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883D’ores et déjà, les USA considèrent que la situation en Afghanistan évolue vers une conjoncture d’“après-guerre”, après une guerre dont ils envisagent sérieusement de proclamer qu’ils l’ont terminée par la victoire. Ils s’estiment justifiés dans cette démarche, d’abord par le montage opéré autour de la mort de ben Laden et la réduction des capacités d’al Qaïda que cela suppose, avec en supplément l’annonce que la matériel d'information et d'organisation saisi chez ben Laden constitue un inestimable “trésor de guerre” permettant de faire évoluer la situation de façon décisive ; ensuite, par l’annonce de la réduction dramatique des “capacités” d’al Qaïda. (Les services de relations publiques de Petraeus ont largement répandu le décompte bureaucratique, très précis pour l’occasion quoique assez énigmatique, que vingt des trente hauts dirigeants d’al Qaïda dans la région AfPak avaient été tués dans l’année écoulée, notamment grâce à des raids d’avions sans pilote type Predator et à des opérations des “forces spéciales”, type Geronimo. Comment et par quelle mécanique de précision bureaucratique dans l’analyse arrivent-ils au chiffre de trente “hauts dirigeants” d’al Qaïda ? Comment arrivent-ils au chiffre de vingt de ces trente dirigeants éliminés ? Etc. En vérité, ils méritent de gagner.)
Il semble que, pour saluer l’annonce par BHO du retrait de forces US d’Afghanistan, présentés comme plus important que prévu, une formidable offensive de communication ait été mise sur pied par l’équipe du général Petraeus, qui s’impose sans aucun doute comme le plus formidable “metteur en scène” des guerres américaniste dont dispose le Pentagone. Les moyens habituels de corruption sont massivement utilisés sur le théâtre des opérations ; les montages au niveau de l’information et de la communication sont massifs et sans aucune restriction, dépassant largement tout ce qui a pu être fait en Irak, au moment du “surge” de 2007-2008, présenté comme une victoire permettant aux forces US d’abandonner leurs positions de combat et aux deux présidents US successifs d’annoncer que la guerre était finie. (Là encore, c’était le metteur en scène Petraeus qui était aux commandes.) On assiste, entre le quartier-général US en Afghanistan, le Pentagone et la Maison Blanche à une débauche grandiose de montages divers pour transmuter la perception de la situation, pour la faire basculer de l’image de la défaite par l’enlisement à l’image de la victoire par l’exposé des véritables motifs de cette guerre. Dans ce cas, les talibans, ou certaines fractions talibanes agrémentées de l’un ou l’autre “seigneur de la guerre”, peuvent être envisagés comme des “acteurs de complément” très utiles dans le scénario imaginé par le metteur en scène américaniste. On en arrive à une situation où l’on découvre qu’on se battait contre les talibans depuis de nombreuses années pour découvrir que ce n’était pas vraiment l’ennemi…
Comme nous l’avons envisagé (voir notre Bloc-Notes du 9 mai 2011), cette opération de mise en scène générale faisant basculer l’image de l’Afghanistan d’un enlisement sans espoir et sans fin à un retrait après une “sorte de victoire”, – cela, avec le simple rappel que l’ennemi était al Qaïda et non les talibans, et qu’il est anéanti, – peut parfaitement s’accorder avec les changements en cours dans l’équipe de sécurité nationale, à un point où l’on croirait que ceci a été fait pour cela. Panetta passe de la CIA au Pentagone, tandis que le metteur en scène Petraeus arrive à la CIA. On passe effectivement de la fausse guerre sans fin et enlisée à la vraie mise en scène de la victoire. Panetta garde un œil sur la CIA où Petraeus est prié de poursuivre sa mise en scène, le même Panetta orientant encore plus le Pentagone vers le désengagement et le transfert massif des méthodes de combat vers des activités de type renseignement/Special Forces, – dont l’opération Geronimo serait alors présentée comme le modèle archétypique.
Dans cette occurrence, un personnage pose un problème particulier : d’une part, il est peu malléable, et il n’est nullement assuré qu’il puisse s’intégrer dans une mise en scène où domineraient des talibans et des seigneurs de guerre. D’autre part, le même Karzaï est pourtant nécessaire, comme interlocuteur légal temporaire qui peut encore servir, notamment et particulièrement en signant des accords garantissant au Pentagone et à l’OTAN des bases dans le pays. C’est en effet la condition sine qua non de la bureaucratie du Pentagone, – du Système, dans ce cas, – pour accepter le plan de dégagement accepté par le président Obama.
(Obama, devenu absolument l’ombre de lui-même, qui ne songe plus qu’à une réélection dont on se demande ce qu’il en fera, qui veut à tout prix se débarrasser du boulet afghan d’ici 2012, alors qu’il est déjà complètement soumis aux pressions catastrophiques de la situation économique, – avec cette horrible prédiction, devenue slogan et leitmotiv : “aucun président US n’a pu se faire réélire avec plus de 7,4% de chômage officiel”.)
…Dans ces conditions, peut-être Karzaï est-il en train de devenir le principal acteur, complètement inattendu et hors-casting hollywoodien, dans cette pantalonnade US. Samedi dernier, Karzaï a échangé des mots acerbes avec une délégation US venue effectivement négocier pour les futures bases dans le pays, – le protectorat US d’“après la victoire”. La délégation venait notamment énoncer des conditions de chantage pour obtenir des avantages stratégiques dans la région (ce qu'ils nomment “strategic partnership”) en échange de l’aide du FMI, à certaines conditions d’organisation économique (marché libre, évidemment), – tout cela, comme si le FMI était leur chose (aux USA), – ce qu’elle est, après tout… Karzaï, lui, n’a rien promis. Il a énoncé des conditions extrêmement dures pour un éventuel accord pour ces bases, il a surtout annoncé qu’il allait se tourner vers les chefs tribaux, voire vers les Afghans eux-mêmes, pour les consulter sur la matière… Il est apparu qu’une fois de plus les relations étaient tendues entre Karzaï et ceux dont il est, paraît-il, “la marionnette” ; mais les conditions même de la situation en cours font que la position de Karzaï représente un facteur très important, qu’il le sait, et qu’il pourrait faire évoluer cette position vers une posture contre-offensive, contre les USA. Il faut dire que Karzaï revenait du sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai organisé par le Kazakhstan, – avec cette “bonne nouvelle”, si l’on peut dire, impliquant qu’il aurait reçu ce qu’il pourrait considérer comme des garanties des pays de cette organisation :
«The SCO summit adopted a statement on Wednesday calling for an “independent, neutral”’ Afghanistan (read: free of foreign occupation). Nurusultan Nazarbayev, president of Kazakhstan, who hosted Karzai, put it on record, “It is possible that the SCO will assume responsibility for many issues in Afghanistan after the withdrawal of coalition forces in 2014.”»
Le paragraphe ci-dessus est extrait d’un texte de notre ami commentateur M K Bhadrakumar, sur le cas de Karzaï et de l’Afghanistan. Sur son blog personnel, M K Bhadrakumar présente (le 20 juin 2011) ce texte, qu’il publie sur ATimes.com le 21juin 2011, de cette façon où il est question de “l’honneur de l'Afghanistan”, et de l’“honneur de Karzaï” :
«Rapid-fire snubs from Hamid Karzai to the Barack Obama administration should serve as a warning that the Afghan president refuses to be the United States’ donkey as it dangles a strategic partnership in its drive for permanent military bases in Afghanistan. Karzai knows he can always turn to regional powers, including Iran. Read my article in Asia Times on the extraordinary happenings in the Hindu Kush where Afghan sense of honour is resurfacing with a vengeance.»
Du le texte de M K Bhadrakumar, nous détacherons la dernière partie, qui complètera la première partie de notre texte concernant l’attitude et les manœuvres des USA dans cette période “transitoire“, type hollywoodien, de l’Afghanistan. Ce passage du texte de M K Bhadrakumar permet en effet de fixer plus précisément l’attitude de Karzaï, l’appel au patriotisme afghan contre les projets US, la situation régionale également hostile aux projets US et ainsi de suite… Il n’est pas assuré que Moscou, et Pékin, certes, tous deux pays de l’OCS, suivent ces évolutions afghanes et le durcissement de Karzaï avec défaveur. Et l’annonce du président kazakh Nurusultan Nazarbayev selon lequel, en 2014, l’OCS assurerait de nombreuses tâches essentielles de contrôle et de sécurité en Afghanistan, après le départ des “occupants”, a de quoi faire réfléchir à propos de l’évolution possible, et coordonnée à ce propos, des pays de l’OCS. Il s’agirait d’une complète mise en question, non seulement de la situation de l’Afghanistan, mais également des plans supposés des USA et de l’OTAN pour tenter de prolonger ce qui est présenté comme un contrôle stratégique de la région. Dans ce cas, le retrait US d’Afghanistan, nécessaire à la position intérieure du président Obama, se payerait d’une réduction radicale de l’influence US dans la région.
«Clearly, the fault lines are widening even as negotiations over the status of forces agreement resumed in Kabul on Saturday with a visiting American delegation. The Americans may be misreading that the discord with Karzai boils down to his perceived “rentier” mentality, and that through IMF pressure and offers of money, he could be persuaded. Washington may be making a grave miscalculation about the Afghan sense of honor.
»It overlooks that slowly, steadily, the US is losing its monopoly of conflict resolution in Afghanistan and Karzai can no longer be kept away from networking with regional powers. Karzai's defiant stance on Saturday comes soon after his return to Kabul from attending the summit meeting of the Shanghai Cooperation Organization (SCO) in Astana.
»The SCO summit adopted a statement on Wednesday calling for an "independent, neutral" Afghanistan (read: free of foreign occupation). Nurusultan Nazarbayev, president of Kazakhstan, who hosted Karzai, put it on record, “It is possible that the SCO will assume responsibility for many issues in Afghanistan after the withdrawal of coalition forces in 2014.”
»Saturday also happened to be an extraordinary day with Iranian Defense Minister Ahmad Vahidi arriving in Kabul – an unprecedented visit in the history of Afghan-Iranian relations – “to explore ways for the further expansion of ties between the two neighboring states”. Vahidi's visit unmistakably represents a big snub to the Obama administration. Vahidi waded straight into the post-2014 status of the US occupation of Afghanistan. He told Karzai, “Ensuring regional stability will be possible only by the collective efforts of regional countries and the withdrawal of foreign forces.”
»Meanwhile, Karzai has already initiated moves to hold a loya jirga (grand council) soon after Eid. As things stand, the likelihood of such a traditional tribal council approving permanent US/NATO military bases is remote. The Afghan people militate against foreign occupation of their country. The American game plan was to muster enough support in the Afghan parliament for the strategic agreement. But a loya jirga is a different ball game altogether. In his remarks on Saturday, which were nationally telecast, Karzai said, “They [US-led NATO forces] are here for their own purposes, for their own goals, and they are using our soil for that.” He is appealing to Afghan nationalism.
»In sum, the Obama administration sees the conclusion of the strategic agreement with Karzai, direct US-Taliban talks and the drawdown of troops in July as inter-related vectors of a wholesome process where Washington will be in total command – ably assisted by London. Obama will find it a bitter pill to swallow to accept that Afghan laws will prevail over the conduct of his troops.
»Karzai defiantly claims it is his prerogative to decide on the “surge” operations by NATO and US foreign forces. Karzai insists that reconciliation of the Taliban should be “Afghan-led” so that his leadership is not in jeopardy and he links the US long-term troop presence to preconditions so that the Americans will have to depend on him and learn to work under his leadership rather than vice versa.
»He threatens to go to the Afghan people unless the US meets the preconditions. Karzai counts on a balancing role by the regional powers in the Afghan endgame. Interestingly, on Saturday, he slammed NATO's military intervention in Libya.»
Mis en ligne le 22 juin 2011 à 05H23
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