L’imbroglio START-II et l’“option nucléaire” pour la Russie

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Parmi les divers textes qui ont accompagné et accompagnent la signature du traité START-II, nous citons un texte d’analyse de Hugo Natowicz, de Novosti, du 6 avril 2010. Loin d’éclaircir le débat et le sens de ce traité, l’analyse est en sens aussi nébuleuse que le titre («START: poignée de main ou bras de fer?»). Ce qui nous intéresse est la conclusion, surgissant comme le fait épisodiquement le monstre du Loch Ness ou un poisson d’avril, mais qui présente finalement un intérêt certain à la lumière d’une interprétation qu’on en peut faire. Après avoir examiné les divers aspects contradictoires de la position russe dans la situation de la sécurité européenne, l’auteur ajoute brusquement, comme une sorte de contrepied, ce qu’on pourrait nommer “l’option nucléaire” (l’option radicale), que nous avons déjà et souvent évoquée: l’adhésion de la Russie à l’OTAN. Mais il le fait avec une précision intéressante, une recommandation dans ce sens d’un institut dont Medvedev préside le conseil de tutelle.

«Une autre option, plus anecdotique, semble elle aussi faire son chemin. Alors que la nouvelle doctrine militaire russe place l’élargissement de l’Alliance au premier rang des menaces contre la Russie, l’Institut de développement contemporain – INSOR, dont Medvedev préside le conseil de tutelle, a prôné dans un récent rapport l’adhésion russe à l’OTAN. Une preuve de l’aspiration de la Russie actuelle à être reconnue coûte que coûte comme un acteur à part entière de l’architecture sécuritaire mondiale.»

Notre commentaire

@PAYANT Ces dernières remarques sont intéressantes, qui contrastent clairement avec le reste du texte, dont on a relevé la confusion. (Cette confusion étant d'ailleurs plus la description d'une situation qu'une faiblesse de l'esprit de l'analyste.) Elles pourraient indiquer une tendance nouvelle, qui pourrait se faire jour dans les milieux dirigeants en Russie (tous ces conditionnels bien nécessaires), devant les récents événements en Europe ou qui impliquent la Russie, et notamment:

• L’accord SALT-II, extrêmement décevant, qui ne règle rien de fondamental avec les Américains, notamment rien de fondamental du point de vue de la Russie à propos du grand affrontement USA-Russie sur les anti-missiles, ferme pour l’instant (et peut-être pour longtemps) la porte d’une entente constructive entre la Russie et les USA sur nombre de problèmes régionaux, particulièrement en Europe. Ce fait amène les Russes à comprendre que la voie d’une entente politique bilatérale active entre les USA et la Russie, y compris pour la question de la sécurité en Europe, est extrêmement compromise, si pas simplement fermée. Les premières réactions républicaines au Sénat ne sont pas faites pour démentir cette analyse. (Certains sénateurs jugent qu'il n'y aura pas de ratification de SALT-II au Sénat US cette année, ce qui promet dans l'ambiance de marigot de Washington.) Le destin de l’accord SALT-II est un facteur essentiel dans le jugement qui préside à la politique russe. Si les prévisions pessimistes qu’on a détaillées se confirment, la Russie constatera le blocage de la voie du dialogue avec les USA, de l’entente avec les USA, – une entente constructive s’entend, capable de faire évoluer la situation de la sécurité européenne. Les vagues projets de déploiement anti-missiles sont pourtant assez insistants, redondants, “rebondissants” d’une orientation à une autre, d’un pays à l’autre, à la manière de l’activisme planificateur de la bureaucratie du Pentagone, pour bloquer toute tentative sérieuse d’évolution…

• A côté de cela, au niveau régional, on assiste à une remarquable évolution de la Russie. Il y a un rapprochement très net entre la Russie et certains pays d’Europe de l’Est, cette Europe de l’Est qui, il y a deux ans, poursuivaient une attaque généralisée contre la Russie. Il y a la question des relations avec la Pologne, bien sûr, pays qui constitue l’élément essentiel de l’Europe de l’Est; des rapports excellents avec la Slovaquie, meilleurs avec la Tchéquie. Pendant ce temps, l’Ukraine a évolué comme l’on sait, dans un sens pro-russe; la Géorgie est transformé en soap opéra à l’image de son président, polichinelle ou potiche on ne sait plus très bien; plus loin, si l’on élargit la vision aux confins du domaine, le Kirghizstan évolue dans un sens plus proche de la Russie que des USA, avec toutes les rumeurs qui vont avec. Ajoutons-y, plus loin encore, les rapports avec la Turquie et le mouvement vers la pacification du bassin de la Mer Noire qui va avec, en faveur de la Russie…

La conclusion de ces divers éléments est que, pour la Russie, le jeu régional devient beaucoup plus attractif que les relations avec les USA pour faire évoluer la situation de la sécurité européenne. Dans cette logique, les Russes seraient tentés de penser que l’OTAN, sous l’impulsion de son secrétaire général Rasmussen, grand ami du représentant de la Russie à l’OTAN Rogozine, est en train, pour tenter de sauver l'existence de cette organisation, d’explorer une politique qui lui soit propre, appuyée sur un rapprochement avec la Russie. (Dans la même logique, on n’a pas été sans remarquer que Rasmussen a une vision beaucoup plus ouverte que les USA de la vente du Mistral français à la Russie.) La logique peut alors devenir, pour les Russes, de considérer avec plus de sérieux l’idée d’une adhésion à l’OTAN. Leur calcul peut alors être double.

• Le simple lancement de cette idée, quelque temps qu’elle prenne avant de se concrétiser, et même sans considérer comme important qu’elle se concrétise, représente un facteur de déstabilisation au sein de l’OTAN. L’idée peut accélérer la “personnalisation” de l’OTAN, avec accentuation de la tendance à un rapprochement avec la Russie au détriment des liens avec les USA, notoirement peu intéressées par l’Europe sous la présidence de Barack Obama. Par ce biais, il peut y avoir un bon outil pour accélérer le regroupement régional européen que recherche la Russie, laissant toutes les options ouvertes, y compris celle d’une relance de la proposition Medvedev pour une nouvelle structure de sécurité européenne.

• L’idée portée à son terme, l’entrée de la Russie dans l’OTAN, accélérerait éventuellement les tendances signalées ci-dessus: un nouvel équilibre au sein de l’OTAN avec le poids considérables d’une Russie qui y aurait certainement un rôle actif de “trublion” anti-US (avec le soutien de la Turquie, non?), celui que se promettait de tenir la France en réintégrant l’organisation intégrée et qu’elle n’a pas tenue; des regroupements régionaux, en marge de l’OTAN et grâce à un bon usage de l’OTAN par les Russes, etc.

Bref, l’“option nucléaire” (l’adhésion de la Russie à l’OTAN) commence à présenter quelque intérêt pour la Russie dans le concert européen. Les remarques mentionnées ci-dessus vont dans ce sens. Nul ne sait ce qu’il faut penser de l’avenir de cette idée. Simplement, observons qu’il faut désormais la considérer avec un réel sérieux.


Mis en ligne le 12 avril 2010 à 06H18

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