L’impossible lecture du vent déchaînée de l'Histoire

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Un très intéressant et très long article du Wall Street Journal expose les prémisses de la révolte égyptienne article du 2 février 2011). Il s’agit du constat que personne, y compris les manifestants eux-mêmes et le régime Moubarak bien entendu, n’a vu venir précisément cette révolte. Certes, nous ne parlons pas des prévisions habituelles, qui sont régulièrement égrenées depuis des décennies, sur ces régimes dictatoriaux arabes sur le point de s’écrouler, prévisions qui ont redoublé avec la crise tunisienne, agitant des perspectives d’effondrement de l’Algérie, de la Jordanie, du Yemen, etc., – et de l’Egypte. Il s’agit de supputations qui ne prévoient rien de précis et sont répétées sempiternellement (comme l’on vous dit continuellement au premier nuage qui surgit, “vous allez voir, il va y avoir une tempête” ; on finit par avoir raison puisqu’un jour éclate une tempête dans le cours de la normalité météorologique mais l’on n’a rien prévu en vérité). Nous parlons d’une prévision précise, au jour près, alors que tout ce mettait en place pour la révolte, pour ce jour précisément, sans que personne n’ai cru un instant à cette révolte, – puis, la révolte éclata, aussitôt incontrôlable…

Quelques extraits de l’article, pour introduire un commentaire qui prolonge notre F&C du 1er février 2011.

«A close look at how Egypt's seemingly stable surface cracked in so short a time shows how Egypt's rulers and their Western allies were caught almost completely off guard as the revolution unfolded, despite deep concerns about where Egypt's authoritarian government was leading the country. From the moment demonstrators began pouring into the street, those leaders have been scrambling to keep up, often responding in ways that have accelerated the crisis.

»Just last Monday, few were paying close attention to Egypt. All eyes were on Tunisia, where to much of the world's surprise, President Zine Al Abdine Ben Ali had been chased from office by a month of rising popular protest. This was something the Arab world had never seen before. But the impact spread steadily. […]

»In Cairo, a beleaguered collection of opposition groups plotted another in a series of demonstrations, this time to coincide with Police Day, a national holiday to thank Egypt's police forces. To activists, it was the perfect irony: Almost a year earlier, a young man from Alexandria with no history of political activism, Khaled Saied, had been beaten to death by police. Activists had managed to bring national attention to the case, and they intended to use Police Day to build on that.

»Opposition activists rallied around a Facebook page called We Are All Khaled Saied. To call for a protest, Mr. Saied's death became the focal point for people who hadn't been involved in the rights movement before, says Ahmed Gharbia, an Egyptian activist associated with the page. “He was an everyman, and it was very difficult for people who wanted to paint him as an outlaw to do that.” In the past week, supporters of the page swelled from 75,000 members to over 440,000… […]

»“More Egyptians were more angry than they've probably ever been, and not just activists, but ordinary people. And then came Tunisia, and suddenly people saw that maybe they could do something about that anger,” said Ziad Al-Alimi, an organizer for Nobel Prize Laureate Mohamed ElBaradei. Mr. ElBaradei would return to Egypt to play a key role later. But he, too, failed to detect the early tremors of something new and remained in Vienna.

»Despite fresh inspiration from Tunisia, even the organizers of the demonstrations expected them to come off like so many others—with protesters, far outnumbered by police, quickly driven off, beaten up and arrested. “We went out to protest that day and expected to be arrested in the first 10 minutes, just like usual,” said Mr. al-Alimi. Instead, last week, tens of thousands of Egyptians began taking to the streets, flooding into the central Tahrir Square after pitched battles with thousands of riot police. It became the largest popular protest in Egypt since the so-called Bread Riots against rising prices in 1977.

»Mr. Mubarak's regime was stunned. “No one expected those numbers that showed up to Tahrir square,” said Ali Shamseddin, a senior official with the National Democratic Party in Cairo.

»In faraway Washington, the demonstrations were only starting to register. Last Tuesday's State of the Union address, delivered the day the protests started, had only a short section on foreign policy. President Barack Obama planned to nod to the democratic movement that swept away the ruler of Tunisia, a place “where the will of the people proved more powerful than the writ of a dictator,” the speech read.

»Another line was added, according to a White House official. “And tonight, let us be clear: The United States of America stands with the people of Tunisia, and supports the democratic aspirations of all people.” That last clause was again a nod to Egypt, the official said, although an oblique one.

»In not mentioning Egypt by name, Mr. Obama appeared to be avoiding the subject, said Robert Kagan, a foreign policy analyst at the Brookings Institution. Earlier that day, Mrs. Clinton said Mr. Mubarak's government was stable and “looking for ways to respond to legitimate needs and interests of Egyptian people.”»

Notre commentaire

@PAYANT Cette description (et le reste de l’article dans le même ton) est remarquable dans ce qu’elle décrit effectivement le contraste extraordinaire entre un événement qu’on pourrait croire “annoncé”, que tout le monde prévoit, qui est dans tous les commentaires et dans toutes les supputations, mais auquel finalement personne ne croit vraiment et, sans aucun doute, auquel personne ne s’attend en vérité, et qui éclate comme une formidable surprise. Ecartons encore une fois les prophètes qui vous annoncent cette révolte depuis 20 ou 30 ans, et qui l’annonçaient encore à la fin janvier, en se rapportant aux remarques faites ci-dessus. Constatons simplement que la possibilité et la probabilité de la révolte étaient partout clamées mais que personne n’y a cru vraiment parce que nous vivons dans un monde virtualiste de supputations et de proclamations des dangers les plus fous, pour justifier nos actes les plus absurdes (le terrorisme, les guerres sans fin, les alertes à l’islamisme, etc.) ; mais ces supputations et ces proclamations ne sont prises que pour cela, – une justification sémantique pour “nos actes les plus absurdes”, à laquelle nous ne croyons pas vraiment. Cela pour nos mécanismes déréglés, nos certitudes fondées sur du sable, nos obsessions pour toutes les catastrophes du monde sans comprendre la vérité de la catastrophe qui nous emporte.

A côté et bien au-dessus, il y a l’Histoire. Nous avons déjà avancé l’explication générale des événements par une interprétation qui prête à l’Histoire la capacité de créer des courants métahistoriques d’une puissance telle qu’ils sont au-delà de tout contrôle, voire de toute influence humaine, et qu’ils suscitent eux-mêmes une série d’événements qui surprennent les acteurs humains et les placent devant les faits accomplis sans qu’ils n’aient rien vu venir, ni même s’accomplir en tant que tel… C’est cela que nous jugeons être la principale conséquence de ce que nous nommons l’“accélération de l’Histoire”. Ces courants d’une extrême puissance, hors du contrôle humain, propagent des dynamiques de rupture d’autant plus efficaces que personne ne les voit venir, que personne ne veut les voir venir. Ils sont aidés dans cette tâche par le système de la communication, cette créature du Système pourtant plus Janus que jamais, c’est-à-dire charriant aussi bien des flots d’informations antiSystème que servant le système lui-même.

Les événements tels qu’ils sont décrits dans l’article renforcent notablement cette hypothèse de la perte totale de contrôle des événements par quelque force ou organisation humaine que ce soit et par quelque acteur (humain également) que ce soit. Les manifestant eux-mêmes, ceux qui ont déclenché le mouvement, n’imaginaient pas une seconde que ce mouvement pouvait déboucher sur quelque chose de sérieux. Tous les autres acteurs (Moubarak, l’armée, les Israéliens, les USA, etc.) étaient dans la même expectative réticente, actant effectivement ces hypothèses d’extension des troubles sans y croire en vérité tant elles paraissaient relever de la politique-fiction sempiternellement rabâchée. Il s’agit d’un enseignement extrêmement intéressant qui montre manifestement une évolution dans la manifestation des crises qui s’empilent dans cette structure crisique qu’est devenue la politique générale du monde. On peut véritablement parler d’une évolution eschatologique de crises qui, justement, ne devraient absolument pas l’être puisqu’elles concernent directement les affaires humaines (la définition d’“eschatologie” étant dans ce cas la situation d’un événement hors du contrôle humain). Cette évolution a tout pour fragiliser le Système en accélérant le désordre intérieur des directions politiques, en élargissant continuellement le spectre des crises possibles dans l’évaluation de la situation par les dirigeants, en amenant des réactions précipitées et systématiquement contre-productives de ces mêmes dirigeants (comme cela a déjà été le cas avec l’Egypte : «From the moment demonstrators began pouring into the street, those leaders have been scrambling to keep up, often responding in ways that have accelerated the crisis»)

On peut considérer que la crise égyptienne marque un tournant en ce sens qu’elle introduit un modèle d’événement (de crise) qui suscite désormais directement la mise à jour de la crise fondamentale du Système, qui se manifeste tout aussi directement dans le comportement aléatoire et erratique des directions politiques. Ces directions politiques ne sont pas aux abois, elles ne sont pas menacées dans leur pouvoir par des forces qui se trouvent dans le champ de leur action ; elles sont plutôt complètement dépassées par des forces supérieures et plongées dans la plus extrême confusion dans la façon d’user de leur pouvoir et des moyens de puissance dont elles disposent. L’ironie suprême est que cette prise en main des événements par les grands courants historiques suscite une sorte de G4G (Guerre de 4ème Génération) au plus haut niveau, où il ne s’agit pas de réduire ou de détruire les moyens de puissance des forces adverses et les forces adverses elles-mêmes (celles du Système) mais où il s’agit de plonger le Système dans un tel état de confusion et d’incertitude qu’il en arrive lui-même à faire usage de sa propre puissance contre lui-même. Le schéma est plus que jamais celui d’une autodestruction du Système, par tous les moyens possibles.


Mis en ligne le 3 février 2011 à 13H13

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