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1150Un lecteur nous adresse en commentaire de notre texte Faits & Commentaires du 15 décembre 2009, une question à propos de l’analyse développée sur le thème de “la discorde chez l’ennemi”.
(Nous remarquons en passant combien cette sorte de question représente parfaitement ce qui entre dans le cadre d’un des aspects de notre nouvelle rubrique “Ouverture libre”, dont l’inauguration ne saurait tarder – nous parlons même d’une question d’une dizaine de jours – vous lirez très prochainement un texte sur cette nouveauté sur notre site.)
La question est de Monsieur Sylvain Michelet, sur le Forum du texte en question, à la date du 17 décembre 2009.
«…Cependant, vous semblez enclin à éliminer l'hypothèse d'une guerre comme solution à cette divergence que vous observez entre politiciens et financiers: est-ce par refus de paraître livrer une analyse “marxiste” plutôt que “maistrienne”? (Les deux s'opposent-elles, d'ailleurs ?)
»La guerre de 4è génération est-elle pourtant la seule imaginable? Au nom de quoi? De la bombe atomique? L'usage massifs des gaz en 14-18 ne joua-t-il pas le même rôle dans les années 30? On sait pourtant ce qui suivit.
»Pouvez-vous nous expliquer pourquoi, à votre avis, la guerre ne pourrait être la solution de sauvegarde du système aujourd'hui – comme elle le fut hier et d'autres fois encore?
»N'est-elle pas – comme on pourrait le dire des conflits en Irak ou en Afghanistan –, un “excellent” moyen pour que la divergence d'intérêts, qui aujourd'hui divise les divers centres de pouvoir, se dissolve dans un nouvelle convergence – politiciens et médias se chargeant de l'opinion (le software du système) et les financiers, industriels du CMI et autres représentants de la science apportant leur appui technique?»
»Bref, dans cette “montée aux extrêmes” dont vous observez si souvent les prémisses, pourquoi la guerre serait-elle exclue? Ne serait-elle pas, pour nos élites corrompues, le meilleur moyen de se “racheter” une légitimité?»
La thèse est logique, sans aucun doute. D’aucuns vous diraient que c’est ce qui s’est passé avec l’attaque 9/11 – quelle que soit la théorie que vous acceptez parmi les trois disponibles – mais vous pouvez alors constater le résultat, huit ans plus tard. Et tout cela, bien pire encore, car nous (USA en tête) sommes dans un état bien pire qu’en 2001.
La question est de distinguer la cause de la conséquence. La “discorde chez l’ennemi”, en un sens, est le résultat de guerres lancées peut-être, sans doute d’ailleurs, pour apaiser “la discorde chez l’ennemi”… Vous-même suggérez que ces guerres pourraient être faites dans ce sens, mais alors observez donc leurs effets (elles durent depuis assez longtemps pour qu’on puisse parler au moins d’“effets”) – et quel en est le principal sinon celui d’aggraver “la discorde chez l’ennemi” par leurs multiples conséquences catastrophiques? L’on en arrive, pour l’immédiat, à des situations où le fait même de l'intention de la guerre crée directement un nouvel épisode de “la discorde chez l’ennemi”. (Voyez la nouvelle de ce 17 décembre 2009, où l’on voit Pelosi laisser tomber son président pour le vote de fonds supplémentaires pour l’Afghanistan, et où Obama n’est même plus sûr de trouver un soutien chez les républicains pour faire “sa” guerre.) Quand vous pensez qu’un épisode aussi parfait que la guerre du Golfe première édition (1990-1991) n’a pas empêché le développement d’une crise massive d’identité des USA et la défaite ignominieuse du président-vainqueur, vous mesurez encore mieux les limites, voire la perversion de la recette.
Votre hypothèse “guerrière” est évidente et logique mais elle est, à notre sens, au point où nous sommes, dépassée et inopérante à la fois à cause de la situation et de l’état du système. La situation et l’état du système, en effet, expliquent notamment les circonstances suivantes (il y en a d’autres, toutes dans un sens catastrophique, mais limitons-nous…):
• Ce système est à la fois d’une puissance considérable pour quelque chose d’extérieur à lui (c’est la puissance du “technologisme”), et d’une impuissance complète par rapport à ses maux intérieurs parce qu’il est complètement vide de sens et affublé d’une perversité originelle. (Notez que ces aspects d’une “absence de sens” et d’une “perversité originelle”, notamment, sont une partie essentielle de la thèse centrale de l’essai sur La grâce de l’Histoire.) C’est un constat que plusieurs “historiens de la civilisation” déjà anciens, tels qu’Arnold Toynbee, ont déjà fait, ou dans tous les cas fortement esquissé.
• Ce système est si totalement globalisé qu’il n’a littéralement pas d’“extérieur à lui”. La Chine fait partie du système, la Russie aussi, la France, le Brésil, le Venezuela, la Mongolie extérieure, Monaco, etc. – mais chacune de ces “parties” du systèmes en étant également les critiques plus ou moins acerbes et actifs (toujours la “discorde chez l’ennemi”, mais jusqu’à la schizophrénie, puisque tout le monde est à la fois partie de l’“ennemi” et “ennemi” de cet “ennemi”…). Même ses “adversaires” de la guerre G4G font partie de lui (du système) en un sens. Les talibans font partie du système, littéralement d’ailleurs, puisqu’on les paie en dollars sonnants et trébuchants pour protéger les convois alimentant les troupes qui combattent… les talibans – donc, on les renforce. D’ailleurs, vous et moi, en même temps que nous nous proclamons (peut-être pour vous – certainement pour nous) ennemis du système, faisons partie du système puisque le système englobe tout. Il lui faudrait, le système, “inventer” un ennemi hors de lui-même qui justifie une mobilisation; il l’a tenté avec et après 9/11 – voyez le résultat (bis). Désormais, ce système n’a plus d’ennemi disponible qui lui permette de faire une vraie guerre mobilisatrice. (A moins que les Martiens ne s’y mettent, hypothèse à suivre mais assez pauvrette – même Hollywood n’y croit plus vraiment.)
• Notre opinion est d’ailleurs que le système est dans un tel état de décrépitude qu’il ne serait plus capable de produire efficacement assez d’armements pour une vraie guerre (hors-G4G), alors que le budget de la défense US est quasiment à $1.000 milliards aujourd’hui et qu’il peine à trouver 30.000 hommes pour l’Afghanistan, qu’il va sans doute mettre un an à déployer; qu’il ne serait plus capable de produire en nombre suffisant de vrais armements pour une vraie guerre (voyez le JSF); qu’il ne serait plus capable d’organiser une vraie mobilisation des populations pour une vraie guerre – mobilisation qui tournerait au désordre et à la révolte, simplement parce que le système craindrait tellement une telle issue qu’il la susciterait. (Analogie avec l’URSS: en novembre 1981, l’URSS abandonna un projet d’invasion de la Pologne en plein Solidarnosc devant le désordre qu’elle craignait voir naître en Russie même avec la nécessité de mobiliser et de rassembler des unités pour cette opération.)
• Enfin, et c’est là une position théorique que nous soutenons, il nous semble que le temps des vraies guerres (conventionnelle à haut niveau) est passé, par manque de moyens et par crainte des effets en cascade, par impuissance psychologique à justifier et à organiser de tels conflits, par paralysie bureaucratique pour le déploiement et l’organisation des forces, etc. Il y a également, la prévention psychologique – justifiée ou pas, c’est selon – de la monstruosité politique et opérationnelle que serait une telle guerre, dans tous les domaines, autant celui de l’organisation que celui des destructions considérables engendrées, que celui du caractère insupportable pour nous-mêmes de nos propres pertes que la communication a installé selon la catéchisme de son conformisme. Mais, répétons-le, c’est une position théorique et, à notre sens, un autre problème car notre avis est bien que ce cas ne se pose plus vraiment par rapport à la situation que nous avons décrite.
En résumé, les solutions “guerrières” dont vous parlez, les seules possibles, sont déjà là, en action, en Afghanistan après l’Irak. C’est le seul type de guerre que le système peut encore faire, et aussi le seul type de “guerre” encore possible (le désordre et les catastrophes de la crise générale nous occupant bien assez par ailleurs). Leurs effets, est-il besoin de le préciser, est absolument désastreux, sur tous les plans, et, comme on l’a vu plus haut, ne fait qu’accentuer “la discorde chez l’ennemi”, entre “alliés”, entre les centres de pouvoir du système, etc. Le système a atteint le stade schizophrénique d’une situation parallèle extraordinaire de puissance absolue et d’impuissance absolue. C’est un monstre extraordinaire qui se détruit lui-même. C’est la parfaite illustration de la “fable” des termites et des conduites pourries. Il suffit d’appliquer à ce système global la remarque de Charlie Cook citée dans le texte référencé: «On the subject of budget deficits, Gallagher is fond of quoting the late economist Herb Stein, who said that the problem isn't that wolves are at the door, it's that termites are in the foundation. Some of our country's problems are termites, not wolves. Unfortunately, as Gallagher warns, our system is geared more toward dealing with wolves» Le système est d’une puissance telle qu’aucun loup “extérieur” n’oserait jamais l’attaquer, seul danger qu’il a pu imaginer. Mais il n’y a plus de “loup” extérieur, seulement des termites à l’intérieur. Le système, assuré de sa perfection selon les normes que lui dicte son arrogance aveugle, sinon son arrogance pathologique s’exprimant sous la forme conjuguée de la schizophrénie et de la paranoïa, n’a rien prévu contre les termites qui le rongent de l’intérieur; et les termites, si l’on ose dire, “fourmillent” de plus en plus, et entretiennent de plus en plus constamment “la discorde chez l’ennemi”. Il se pourrait d’ailleurs que l’on isole et détermine un jour une nouvelle famille de termite, type postmoderne, et qu’on la baptise du nom de termite du type “discorde chez l’ennemi”.
Mis en ligne le 18 décembre 2009 à 10H15
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