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97514 mai 2004 — Aujourd’hui, Washington bruisse de toutes les hypothèses possibles. L’affrontement est partout. Les auditions au Congrès, surtout lorsqu’elles concernent Paul Wolfowitz, sont d’une violence exceptionnelle. Washington vit sur le pied d’on ne sait quoi, dans une atmosphère étrange qu’un visiteur en séjour là-bas décrit comme « électrique plutôt qu’explosive, comme si, malgré que des événements très graves se déroulent d’ores et déjà, chacun retenait son souffle en attendant des événements encore plus importants ».
Sidney Blumenthal, ancien conseiller de Clinton, actuel éditeur de Salon.com, évoque, dans son commentaire du Guardian, une hypothèse académique de coup d’État aux USA, à partir d’un essai de 1992 d’un officier de l’U.S. Army, The Origins of the American Military Coup of 2012. Il place cette hypothèse résolument dans la perspective de la situation actuelle, résumée d’ailleurs par le sous-titre de cette chronique : « Donald Rumsfeld has a new war on his hands — the US officer corps has turned on the government. »
La situation est totalement inédite, avec une révolte massive des cadres des forces armées, mais aussi de parts de plus en plus conséquentes de l’establishment washingtonien, face à un gouvernement arc-bouté sur une position d’où il ne peut ni ne veut bouger. Grosso modo, le conflit se fait autour de la présence en Irak, car l’enjeu est effectivement rien de moins qu’un départ d’Irak pour ceux qui se révoltent contre le gouvernement. C’est à ce point que Blumenthal, homme en général bien informé et qui appuie sa chronique sur des consultations officieuses avec des généraux des forces armées, évoque jusqu’à l’hypothèse extrême d’un coup d’État.
« William Odom, a retired general and former member of the National Security Council who is now at the Hudson Institute, a conservative thinktank, reflects a wide swath of opinion in the upper ranks of the military. “It was never in our interest to go into Iraq,” he told me. It is a “diversion” from the war on terrorism; the rationale for the Iraq war (finding WMD) is “phoney”; the US army is overstretched and being driven “into the ground”; and the prospect of building a democracy is “zero”. In Iraqi politics, he says, “legitimacy is going to be tied to expelling us. Wisdom in military affairs dictates withdrawal in this situation. We can't afford to fail, that's mindless. The issue is how we stop failing more. I am arguing a strategic decision.”
» One high-level military strategist told me that Rumsfeld is “detested”, and that “if there's a sentiment in the army it is: Support Our Troops, Impeach Rumsfeld”.
» The Council on Foreign Relations has been showing old movies with renewed relevance to its members. The Battle of Algiers, depicting the nature and costs of a struggle with terrorism, is the latest feature. The seething in the military against Bush and Rumsfeld might prompt a showing of Seven Days in May, about a coup staged by a rightwing general against a weak liberal president, an artefact of the conservative hatred directed at President Kennedy in the early 60s. »
Il n’a jamais été question d’une telle possibilité d’un coup d’État à Washington, dans l’époque moderne (et même, depuis l’origine). Des rumeurs avaient suivi la démission de Nixon en août 1974, mais après coup, selon lesquelles une unité du Corps des Marines avait été prête à marcher sur Washington pour empêcher le départ de Nixon. Ces mêmes rumeurs indiquaient que le secrétaire à la défense James Schlesinger avait pris les mesures nécessaires pour prévenir toute initiative de cette sorte. Dans les années Kennedy, comme l’évoque Blumenthal, les rapports du président et de sa haute hiérarchie militaire (autour du général LeMay) étaient épouvantables, mais un film comme Sept jours en Mai, tourné par John Frankenheimer avec l’appui de Kennedy, constituait plus un acte pour désamorcer par avance toute tentation d’action brutale des militaires ; et il n’y eut effectivement jamais de menace d’actions inconstitutionnelles. (Par contre, l’une des thèses dissidentes de l’explication de l’assassinat de JFK porte évidemment sur une action des militaires alliés à d’autres forces.)
On voit que nous sommes loin des circonstances actuelles, où c’est plutôt le blocage d’une situation paroxystique, avec des pressions extérieures (l’Irak) épouvantables, qui constitue la cause de la tension existante conduisant aux hypothèses évoquées ici. L’autre différence fondamentale est que ce sont aujourd’hui les extrémistes qui sont au pouvoir, alors qu’ils étaient, dans les périodes passées évoquées, les fomentateurs des actions évoquées ; au contraire, ce serait plutôt des “modérés” qui seraient conduits à l’extrémité d’une action illégale.
D’une certaine façon, les deux cas passés évoqués plus haut sont accidentels ou hypothétiques, et, éventuellement, en contradiction avec la situation générale qui ne réclamait pas du tout cette sorte d’extrémité. Aujourd’hui, on voit que c’est la situation elle-même qui, par ses tensions, pourrait conduire à des décisions extrêmes, ou, dans tous les cas, amène à y songer dans le cadre des hypothèses évoquées. Plus que s’attacher de façon approfondie à la perspective elle-même de l’action envisagée, on retiendra pour l’instant combien cette hypothèse donne une mesure très préoccupante de la gravité de la crise américaine.