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5646• La querelle entre le jeune et ravissant Trudeau et l’Inde de Modi, à propos de l’assassinat d’un dirigeant de l’opposition sikh en exil se révèle comme archétypique. • Elle est extraordinairement illustrative de la situation générale de GrandeCrise. • C’est-à-dire qu’elle met en évidence la monstruosité de l’idéologie “arc-en-ciel” (sociétale-progressiste, wokeniste, etc.) et son antagonisme avec les forces antiSystème du Sud Global. • On est désolé pour le rôle de médiateur que voudrait jouer l’Inde, mais ces deux mondes sont strictement incompatibles.
L’humeur dominante aujourd’hui dans cet étrange désordre sans fond, – désordre comme un Trou Noir dont nul ne sait ce qu’il dissimule, – c’est l’insupportabilité absolue et l’incompatibilité consubstantielle, ontologique quoi, des interlocuteurs entre eux. Même au temps de la Guerre Froide jamais on ne vit des oppositions aussi radicales, faites d’incompréhensibilité totale et, le plus souvent, de haines aveugles qui vont jusqu’à nier l’existence de l’autre.
Mais qu’on se rassure ! Le tableau est certes tragique, mais c’est de la tragédie-bouffe que nous parlons car les enjeux sur lesquels s’expriment ces désaccords sont absolument grotesques et dérisoires si on les compare aux affaires du monde (celle de la Guerre Froide, pour en rester à la même référence).
Cette introduction très généralisatrice concerne une affaire dont on a peine à croire à l’importance et qui est pourtant d’une importance extrême par rapport à ses conséquences et au jugement qu’elle suscite. Pour résumer sous forme de raccourci, nous dirions qu’elle constitue un freinage majeur aux ambitions indiennes, ou prêtées à l’Inde, qui se sont faites jour lors du G20, – et aussi à la subtile manœuvre américanistes de détacher l’Inde de ses alliances inacceptables (la Russie) et des BRICS.
Quant à l’affaire elle-même, nous en laissons la présentation à Andrew Korybko qui a bien vu, en effet, ses conséquences probables au niveau des grands enjeux politiques et stratégiques. Il fait un tour de la question très complet.
« Le Canada a accusé lundi des agents indiens d'avoir assassiné Hardeep Singh Nijjar, double citoyen, en juin. Il a expulsé l'un des diplomates indiens en poste au Canada en réaction et s'est engagé à tenir Delhi pour responsable de ce crime présumé. L'Inde a rejeté l'accusation et a expulsé en nature un haut diplomate canadien. Malgré la manière dont les médias présentent le tout, le conflit entre les Indiens et les Canadiens va bien au-delà du meurtre d’un seul homme. En fait, il incarne sans doute le choc des visions du monde opposées représentées par ces deux pays.
» Du point de vue du Canada, Nijjar était un militant pacifique qui a fait valoir son droit garanti par l’ONU pour demander l’autodétermination des Sikhs d’Inde. Ottawa a refusé de l'extrader vers le Pendjab indien conformément à la demande de sa police pour des accusations liées au terrorisme, car il les considérait comme politiques. Le Canada savait que cela et son refus de se conformer aux demandes de l’Inde visant à protéger les biens diplomatiques dans ce pays contre les attaques de groupes séparatistes associés mettraient en danger les relations bilatérales, mais il a néanmoins maintenu sa position ferme.
» La diaspora sikh est influente dans certains segments de la politique canadienne, ce qui explique en partie cette position, tout comme les efforts du premier ministre Trudeau pour se présenter comme le porte-drapeau de l’ordre mondial libéral. Le premier est explicite tandis que le second concerne l’idée selon laquelle les droits de l’homme sont plus importants que les droits de l’État ou la sécurité nationale. C’est pour cette raison que le Canada est prêt à subir les conséquences politiques, économiques et de réputation de l’accueil de séparatistes sikhs, y compris ceux accusés de terrorisme.
» Le point de vue de l’Inde est totalement différent. Elle estime que Nijjar a financé et organisé des attaques terroristes au Pendjab, ce qui représente un abus flagrant de son droit, consacré par l'ONU, de soutenir pacifiquement l'autodétermination par des moyens purement politiques. Le refus du Canada de l’extrader a donc été considéré comme hostile, et des soupçons ont circulé selon lesquels des extrémistes violents auraient réussi à “pirater” la démocratie libérale pour détourner la politique étrangère d’Ottawa ou qu’Ottawa voulait en réalité “balkaniser” l’Inde.
» Quoi qu’il en soit, l’Inde a commencé à considérer le Canada comme complice des menaces que des groupes comme celui de Nijjar font peser sur sa sécurité nationale en continuant à l’héberger ainsi que d’autres qui ont été accusés de la même chose. De leur point de vue, les droits de la personne ont été exploités par eux comme couverture pour justifier le terrorisme, soit avec la connivence du gouvernement canadien, soit en fermant les yeux sur cela pour des raisons de politique intérieure. La vie des plus de 25 millions d’habitants du Pendjab reste donc en danger aussi longtemps que ces menaces persistent.
» Cet aperçu de la vision du monde de l'Inde ne doit pas être interprété à tort comme suggérant que ses agents sont coupables de l'assassinat de Nijjar, mais simplement comme une façon de souligner la manière sécuritaire dont elle conceptualise cette question, qui est à l'opposé de l'obsession du Canada pour les droits de l'homme. Les deux pays sont tellement attachés à leurs points de vue respectifs qu’ils sont prêts à accepter les conséquences de ce différend sur les relations bilatérales et les implications plus larges qu’elles entraînent.
» À mesure que cette spirale continue, les observateurs seront en mesure de discerner plus facilement leurs visions du monde diamétralement opposées, d’autant plus que d’autres pays sont censés prendre parti, même de manière informelle. Comme on pouvait s’y attendre, la plupart des pays occidentaux soutiendront le Canada par solidarité avec leur bloc de facto de la nouvelle guerre froide, tandis que la plupart des pays non occidentaux soutiendront probablement l’Inde puisqu’il s’agit d’un pays en développement. Néanmoins, on ne s’attend pas non plus à ce que la plupart des tiers soient trop francs en raison de la sensibilité de ce différend.
» L’Occident ne veut pas risquer de ruiner ses liens mutuellement bénéfiques avec l’Inde, tandis que les pays non occidentaux ne veulent pas que leur défense de l’Inde soit déformée par les médias pour les discréditer. Du point de vue du premier, l’Inde les aide à équilibrer sur le long terme la montée en puissance de son rival systémique chinois, tandis que le second craint d’être diffamé par certaines forces médiatiques pour son prétendu soutien aux assassinats étrangers. Dans cette optique, le soutien occidental et non occidental au Canada et à l’Inde sera modéré.
» Des exceptions pourraient néanmoins exister, par exemple si un pays occidental relativement mineur, qui n’échange pas beaucoup avec l’Inde, parie qu’il a plus à gagner dans le domaine de la perception du public occidental en approuvant avec enthousiasme l’accusation de Trudeau. De même, la Russie a été accusée d'avoir assassiné des personnalités à l'étranger que son gouvernement considérait sans doute comme des menaces à la sécurité nationale. Elle sait donc ce que ressent actuellement son partenaire stratégique indien et pourrait donc défendre sa position. »
Il nous faut préciser et développer, pour compléter le dossier en l’état, la remarque de Korybko sur l’influence politique de la minorité sikh au Canada. La précision n’est pas indifférente, elle est même capitale en un sens, et explique pour une part non négligeable la fermeté de la position de Trudeau. D’une certaine façon, certains esprits plaisantins (mais à peine) pourrait conclure : “Qu’est-ce que le gouvernement Trudeau ? Un gouvernement sikh en exil, pas moins”.
Cette remarque est presque une marque de fabrique de la méthode de gouvernement de Trudeau. Compte tenu de la puissance de la minorité ukrainienne au Canada, avec son relais au sein du gouvernement (madame Freeland), on remarquerait que le soutien forcené de Trudeau à Zelenski se trouve ainsi parfaitement expliqué et l’on parlerait également, dans un élan de générosité, d’un éventuel gouvernement ukrainien en exil s’il arrivait malheur à Zelenski.
Quoi qu’il en soit, quelques phrases suffisent à situer l’importance de la minorité sikh pour la survie de Trudeau comme Premier ministre :
« Ajit Kumar Jha, journaliste et éditeur de renom, a déclaré que Trudeau subissait d'énormes pressions de la part de son allié politique, Jagmeet Singh.
» Singh, qui est le chef du Nouveau parti démocratique (NPD), a délivré un message en pendjabi à la suite des allégations de Trudeau au parlement et a promis de tenir le premier ministre indien pour responsable du meurtre de Hardeep Singh Nijjar.
» Soulignant que Singh était l'un des principaux candidats au poste de premier ministre lors des dernières élections, Ajit Kumar Jha a laissé entendre que le gouvernement Trudeau tomberait sans le soutien du NPD. Déplorant le “déclin total” des relations entre les deux pays, M. Singh a souligné la nécessité pour les gouvernements de parvenir à un accord. »
On aurait pourtant tort de réduire l’action de Trudeau à cette seule nécessité du soutien du NPD. Il y a, dans toute cette affaire, la marque parfaite, à côté des intérêts politiques, d’une politique idéologisée et utopique inspirée par une conviction réelle qui est toute entière alimentée par l’affectivisme. Trudeau est un croyant et il a épousé avec enthousiasme la cause sociétale-progressiste (wokenisme) dont la part belle faite aux migrants est un aspect important. Pour lui, le Canada est l’archétype de la communauté sociétale-progressiste de l’avenir, la parfaite “nation arc-en-ciel”, – et donc non-nationale, – de notre futur.
Ainsi est exposée en temps réel l’extraordinaire difficulté de marier l’utopie sociétale-progressiste comme formule centrale de développement et les vérité-de-situation de la politique. On résumera cela en quelques points qui éclaireront les inévitable contradictions dès lors qu’il existe un “autre monde” dont on connaît les divers composants et tendance :
le “Sud Global” , les BRICS et le SCO de Shangai ;
l’affirmation des nations dont certaines s’estimant être des nations-civilisations et toutes affirmant nettement leur souveraineté autour de cette idée collective ;
l’hostilité sans faille pour les tendances individualistes et libertaires du wokenisme et du progressisme-sociétal.
On comprend bien qu’on se trouve là, non pas devant une mésentente même allant au-delà de la concurrence stratégique, mais devant un phénomène dénotant une incompatibilité civilisationnelle jusqu’alors dissimulée. Trudeau l’expérimente du côté américaniste-occidentaliste, et l’Inde du côté du Sud Global. Les points principaux à relever sont les suivants :
• Selon le dogme américaniste-occidentaliste, le Canada est une nation multiculturaliste. L’accès donné aux communautés diversifiés selon les critères qu’on connaît, dont notamment l’immigration, donnent à ces communautés un poids politique qui peut devenir prépondérant, sorte de majorité de la minorité si l’on veut. Ainsi peut-on parler d’un “gouvernement sikh en exil, pas moins”, pour l’instant par procuration, mais directement si demain le leader sikh du NPD devenait Premier ministre.
• Il s’en déduit aussitôt que ces communautés affirment leurs propres intérêts, y compris nationaux ou partisans à l’intérieur de leurs nations d’origine. Eux ne semblent pas avoir intégré toutes les consignes de l’idéologie “arc-en-ciel”. Comme l’on dit, ils se la jouent-perso sans que le reste de l’équipe ne s’aperçoive de quoi que ce soiit.
• Certaines de ces affirmations sont d’un tel radicalisme puisque sans souci de la prudence et de la tolérance diplomatiques des pouvoirs en place, qu’elles portent en elles-mêmes les germes de conflits extrêmement radicaux. Les inscrire dans une politique nationale signifie condamne cette politique à l’insignifiance et à l’impuissance.
• Ces difficultés contradictoires se situent à l’intérieur d’un cadre de Grande Politique qui n’est pas régi par les normes “arc-en-ciel” parce que ces normes idéologiques ne peuvent s’imposer que si tout le monde les accepte ; c’est la définition même de l’idéologie radicale “arc-en-ciel”. Dans ce cas, le Canada a une position très embarrassante par rapport aux manœuvres US pour tenter de détacher l’Inde de ses liens avec la Russie et la Chine. Il s’agit d’un très grave problème pour le monde américaniste-occidentaliste, dont la solution ne pourrait se réaliser qu’avec le néantissement, la “cancellation” des autres ; dans le cas qui nous occupe, la cancellation de l’Inde serait la bonne solution. Il faut y penser.
• De son côté, l’Inde peut aujourd’hui mesurer les limites radicales de son projet de “pont d’union” entre le Sud Global, dont elle est partie prenante jusqu’à prétendre en être le leader, et le monde américaniste-occidentaliste. Elle ne peut poursuivre qu’au risque d’une rupture avec les forces les plus importantes du Sud Global. Sa sagesse, espérons-le, prendra le dessus sur son habileté.
• Finalement, on se trouve devant une impasse totale du radicalisme absolue de l’idéologie complètement acquise à l’affectivisme dans la forme de politique (de non-politique) qu’elle développe. Quelle que soit la massivité de la dose d’hypocrisie dont on charge son action, comme le font les USA, au bout du compte on est (ils seront et sont) rattrapés par les exigences de l’idéologie extrême et absolue. C’est donc l’explosion garantie à plus ou moins long terme ; mais dans leur cas (celui des USA), dans le plus court terme et pour éviter l’explosion, nous aurons l’implosion qui fera un sort au destin “arc-en-ciel” des USA.
• L’expérience Trudeau avec ses sikhs n’a qu’un avantage, d’ailleurs considérable doit-on reconnaître : elle met à jour et à nu l’extraordinaire catastrophe qu’implique cette politique ontologique de transformation de l’individu, et du monde par conséquent, et du reste, Dieu y compris. Là, – désolé, mais nous sommes loin des sikhs...
Mis en ligne le 20 septembre 2023 à 19H15
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