1938 notamment. L'historien russe Mikhail Guefter va même plus loin en soutenant la thèse que “les années 1941-1942 marquèrent le début d'une sorte de déstalinisation spontanée caractérisée par la résurgence d'un sentiment de responsabilité individuelle pour le destin de la patrie, l'ébauche d'une opinion individuelle sur le présent et le futur de cette patrie. ”...»
Nous avons toujours insisté sur ce fait, déterminant pour l’histoire actuelle dans la mesure où elle donne à la Russie une formidable mémoire historique, débarrassée des scories de l’époque communiste, dans un texte du 21 novembre 2015 : «Le précédent de 1941 doit être à l’esprit, pour ce qui est de la situation d’une Russie terriblement affaiblie face à un danger brutal : un peuple anesthésié, fracassé, déstructuré par la plus épouvantable terreur stalinienne (la ‘Iejovtchina’, la Grande Terreur des années 1936-1939), retrouvant instantanément toutes ses qualités pour se dresser contre l’Allemagne. (On doit lire les ‘Mémoires’ de Chostakovitch, observant combien l’attaque allemande de juin 1941 fut une “libération” pour le peuple russe, presqu’un moment d’enthousiasme et de bonheur parce qu’elle plaçait soudain ce peuple, après l’univers fantasmagorique de la terreur stalinienne, devant une “vérité de situation” – le destin de la Russie, – avec laquelle on ne transige pas et par laquelle l’existence acquiert un sens indiscutable.)»
On comprend qu’avec un tel passé, de telles références, l’événement du 9 mai 2015 puisse justifier, en plus de ce qu’il est, notre plus grand intérêt. On comprend pourquoi, avec un tel passé et de telles références, on soit conduit à rechercher dans sa constitution, dans son opérationnalisation et dans ses effets, des signes de quelque chose d’exceptionnel pour notre époque elle-même. Il nous reste à poursuivre cette recherche.
dedefensa.org
Le 70ème anniversaire du Jour de la Victoire à Moscou fut un événement fondamental pour plusieurs raisons évidentes (l’acte solennel de Shoigou, l’amitié affichée sino-russe), et d’une façon essentielle parce qu’il apparut comme le symbole de la mort des espoirs que l’Ouest met dans les Révolutions de Couleur qu’il fomente depuis le début des années 2000. La résistance patriotique qui fut affichée ne s’arrêta pas avec la fin de la gigantesque parade militaire mais au contraire fut encore grandie par la marche du “Bataillon Immortel” où les familles russes rendirent hommage à leurs proches et à leurs parents qui servirent durant ce conflit. Cette démonstration pleine d’émotion de la mémoire historique amena plus d’un demi-million de personnes dans les rues de Moscou, avec le président Poutine au milieu d’elles, montrant que la Grande Guerre Patriotique constituait vraiment le grand dénominateur commun transcendant les différences sociales et ethniques pour unifier la société [russe]. Il nous paraît essentiel d’insister sur cette solidarité nationale démontrée lors du Jour de la Victoire parce que c’est précisément cette perception d’un patriotisme partagé et très profond qui constitue la défense la plus puissante contre les Révolution de Couleur aujourd’hui.
Le présent auteur écrivit récemment à propos de l’utilisation par les USA de la mémoire historique comme un “système d’arme”” postmoderne, mais il est nécessaire de revenir sur quelques points pour le contexte de cet article. En fait, l’establishment de l’“État profond” aux USA a réalisé que la myriade de mémoires historiques, souvent contradictoires les unes par rapport aux autres, qui parsèment les terres de l’Eurasie constituent un ferment très actif pour cultiver les divisions du temps présent entre les différents partenaires. Si les pays de l’Eurasie peuvent rester décisivement divisés à cause des fantômes du passé, alors les plans d’intégration transcontinentaux promus par la Russie et la Chine seraient compromis, et, de ce fait, les USA pourraient indéfiniment prolonger leur hégémonie sur l’Eurasie en manipulant les situations dans les zones-clef. L’application la plus notoire de cette stratégie est le soutien US au nationalisme extrémiste ukrainien et à la mémoire de l’époque fasciste pour transformer ce pays en un bastion de haine antirusse ; le soutien que les USA apportent à la remilitarisation du Japon orientée vers la Chine est un autre cas remarquable dans ce sens.
La Russie et la Chine peuvent avoir des difficultés à repousser les narrative historiques que les USA répandent dans les esprits impressionnables des Ukrainiens et des Japonais informés par une presse complètement contrôlée par les tendances médiatiques conventionnelles (et une censure complète qui est actuellement en place en Ukraine), mais ils ont eu beaucoup de succès grâce à leur flexibilité en défendant contre cette perversion leur mémoire historique dans leurs propres domaines. Chacun de ces deux piliers eurasiens est multiculturel, et, par conséquent, se trouve éminemment vulnérable à la transformation en armes de communication de l’information et de la mémoire historique qui sont utilisées par les campagnes médiatiques subversives (que ce soit par la presse classique ou par les réseaux) et les ONG jouant le rôle d’organisations frontistes des divers services de renseignement occidentaux.
Bien que ces deux États qui ont montré leur résistance et leur défiance aient pris des mesures contraignantes pour résister à cette menace avant que celle-ci soit exploitée jusqu’à des situations hors de contrôle, il existe toujours la possibilité que certains épisodes historiques puissent encore et encore être utilisés pour contrecarrer les efforts faits pour renforcer l’unité nationale. Dans le cas de la Russie, on peut citer la période stalinienne, et dans le cas chinois les épisodes du Grand Bond en Avant et de la Révolution Culturelle. L’intention des USA est de provoquer des manifestations anti-gouvernementales d’ordre général qui sont potentiellement plus subversives que les tentatives de déstabilisation touchant des minorités nationales ; dans de nombreux cas, ces nombreuses campagnes (dont aucune ne semble avoir de capacités de déstabilisation) ne sont rien d’autre que des tests expérimentaux destinés à procurer du matériel méthodologique et de renseignement sur les stratégies à suivre et les réactions populaires pour d’autres offensives plus sérieuses dans le futur.
La dernière commémoration du Jour de la Victoire a montré a contrario que les USA suivaient une stratégie faussée qui ne pourra l’emporter contre la Russie même dans les conditions les plus extrêmes. Le 9 mai 2015 a montré d’une façon irréfutable que les citoyens russes de toutes les classes, de toutes les races, de toutes les religions, voire de toutes les tendances et origines politiques, sont capables de se réunir spontanément pour célébrer leur nation et réaffirmer leur mémoire historique commune. L’accent est mis ici sur la partie naturelle, organique, de la commémoration, selon le fait que le public qui applaudissait le défilé et qui participa ensuite à la marche du “Régiment Immortel” s’était rassemblé d’une manière complètement volontaire et faisait quelque chose qu’il avait décidé de sa propre initiative.
Par contraste avec ce patriotisme inné et sa manifestation de masse, les constructions humaines des Révolutions de Couleur, qui doivent être préparées de façon disparate et instruites méticuleusement sur leur mission, apparaissent complètement artificielles. Alors que tes manifestations dans toutes la Russie le 9 mai ont bénéficié d’un soutien populaire éclatant, les Révolutions de Couleur disposent seulement de l’apparence d’un tel soutien, dès lors que tout dépend des techniques de gestion de la perception pour tenter de mobiliser une opinion (intérieure et extérieure) et lui faire croire que le mouvement est beaucoup plus populaire qu’il n’est en réalité. Une comparaison acceptable est de figurer le mouvement du week-end dernier à un organisme végétal naturel et la Révolution de Couleur à une OGM ; ils semblent tous les deux réels mais seul l’un des deux est naturel tandis que l’autre demande des années de recherche et de développement pour parvenir à un état d’apparence acceptable, et même alors il est ressenti comme complètement fabriqué et reste en substance une abomination antinaturelle (quelle que soit son apparence extérieure).
Ce que les citoyens russes ont montré au travers de leur immense pays ce 9 mai (et ce en quoi ils sont unis dans leur compréhension de la chose avec le peuple chinois), c’est l’opposé absolu de ce que les USA ont dans l’esprit pour renverser le gouvernement russe et, de ce fait, cette démonstration a montré qu’elle est l’antidote parfait pour annihiler les plans de Washington. L’expression “armure de l’Historicité” qui sert d’intertitre à ce passage se réfère donc à la manifestation d’une sorte d’organe patriotique-historique tel qu’il s’est manifesté le 9 mai, qui renforce l’unité nationale et s’élève contre les narrative antagonistes. Selon les évènements, cela peut largement compenser l’un ou l’autre incident de l’Historicité que les forces provocatrices cherchent en général à exploiter (par exemple, la période stalinienne). Si l’on veut aller un peu plus en avant encore dans le raisonnement, on observera que l’“armure de l’Historicité” peut être renforcée par une éducation patriotique appropriée à l’école et l’établissement d’ONG patriotiques, et ainsi avec cette combinaison rencontrant l’occasion d’une grande manifestation patriotique-historique, l’effet obtenu peut nettoyer le pays de tous les effets et les restes négatifs des initiatives avortées du “révolutionnarisme coloré”.
L’immunité quasi-organique de la Russie et de la Chine contre l’infection US de la Révolution de Couleur doit donc être entretenue par une pratique continuelle de la dynamique patriotique-historique, par une éducation scolaire appropriée, des ONG appropriées et des manifestations populaires régulières. La même méthode ne peut être aisément envisagée pour des États qui n’ont pas une unité et un legs historiques aussi affirmées que ces deux importantes civilisations. Alors que nombre de nations ont leur propre histoire dont elles peuvent être fières, elles disposent par contre de frontières arbitraires, qui souvent leur ont été imposées de l’extérieur, et qui ne correspondent pas à leur vision idéale de la stabilité (par exemple, des États nés d’anciennes colonies). Dans ce cas, il est absolument nécessaire de disposer d’une idéologie unificatrice capable de tenir ensemble les parties disparates de la société, aussi bien en termes sociologiques et démographiques, qu’en termes historiques (en termes de mémoire).
L’exemple de la Syrie ... La raison pour laquelle la Syrie a réussi jusqu’ici à tenir à distance la Révolution de Couleur lancée contre elle (et qui s’est transformée en une guerre non-conventionnelle qui continue à exercer une pression pour obtenir le même résultat d’un regime change) tient à la solidarité politique et civilisationnelle du peuple syrien. Bien que géographiquement de petites dimensions, ce pays dispose d’une histoire disproportionnellement riche et a toujours été une zone cosmopolite. De plus, une majorité importante des citoyens comprend et respecte la force modernisatrice et stabilisante qu’a constitué le parti Baas durant la période tumultueuse qui a suivi l’indépendance, d’où son soutien pour les autorités légitimes et le rejet du “révolutionnarisme coloré” d’importation étrangère. S’il n’y avait pas eu un soutien domestique puissant et sincère pour les autorités syriennes dans la majorité de la population, le gouvernement se serait effondré depuis longtemps et la population n’aurait pas continué à se battre et à mourir pendant quatre ans pour tenter de sauver l’État civilisateur basé sur la sécularité.
L’exemple de l’Ukraine ... Si la Syrie est un exemple remarquable d’un petit pays qui a résisté avec succès à une offensive initiale d’une Révolution de Couleur, l’Ukraine représente exactement le contraire, – un pays d’une certaine importance géographique et démographique qui a totalement succombé aux attaques de la Révolution de Couleur. La raison de ce désastre tient dans le fait que, depuis 1991 et son indépendance, ce pays est contenu dans des frontières artificielles, avec une population disparate sans idéologie unificatrice. Que ce soit les Russes, les Hongrois, les Ruthènes, les Tatars de Crimée, voire les Ukrainiens eux-mêmes, aucun groupe ne s’est senti satisfait dans le pays dans les conditions décrites. Alors que les minorités réclamaient (et réclament toujours) des droits spécifiques et une représentation renforcée, la majorité ukrainienne était malheureuse avec le pouvoir dont elle disposait et continuait à en vouloir plus. Dans des conditions si contradictoires, lorsque le pouvoir qui tentait tant bien que mal de tenir ensemble toute cette disparité fut violemment attaqué et défait par des terroristes nationalistes urbains, la minorité la plus importante d’Ukraine, la population russe, décida de rompre les amarres et fit sécession de cet État failli.
Observant le passé et tenant compte des leçons mises en évidence dans cet article, on peut penser que cela aurait pu ne pas évoluer de cette façon. Le territoire de l’Ukraine est le berceau du magnifique legs civilisationnel de la Rus’ de Kiev, et au lieu de se comporter en favorisant les divisions et en mettant en avant un chauvinisme marquant un complexe d’infériorité vis-à-vis des Russes, les Ukrainiens auraient pu célébrer cet héritage commun et l’utiliser comme un pont pour bâtir de meilleures relations avec leurs voisins. Après tout, la Fédération de Russie est le dernier successeur en date de l’ancienne entité à laquelle le territoire de l’actuelle Ukraine donna naissance, et cela aurait eu beaucoup de sens que ces deux nations se rapprochassent le plus possible durant les années d’après l’indépendance. Par exemple, l’Ukraine aurait pu utiliser son héritage civilisationnel avec la Russie comme un tremplin pour créer un format d’union comme celui qui existe entre la Russie et la Belarus. Malheureusement, les dirigeants ukrainiens n’ont pas vu les choses de cette façon et, dès lors, les gestes de bonne intention de la Russie durant la période d’après l’indépendance furent en général repoussés ou exploités pour leur gain personnel par l’oligarchie ukrainienne. Ainsi, lorsque les USA furent prêts à frapper au cœur de l’Europe orientale en utilisant leur dernière tactique de regime change, ils rencontrèrent logiquement très peu de résistance et réussirent leur coup à diverses reprises.
La mémoire historique est vivante aujourd’hui, et au lieu d’être une espèce de concept fossilisé perdu au fond d’une librairie poussiéreuse, c’est un concept actif et vivant qui se manifeste partout dans les rues des villes du monde entier. Dans certains cas, la chose est passive et apparaît sans effets politiques particuliers, mais le plus souvent on peut reconnaître l’influence que ce phénomène exerce sur les esprits et l’adaptation politique qui s’ensuit. Les USA ont commencé à “militariser” l’histoire, à en faire une arme, de façon à atteindre leurs objectifs stratégiques, alors que la Russie, la Chine et la Syrie ont traditionnellement utilisé leur histoire comme des bastions de défense de leurs civilisations. La bataille postmoderne entre la falsification de l’histoire et les manipulations conduites par les USA contre la défense affirmée et unificatrice des faits historiques réels et structurés, comme dans le cas des trois acteurs mentionnés, commence seulement à apparaître dans toute la puissance de ses enjeux.
On peut attendre que le scénario de la “déstabilisation historique“ observée en Ukraine ne se répète et devienne la norme des cinquièmes colonnes pour pouvoir ouvrir les portes à l’infiltration des courants de communication (“pro-démocratiques”) et les changements de régime qu’on en attend. Alors que la Chine et la Russie sont en tête du programme de “vaccination” contre ce “virus antihistorique” répandus par les agents US de la communication, des États plus petits comme la Syrie et l’Ukraine restent les objectifs de cette tendance belliciste accélérée, malgré les résultats contrastés obtenus par Washington dans les divers cas expérimentés. Les Syrie du monde entier réussiront dans leur entreprise de résistance et de défiance (mais en payant le prix du sang pour leur patriotisme) tandis que les Ukraine du monde entier vont se désintégrer en différentes pièces ou bien s’effondrer dans le cauchemar d’une dystopie hyper-autoritariste. En conclusion, on observera que la question que les États occupant une position similaire sur l’échiquier eurasien devraient se poser est de savoir s’ils ont la capacité de défendre leur histoire, comme le fait la Syrie, ou s’ils seront conduit à capituler d’une manière pathétique, comme l’Ukraine.
Andrew Korybko
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