L’hypothèse de la neutralité

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L’hypothèse de la neutralité

• Au cœur d’une remarquable appréciation des concepts d’impérialisme, de globalisme et de multipolarisme, une hypothèse “réaliste” pour l’Italie, pour sortir du piège d’une situation d’imposture totale et inextricable. • L’hypothèse de la neutralité, surtout pour un pays qui devrait figurer au patrimoine de l’humanité plutôt que croupir dans l’asservissement à ces forces maléfiques et totalement imposteuses qui triomphent avant leur chute, est à la réflexion porteuse de réelles vertus politiques. • Contributions : dde.org et Andrea Zhok.

Le texte ci-dessous représente un travail très intéressant par sa clarté, sa précision, son éclairage de concepts souvent employés sans les bien comprendre, et, d'autre part, par sa prospective opérationnelle concernant l’hypothèse de la neutralité pour l’Italie. Il ne s’agit en aucun cas, ni d’une ambition spécifique, ni d’un choix de préférence active, mais bien d’un moyen pour l’Italie dans sa situation spécifique de tenter de se débarrasser de ce qui constitue, selon l’auteur, non seulement une situation de « province de l’Empire », mais une situation de « protectorat de facto ».

L’Italie est de ce fait dans un cas extrêmement dangereux à cause de sa position stratégique : celui de « porte-avions américain en Méditerranée », description qui se justifie sans aucun doute par le nombre de bases, de station, de centres de commandement OTAN, c’est-à-dire US, dans le pays. Depuis les accords de la CIA avec la démocratie-chrétienne et la Mafia dans les années 1940, l’Italie se trouve effectivement dans cette position de “protectorat”, illustré par l’importance des organisations clandestines OTAN/USA sur son territoire (les ‘Stay-behind’ des réseaux ‘Gladio, et le fait que l’affaire de l’enlèvement puis l’assassinat d’Aldo Moro en mars-mai 1978, durant “les années de plomb”, fut vécue comme une véritable tragédie illustrant de manière horrible le statut d’asservissement où ce grand pays à l’histoire si riche s’est trouvé plongé du fait de la puissance déstructurante et maléfique des États-Unis). Dans de telles conditions, l’hypothèse de la neutralité serait une sorte de notion de survie de ce qu’il reste de l’Italie, et cela est explicité de cette façon par Zhok :

« Mais tant en raison de sa situation géographique que de son histoire, l'Italie pourrait naturellement aspirer à un rôle de NEUTRALITÉ. L'Italie est le siège du Vatican, elle est l'une des régions du monde présentant le plus grand intérêt historique et artistique, et elle a cette position géopolitiquement médiane qui en fait un candidat de choix pour un rôle de non-alignement et d'équidistance dans un monde multipolaire.

» Il est clair que dans le contexte qui a mûri au fil du temps, le réalisme politique exige également de reconnaître que l'Italie ne dispose pas d'une échappatoire à ses dépendances internationales actuelles. Ce qui doit avoir lieu, c'est le début d'un processus d'autonomisation, qui est au contraire parfaitement dans les possibilités immédiates du pays. À ce stade historique, la première étape indispensable serait la promotion de pourparlers de paix entre la Russie et l'Ukraine et le retrait immédiat de toute implication dans le conflit actuel. »

En nous extrayant des horribles mensonges de notre époque de l’empire du mensonge se heurtant à la vérité-de-situation métahistorique, on ajoutera que l’hypothèse de la neutralité, comme une forme sublimée et devenue constructive de “finlandisation” (terme du temps où la Finlande n'avait pas une politique stupide), est porteuse de nombre de vertus cachées. Dans ce cas, l’Italie est encore mieux un exemple, dans la mesure où ce pays devrait figurer comme une sorte d’ensemble faisant partie du patrimoine de l’humanité, avec sa richesse artistique et historique extraordinaire, c’est-à-dire un passé qui devrait lui donner une place à part.

On notera aussitôt que de telles réflexions, parce qu’elles s’appuient sur une histoire et sur un passé digne de la métaphysique historique, constituent un défi puissant et absolument légitime au régime moderniste et usurpateur de la métahistoire, du “déchaînement de la Matière”.

Le texte ci-dessous, de Andrea Zhok, a été publié en version originale sur le site ‘Ideazione.com’, et en version française sur le site ‘euro-synergies.hautetfort.com’. (Le titre original est : « Réalisme géopolitique, multipolarisme et perspective de neutralité. »)Fidèles à nos conceptions, nous avons remplacé dans la traduction française tous les mots autour de la racine non-idéologique du ‘mondialisme’ par les mots autour de la racine idéologique ‘globalisation’. Au reste, dans le texte italien, il est bien question de ‘globalismo’.

dedefensa.org

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Perspective de neutralité

Nous avons déjà souligné le lien interne crucial entre la demande de restauration de la souveraineté populaire et les conditions de viabilité de la démocratie. L'idée de souveraineté populaire est jumelée au niveau des relations internationales avec l'idée d'"autodétermination des peuples": en principe, chaque peuple a le droit de poursuivre ses propres lignes de développement, conformément à sa propre trajectoire historico-culturelle et à sa situation territoriale.

Deux modèles entrent en collision frontale avec cette perspective : le modèle impérialiste et le modèle globaliste. Ces deux modèles supposent qu'une forme de vie doit s'imposer à toutes les autres. Dans le cas de l'impérialisme, c'est une civilisation unique qui doit être imposée aux autres, dans le cas du globalisme, c'est un modèle économique unique qui doit être imposé universellement.

Bien que le globalisme se soit répandu sur la base d'un programme libéral, que certains opposent naïvement à la tension impérialiste, le moteur de la globalisation a toujours été autoritaire, souvent soutenu par la "persuasion morale" et militaire. Par le passé, les instances globalistes se sont parfaitement mêlées aux instances impérialistes. C'est ainsi depuis les tirs des canonnières britanniques contre les ports chinois au milieu du XIXe siècle (guerre de l'opium), en passant par les changements de régime en Amérique du Sud jusqu'à aujourd'hui, où l'Occident libéral-capitaliste (dirigé par les Anglo-Saxons) a encouragé l'ouverture forcée des marchés des autres. Le conte de fées séculaire du “bénéfice mutuel du libre-échange” a servi à l'Occident pour revendiquer une fois de plus le monopole du bien et du juste, justifiant toutes les tergiversations et toutes les violences (“nous ouvrons les marchés des autres à la pointe de la baïonnette, mais même s'ils ne le savent pas, c'est pour leur bien”). L'impérialisme et le globalisme sont des mouvements sympathiques, qui se différencient simplement par une rhétorique différente : l’IMPÉRIALISME se présente généralement sous l'aspect paternaliste de celui qui apporte la vraie civilisation à ceux qui en sont dépourvus, tandis que le GLOBALISME se présente comme la diffusion par le “doux commerce” d'un modèle de vie intrinsèquement supérieur.

Dans le monde contemporain, l'impérialisme et le globalisme gravitent autour du même centre politique, à savoir l'État-nation américain, le seul qui se réserve le droit à l'autodétermination (et d'ailleurs les États-Unis ne ratifient pas systématiquement les traités qui feraient d'eux un objet d'ingérence ou de contrôle, – par exemple celui qui a instauré la Cour pénale internationale).

Adopter le principe d'autodétermination signifie adopter une vision géopolitique qui défend une perspective MULTIPLE dans les relations internationales, où l'on suppose que, en présence d'asymétries de pouvoir entre différentes nations, l'existence d'une pluralité de pôles d'attraction (“puissances”) est néanmoins souhaitable. L'existence d'une pluralité de pôles à peu près égaux rend les petites puissances, les États les plus faibles, moins sujets au chantage, puisqu'ils peuvent osciller entre différentes sphères d'influence, se rapprocher d'une autre sphère d'influence si la précédente s'avère trop oppressante, ou chercher une position de neutralité entre elles. Le multipolarisme est une “démocratie” possible dans un domaine où elle est formellement impossible, à savoir les relations entre les nations.

Le fait d'être des provinces d'un empire, ou pire encore d'en être des protectorats de facto, comme c'est le cas de l'Italie, a le seul avantage de réduire les responsabilités de la classe politique (qui peut donc se permettre d'avoir un Di Maio comme ministre des affaires étrangères, – un tatou ou un koala pourraient aussi bien faire l'affaire). Cependant, ce positionnement rend les pions parfaitement et entièrement sacrifiables, chaque fois que cela est utile au centre impérial.

La position de l'Italie aujourd'hui est délicate et extrêmement dangereuse. En tant que pays stratégiquement situé entre l'Occident et l'Orient politique, entre l'Europe atlantique et le Moyen-Orient, entre le Nord et le Sud du monde, nous sommes les plus exposés aux deux menaces qui se profilent dans cette phase historique : le danger d'un conflit guerrier et la pression migratoire.

Quant au premier, la situation de l'Italie pourrait dégénérer à tout moment. Le conflit russo-ukrainien, fomenté de manière irresponsable par les États-Unis et l'OTAN, peut dégénérer en une implication directe en un seul bref instant. L'Italie étant le porte-avions américain en Méditerranée, toute escalade impliquant explicitement l'OTAN nous verrait, malgré nous, en première ligne.

Dans le même temps, l'Italie est également en première ligne face au problème explosif des processus migratoires. Des taux de migration élevés et incontrôlés fonctionnent systématiquement comme des fauteurs de déséquilibre social, en mettant à mal les structures de bien-être des pays d'accueil, en fournissant des petites mains possibles pour la criminalité et en créant une couche de main-d'œuvre soumise au chantage et prête à tout, avec l'effet délétère de la compression des salaires pour les autres. Par conséquent, les immigrations massives sur de courtes périodes, – dépassant la capacité d'intégration et de métabolisation des États d'accueil, – sont économiquement et culturellement dommageables pour les systèmes sociaux qui les subissent, créant des conditions dans lesquelles l'exploitation, la précarité et le chantage se développent verticalement.

Sur ces deux questions, la politique (et l'information) italienne fonctionne et s'exprime bien en dessous du niveau minimum de sérieux. Les sujets sont systématiquement traités comme s'il s'agissait avant tout de questions morales, remettant en cause les jugements sentimentaux : loyauté (atlantique) ou brutalité (russe), générosité de l'accueil ou haine xénophobe, bienveillance des bons ou hostilité des méchants.

Toute tentative de remettre la question des intérêts nationaux au centre, comme cela est nécessaire dans une discussion où le réalisme géopolitique prévaut, est rejetée comme de l'égoïsme, de l'étroitesse, du nationalisme.

Cette existence virtuelle dans un monde de conte de fées bien-pensant, étranger à la réalité des rapports de force et à la confrontation d'intérêts indépendants, n'est pas un simple enfantillage innocent, mais une opération de distraction massive, qui contribue à rendre notre pays impuissant sur la scène internationale : une victime prédestinée.

Mais tant en raison de sa situation géographique que de son histoire, l'Italie pourrait naturellement aspirer à un rôle de NEUTRALITÉ. L'Italie est le siège du Vatican, elle est l'une des régions du monde présentant le plus grand intérêt historique et artistique, et elle a cette position géopolitiquement médiane qui en fait un candidat de choix pour un rôle de non-alignement et d'équidistance dans un monde multipolaire.

Il est clair que dans le contexte qui a mûri au fil du temps, le réalisme politique exige également de reconnaître que l'Italie ne dispose pas d'une échappatoire à ses dépendances internationales actuelles. Ce qui doit avoir lieu, c'est le début d'un processus d'autonomisation, qui est au contraire parfaitement dans les possibilités immédiates du pays. À ce stade historique, la première étape indispensable serait la promotion de pourparlers de paix entre la Russie et l'Ukraine et le retrait immédiat de toute implication dans le conflit actuel.

Andrea Zhok