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«Like a Rolling Stone...»

10 août 2013 – C’est comme une spirale qui prend forme et menace d’être sans fin, avec la menace d’effets également “diluviens” de ce que nous avons désigné comme une “crise diluvienne”, ou une “crise première” déclenchant un enchaînement incontrôlable... C’est comme une pierre qui roule, celle de Dylan désignant symboliquement une circonstance où l’on a perdu ses références, que ce soit le but habituellement suivi d’une vie (ou d’un Système), que ce soit la maison natale où l’on avait l’habitude de se retrouver, que ce soit la perspective de l’avenir qui s’est transformée en “un complet inconnu”...

«How does it feel

»How does it feel

»To be on your own

»With no direction home

»Like a complete unknown

»Like a rolling stone?»

Ainsi en est-il de la crise Snowden/NSA, indiscutablement structurée désormais en cet événement considérable per se, vivant sa propre vie, engendrant de multiples effets, ayant rompu les amarres avec les habituelles et rassurantes références. Le monstre antiSystème (le “crise diluvienne”) engendré par le monstre-Système (la NSA) pris la main dans le sac , “is on its own”, roulant comme une “pierre qui roule”, “like a complet unknown”.

Depuis quelques jours, on observe plusieurs phénomènes à la fois conflictuels et déstructurants qui, tous, recèlent un aliment formidable pour une confrontation d’une part entre le Système, d’autre part les forces et les réactions antiSystème que la crise Snowden/NSA ne cesse de susciter, engendrant une dynamique déstructurante du Système. Tous ces phénomènes sont hors de contrôle, “on their own”, sortis de leurs catégories habituelles et des références (nécessairement références-Système) qui les protégeaient jusqu’alors. C’est le même phénomène qui affecte cette activité centrale qu’est la diplomatie, avec la décision d’annulation du sommet Poutine-BHO (le 9 août 2013), qui doit être sorti de son cadre habituel pour être précipité dans le “unknown” de ce titanesque affrontement Système versus antiSystème de la “crise diluvienne”.

• A tout piètre seigneur, piètre honneur... Obama lui-même, qui est descendu dans l’arène bouillonnante de la crise. Il en est plutôt furieux, – vacances gâchées, territoire unknown avec impopularité grandissante et risque très grave d’implication personnelle, humiliante et destructrice de lui-même dans la crise. Jeudi, lors du show Jay Leno de NBC, BHO avait affirmé «We don’t have a domestic spying program. What we do have are some mechanisms where we can track a phone number or an email address that we know is connected to some sort of terrorist threat.» Sur CNN (repris par Russia Today le 9 août 2013), Van Jones, ami d’Obama, ancien conseiller du président sur les questions environnementales, répond en “ridiculisant” cette affirmation.

«Everybody knows I love this president, but this is ridiculous. [...] First of all, we do have a domestic spying program, and what we need to be able to do is figure out how to balance these things, not pretend like there’s no balancing to be done. [...] But much more important, he said something else that I thought that was really awful. He said that if somebody like Snowden wanted to be a whistleblower, they could have gone ahead.... Well, hold on a second, sir. That is — you are right now prosecuting more whistleblowers – not only than any American president, than every American president combined! So you can’t then come out on Leno and yuck it up and say, “Well, whistleblowers, come on out and we’ll treat you right.” because you haven’t been doing that.»

• Le même BHO convoque d’urgence, vendredi, une conférence “ultra-secrète” avec quelques grands patrons impliqués dans l’internet et qui collabore à fond avec la NSA (Google, IT&T, etc.). Ces grands patrons sont venus lui dire de “faire quelque chose” parce qu’ils sont en train de perdre leur chemise, – leurs précieux dividendes, leurs précieux marchés monopolisés, – à cause de leur mauvaise réputation de “collabos” de la NSA... BHO est obligé d’obtempérer en envisageant quelques réformettes de la NSA, alors que la NSA exige au contraire que rien, absolument rien ne soit fait contre elle. Il sort de cette réunion pour une conférence de presse où il montre tout son malaise, le visage gris de fureur rentrée. Il annonce quatre réformes, qui n’en sont absolument pas bien entendu, et qu’il va collaborer avec le Congrès pour faire mieux encore (on savoure d’avance le goût relevé de l’affrontement à venir). Cet homme si cool, qui ment comme il sourit quand il n’est pas pris la main dans le sac, a l’effronterie grotesque d’ajouter que ces réformes grotesques à force d’être bidon étaient en préparation avant que Snowden, – plus que jamais “traître”, – commette sa vilenie. (“Pour info”, comme l’on dit, voyez les variations serpentines de BHO sur l’affaire depuis le 7 juin, dans le Guardian du 9 août 2013.) Compte-rendu rapide mais significatif de Antiwar.com du 9 août 2013, où le mot tweak doit être entendu comme “bidouillage”.

«From the moment he emerged at the White House press conference today, President Obama had a visible chip on his shoulder, apparently annoyed that facing growing public outrage over the NSA surveillance schemes he had to make public promises of reforms. Or at least what passes for reforms in his mind. Obama insisted that he is entirely “comfortable” with the surveillance system as currently constituted and expressed anger that “rather than a lawful process” the public debate was a result of leaks. The president promised four “reforms,” three of which amounted to talking with other officials about how to sell the American public on the idea that everything is going as well as he thinks it is, and the fourth of which offering a minor tweak to FISA courts... [...]

»Most of the press conference was of little substance, with Obama angrily rejecting questions about drone strikes in Yemen and mocking Russian President Vladimir Putin’s slouch, saying he’s “lookin’ like the bored kid in the classroom.” He only briefly touched on Edward Snowden personally, mostly just attacking the leaks as “unlawful” and a “threat to national security.” In that brief mention, Obama rejected the notion that Snowden was a patriot, and demanded that if he truly believed what he did was right he return to America immediate to accept punishment for it.»

• En appendice, on placera ce passage de Antiwar.com qui montre un certain désarroi mental du président, à la psychologie cool mais peut-être secrètement fragile... Il affirme qu’il “serait lui aussi inquiet [du programme de la NSA] s’il n’était pas dans le gouvernement”, et poursuit en affirmant que le public serait resté tout à fait à l’aise avec le programme si cette confiance n’avait été lâchement pulvérisée par les fuites de Snowden, qui exposent la vérité et sont la seule cause du malaise pourtant tout à fait justifié du public... («Oddly, Obama conceded of the surveillance that “I would be worried too if I wasn’t inside the government,” but then went on to insist that the public would’ve been fine with the program but his trust was “undermined” by leaks, which of course are the only reason the American public knew about the surveillance in the first place.»)

• Il y a une révolte de certaines sociétés de service de l’internet, les sociétés d’encryptage qui offrent des services à l’abri des incursions de la NSA. C’est Lavabit (400.000 clients), la société où Snowden disposait d’un adresse courriel, qui, la première, a annoncé qu’elle préférait cesser temporairelment ses activités plutôt que céder aux injonctions de la NSA. (Une autre société US, Silent Circle, a suivi.) Lavabit va devant les tribunaux et espère obtenir la décision qu’elle a le droit constitutionnel de refuser les demandes de la NSA ; si elle n’obtient pas cette décision, elle s’expatriera pour ne plus dépendre du système totalitaire de surveillance des USA, dépassant en puissance et en contrainte tout ce que les dictatures de l’Histoire avaient jusqu’ici mis en place. (On vous rassure : pour autant les USA, restent une démocratie, et la référence même de la vertu démocratique. Ouf.) Ladar Levinson, la patron de Lavabit, dont le comportement est décrit comme “héroïque” par Greenwald, a osé mettre cette recommandation sur son site, dans le texte annonçant sa fermeture, – recommandation selon laquelle, pour rester libre, il faut n’avoir aucune connexion avec les USA : «This experience has taught me one very important lesson: without congressional action or a strong judicial precedent, I would – strongly – recommend against anyone trusting their private data to a company with physical ties to the United States.» L’affaire est partout développée (voir Russia Today, le 8 août 2013), mais c’est surtout la chronique une nouvelle fois dévastatrice de Greenwald dans le Guardian du 9 août 2013, qu’il faut lire.

• Cette affaire Lavabit nous donne dans tous les cas une précieuse indication. L’intervention de la NSA a eu lieu parce que Lavabit gère une adresse électronique de Snowden, sans doute innocente parmi les dizaines d’adresses dont il doit disposer puisqu’elle a été identifiée lorsque Snowden a invité de façon très ouverte les journalistes à sa conférence de presse de l’aéroport de Moscou. Pourtant la NSA intervient avec sa grâce habituelle auprès de Lavabit ... Ce qui montre 1) que la NSA n’est pas très intelligence (on le savait) d'ainsi se signaler pour un propos assez anodin et par des temps difficiles pour elle, et surtout, 2) qu’elle ne dételle pas, qu’elle ne fait pas profil bas, qu’elle est plus active que jamais, donc qu’elle résistera à toutes les tentatives de réforme, d’apaisement, etc. Rien pour nous étonner, mais une telle indication dans ce sens nous conforte.

• Au contraire, les géants du domaine demeurent fidèle au Système parce qu’ils en sont parts intégrantes. Néanmoins ils s’inquiètent comme on l’a vu avec la conférence avec Obama, et ils ont de quoi. Dans sa chronique sur l’affaire Lavabit, Greenwald donne aussi quelques précisions vertigineuses qui vont dans le sens de ce que nous désignions comme l’amorce d’une déstructuration de l’architecture NSA-internet (voir le 12 juillet 2013). Silicon Valley est dans le mode panique, car la crise Snowden/NSA touche aussi là où ça fait mal, dans le cœur même de la philosophie humaniste des USA, – le fric...

«The growing (and accurate) perception that most US-based companies are not to be trusted with the privacy of electronic communications poses a real threat to those companies' financial interests. A report issued this week by the Technology and Innovation Foundation estimated that the US cloud computing industry, by itself, could lose between $21 billion to $35 billion due to reporting about the industry's ties to the NSA. It also notes that other nations' officials have been issuing the same kind of warnings to their citizens about US-based companies as the one issued by Lavabit yesterday: “And after the recent PRISM leaks, German Interior Minister Hans-Peter Friedrich declared publicly, 'whoever fears their communication is being intercepted in any way should use services that don't go through American servers.' Similarly, Jörg-Uwe Hahn, a German Justice Minister, called for a boycott of US companies.”

»The US-based internet industry knows that the recent transparency brought to the NSA is a threat to their business interests. This week, several leading Silicon Valley and telecom executives met with President Obama to discuss their “surveillance partnership”...»

• Presque comme anecdotiquement, alors qu’en temps normal on en ferait ses choux gras, on remarque peu combien parallèlement on assiste aujourd’hui à une avalanche, à une pluie diluvienne de “fuites” de documents qui renforcent la troué effectuée par Snowden, qui continuent à venir de Snowden ou qui viennent désormais d’autres sources... C’est Reuters qui publie le 5 août 2013 un document secret sur l’emploi que fait la DEA (l’agence de lutte antidrogue) d’informations illégales venues notamment de la NSA (et aussi de la CIA, du FBI). C’est la même agence Reuters qui récidive le 7 août 2013, en dévoilant l’utilisation que fait l’IRS (service des impôts) d’informations sur des contribuables qu’il poursuit de son intérêt, à partir de matériels illégaux collectés par la NSA. C’est USA Today qui obtient des informations sur le FBI pour l’année 2011, sur 5.568 cas où le Bureau a été autorisé à commettre des actes illégaux (voir 6 août 2013 sur Russia Today). Enfin, bien sûr, la litanie des révélations Snowden... Le 7 août 2013, révélations du Spiegel sur des “envois massifs” de données illégales, des services de renseignement allemands (BND) vers la NSA ; le 9 août 2013, de nouveaux documents Snowden dans le Guardian, toujours sur l’accès de la NSA à l’internet. Chronique à suivre, qui entretient la tension et la panique du Système, comme ferait une basse continue.

• Il y a la mention nécessaire, dans ce paysage antiSystème, du cas du groupe McClatchy. Il s’agit de l’affaire indirectement (pour nous directement) liée à la crise Snowden/NSA, de l’alerte antiterroriste évidemment globale. Ce groupe de presse n’est pas rien puisqu’il est classé comme le troisième aux USA. Son état d’esprit existe depuis longtemps, comme le montre l’extrait de Wikipédia commentant un discours de son chef du bureau de Washington, le 10 octobre 2008 : «In 2008, McClatchy's bureau chief in Washington, D.C., John Walcott, was the first recipient of the I.F. Stone Medal for Journalistic Independence, awarded by the Nieman Foundation for Journalism. In accepting the award, Walcott commented on McClatchy's reporting during the period preceding the Iraq War: “Why, in a nutshell, was our reporting different from so much other reporting? One important reason was that we sought out the dissidents, and we listened to them, instead of serving as stenographers to high-ranking [Bush administration] officials and Iraqi exiles.» McClatchy a montré à nouveau son indépendance qui, dans ces temps de servilité et d’autocensure de la presse-Système, prend l’allure d’une révolte. Il l’a fait à propos d’une information concernant l’alerte-terroriste-bidon (tiens, qui s’en inquiète encore ?) qui devait mobiliser l’attention en faveur de la NSA et qui agonise de ses propres incohérences. D’autres médias avaient cette information et ne l’ont pas diffusée à la demande des autorités US. McClatchy n’a que faire des demandes des autorités US, comme il l’explique sur Huffington.News le 8 août 2013. Dans un courriel à HuffingtonPost, le chef du bureau de Washington James s’explique sans le moindre goût du compromis, faisant montre à ciel ouvert de cet état d’esprit, ancien pour McClatchy mais nouveau chez beaucoup d’autres, vis-à-vis du Système...

«Our story was based on reporting in Yemen and we did not contact the administration to ask permission to use the information. In fact, our reporter tells me that the intercept was pretty much common knowledge in Yemen. On your larger question about the administration's request, I'm not surprised. It is not unusual for CNN or the NYT to agree not to publish something because the White House asked them. And frankly, our Democracy isn't well served when journalists agree to censor their work. As I've told our readers in the past: McClatchy journalists will report fairly and independently. We will not make deals with those in power, regardless of party or philosophy.»

Oui, la crise Snowden/NSA vaut bien celle de 2008...

Le 2 août 2013, nous posions une question... La crise Snowden/NSA vaut-elle celle de 2008, en ce sens qu’elle serait une crise de rupture en plus du reste (“crise première”, “crise diluvienne”, etc.), ouvrant une nouvelle époque qui pourrait être celle de la phase finale de la crise d’effondrement du Système ?

«La crise Snowden/NSA est bien diluvienne en plus d’être “première”, en plus d’être impérialement inscrite dans l’infrastructure crisique qui assure à la fois sa pérennité et son efficacité. Elle apporte cette dimension nouvelle de la “pluridisciplinarité” que peut atteindre une crise, en partant dans toutes les directions et en touchant tous les domaines, tout en maintenant avec une rigueur étonnante la cohésion de sa logique qui, chaque fois, la ramène au centre bouillonnant du Système et du bloc BAO, à Washington même. Devant une telle persistance qui transforme la résilience, d’une capacité de renaître à une affirmation constante de son existence avec les effets à mesure, on doit commencer à s’interroger pour savoir si l’on ne se trouve pas, avec cette crise Snowden/NSA, à une étape aussi importante dans le course de l’ébranlement du Système, que l’étape précédente qui est la crise financière de l’automne 2008.»

A la question posée implicitement dans cet extrait, et explicitement plus haut, la réponse est sans aucun doute “oui” (“La crise Snowden/NSA vaut-elle celle de 2008 ?”), sans doute “oui” (“La crise Snowden/USA est-elle une crise de rupture pour une nouvelle époque ?”), et peut-être bien “oui” (“La crise Snowden/NSA est-elle une crise de rupture ouvrant une nouvelle époque qui pourrait être celle de la phase finale de la crise d’effondrement du Système ?”)... et cela, – ces questions-réponses infiniment plus précises que l’hypothèse concluant le texte cité, – à peine huit jours après la publication du texte cité...

D’où cette première remarque fondamentale : l’extraordinaire rapidité de développement de la crise, hors de tout contrôle, son invasion de tous les domaines. Pour un mois d’août, où l’habitude est qu’on observe une sorte d’armistice de vacance au point où les médias cherchent en vain les sujets à sensation, les événements en cours nous en disent long sur la substance et le rythme de la crise... Littéralement, l’entièreté du Système est affecté, ce qui est un tribut rendu à la puissance et à l’extension de la NSA, certes ; mais tribut, aussi, rendu à la puissance omniprésente du système de la communication et à sa terrible double face, à son extraordinaire caractère de Janus qui lui fait soutenir le Système un jour, pour se transformer en formidable machine antiSystème le jour d’après, au gré de ses intérêts et des tendances caractérisant son domaine d’intervention ...

La rapidité fulgurante, le rythme de cette crise sont notamment évidents dans le fait que le président lui-même a du s’impliquer d’une façon extrêmement défavorable pour lui, entre ses déclarations grotesques de jeudi soir au Jay Leno show et sa conférence de presse furieuse et profondément maladroite du lendemain. (Voir également le sentiment de de Jacob Heilbrunn, commentateur écouté de The National Interest ce 10 août 2013, où certaines interventions d’Obama sont décrites comme “enfantines” sinon “insultantes”, notamment vis-à-vis de Poutine. Même le Washington Post ironise à ce propos, le 9 août 2013, et pas à l’avantage d’Obama.)

L’explication de ce comportement détestable d’Obama, – sans doute n’a-t-il jamais été aussi mauvais que lors de cette conférence de presse, – doit être trouvé dans sa position inconfortable. Il sortait d’une conférence où il avait été rudement pressé par les grands patrons de Silicon Valley de faire quelque chose pour desserrer l’étau de la mauvaise réputation (les liens de Silicon Valley et de la NSA), alors qu’il est pressé en sens inverse par la NSA pour ne rien faire qui limite la liberté d’action d’elle-même. Il n’y a rien qu’Obama ne déteste plus que cette position contrainte où, pour s’en sortir, il faudrait prendre une décision brutale, sans réplique, dans quelque sens que ce soit, qui engage sa responsabilité au risque de se faire des ennemis terribles. Il n’en a ni le caractère, ni la stature. Il reste donc coincé dans une indécision qui devient dans ce cas une recette pour la dissolution rampante de sa position, coincé entre deux forces qu’il a toujours favorisées, et dont il est le prisonnier bien plus que l’inspirateur.

Quoi qu’il en soit, l’épisode nous dit que le président des États-Unis n’est pas loin de se retrouver en première ligne dans cette crise, c’est-à-dire à y être impliqué comme un président se trouve embarqué dans un scandale, et cela s’est fait avec une rapidité extraordinaire où il a montré qu’il courait péniblement derrière les événements bien plus que de même seulement tenter de les conduire. Le danger se précise pour lui, et ce n’est pas le Watergate qu’on prendra comme référence, mais une situation de crise complètement inédite, où c’est tout le Système qui tremble. Le rythme de la crise en est la cause essentielle, qui empêche, à l’image des événements comme on les a évoqués, de seulement tenter d’en reprendre le contrôle. La crise leur file comme le sable entre les doigts

L’autre aspect que découvre cet épisode qui n’est en fait qu’un segment de plus dans une suite sans temps mort réel, c’est le caractère de plus en plus autonome de cette crise, à mesure que les responsabilités et les maîtrises se diluent. Par exemple, pour les documents : Snowden ne joue plus aucun rôle, et si Greenwald est toujours un acteur essentiel, il n’est plus le seul (avec la filière Spiegel), tandis qu'apparaissent désormais des filières de révélations, notamment de documents “fuités”, qui n’ont aucun rapport avec Snowden. Comme découragement des activités de whistleblower que recherche l’administration Obama, c’est un résultat parfait dans l’inversion. Un autre aspect, un nouvel aspect, est la constitution d’un antagonisme entre les géants d’internet et la NSA, bien que l’une et l’autre partie collaborent, et, du côté industriel, la rupture entre ces mêmes géants hyper-collaborateurs de la NSA et les sociétés petites et moyennes qui sont prêtes à quitter les USA pour ne pas succomber au diktat de la NSA ... Et ainsi de suite, certes. Il y a donc ce phénomène de la diffusion qui finit par dégager la crise de toute emprise humaine sérieuse en parcellisant les responsabilités et les influences, qui finit par la constituer en entité autonome, – certains parleraient d’une égrégore, – opérationnalisée en une chaîne éruptive dont les éruptions ne peuvent être prévues puisqu’il existe désormais de nombreux canaux différents, embrassant des domaines différents, intérieurs aux USA et extérieurs aux USA.

Un point caractéristique accroissant ce caractère à la fois autonome et incontrôlable, c’est l’absence complète de pressions populaire, de colère populaire, etc. (sinon les sondages qui jouent en faveur de l’aggravation en raison du soutien à Snowden), voire de pressions de la “grande presse” (presse-Système) qui est comme d’habitude en position de servitude vis-à-vis du Système. Tout se passe dans le domaine puissant mais complètement incertain et insaisissable du système de la communication. De ce point de vue, le Système n’a également aucune prise sur rien et il perd même ses bonnes vieilles habitudes de tenter d’étouffer l’écho de communication de la crise en cherchant un autre point de crise. C’est l’exemple de l’affaire du terrorisme, comme nous le notions le 6 août 2013 :

«C’est un point remarquable, qui montre qu’on sort de l’ordinaire des manœuvres de ce type à Washington. Lorsqu’une crise devient embarrassante pour le pouvoir et l’establishment, et Dieu sait si la crise Snowden/NSA l’est, on “tente un coup” dans un autre domaine pour en détourner l’attention, – par exemple, dans ce cas, cela aurait pu être sur l’Iran, sur la Syrie, sur l’Égypte, trois “fronts” brûlants de la politique extérieure US. Le cas est, ici, totalement inverse. On renforce la polémique, l’affrontement sur la NSA, on donne un argument de plus pour en parler, on réclame encore plus l’attention sur la crise.<

»Certes, l’on comprend bien qu’il s’agit pour la fraction-Système favorable à la NSA de redresser la réputation et l’influence de cette agence, et de tenter d’affaiblir le camp qui s’est constitué au Congrès contre elle. Cela n’explique pas pour autant la tactique choisie, qui écarte la technique de déflexion, par la tromperie, le leurre, etc. (“deceit”), qui est en général préférée (faire prendre une orientation différente à ce qu’on vise, – ici, le débat public)...»

Le grand événement de cette crise, qui nous fait la considérer comme si importante, c’est que le désordre qui est d’habitude la conséquence et les effets de la crise, a gagné la crise elle-même. Peu à peu, la crise perd donc ses buts précis de départ (les intentions de Snowden) pour devenir pure action de déstructuration et de dissolution, voire d’entropisation (dd&e), contre ce quoi elle s’exerce nécessairement, qui est le Système lui-même, et son rythme, sa rapidité en faisant cette “pierre qui roule” sans savoir où elle va et bien plus destructrice par conséquent. Sa diffusion dans de si nombreux domaines complète ce tableau étrange qui est celui d’une crise antiSystème qui s’insinue dans le Système lui-même, qui gagne tout le tissu de la chose, pour semer désordre et inversion, et le Système lui-même se retrouvant comme s’il abritait un monstre qui le dévorerait de l’intérieur, comme nos fameuses termites. Dans ce cas, l’antiSystème aurait trouvé la ruse ultime du diable, qui est de prendre l’apparence de l’adversaire pour mieux le détruire.