L’incendie n’est pas du tout éteint

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L’incendie n’est pas du tout éteint

25 mars 2010 — Malgré l’opération de “damage control” entreprise par l’administration Obama la semaine dernière pour tenter de contenir, voire de dissiper en partie la violence de la crise entre les USA et Israël, la rencontre entre Obama et Netanyahou à Washington, hier, a montré que l’intensité de cette crise demeure entière. La rencontre, beaucoup plus longue que prévue, est en général décrite comme glaciale.

Le Times de Londres en donne une appréciation qui semble décrire assez bien cette rencontre, ce 25 mars 2010. Quelques remarques en donnent le climat, avec des gestes symboliques significatifs voulus (pas de photos officielles des deux hommes, alors que la chose était prévue), qui ont une signification politique précise même si on sait peu de choses du contenu des conversations.

«Two separate meetings between President Obama and Binyamin Netanyahu, the Israeli Prime Minister, failed to produce so much as an official photograph as a chill settled over US-Israeli relations and secrecy shrouded any efforts to repair them.

»The Israeli Prime Minister was due to fly home from Washington after three days marked by Israeli defiance on the issue of settlements and an extraordinary silence maintained by both sides after his three-and-a-half-hour visit to the White House.

»The meeting was overshadowed by Israeli approval for 20 homes built for Jews in Arab east Jerusalem — a move denounced by one senior US official as “exactly what we expect Prime Minister Netanyahu to get control of”.

»White House staff denied Mr Netanyahu the usual photo opportunities afforded to a visiting leader, issued only the vaguest summary of their talks — let alone a joint statement — and reversed a decision to release an official photo of their meetings.»

• Le 24 mars 2010, sur The Dissident Voice, Jonathan Cook donne une appréciation plus générale de la situation. Journaliste indépendant de longue date, pourtant publié malgré ses vues extrêmement peu conformistes dans des journaux de la “grande presse” (du Guardian au New Stateman, à l’International Herald Tribune), Cook est actuellement commentateur et expert indépendant travaillant au Liban.

Dans l’article cité, Cook met en évidence deux points. D’une part, il y a certainement une volonté de l’administration Obama de faire tomber l’actuel gouvernement Netanyahou et de le remplacer par une coalition Netanyahou-Tzipi Livni, prête à accepter les perspectives d’une paix négociée (la “centriste” Tzipi Livni est supposée plus souple et arrangeante que Netanyahou, mais Cook la juge, sur le fond, presque aussi dure que Netanyahou pour la question palestinienne). Le deuxième point qu’il affirme est qu’à son avis, l’administration Obama n’aura pas “le courage” d’aller jusqu’au bout dans cette tentative, et cédera finalement.

Notons un passage intéressant du texte de Cook, qui confirme, de la part de cet auteur particulièrement compétent, l’importance de l’intervention du général Petraeus. Il montre notamment que cette intervention a permis de contenir considérablement l’action du Lobby, l’AIPAC.

«If Mr Netanyahu could wriggle out of this bind, he would do so. But his ace in the hole – harnessing the might of AIPAC and its legions in Congress to back him against the White House – looks to have been disarmed.

»Comments last week by Gen David Petraeus, the head of the US Central Command, linked Israel’s intransigence towards the Palestinians to the spread of a hatred that endangers US troops in the Middle East. That left the AIPAC hordes with little option but to swallow their and Mr Netanyahu’s pride, lest they be accused of dual loyalties.

»In the words of Uri Avnery, a former Israeli legislator: “This is only a shot across the bow, a warning shot fired by a warship in order to induce another vessel to follow its instructions. The warning is clear.”

»And the warning is that Mr Netanyahu must come to the negotiating table to help to establish a Palestinian state whatever the consequences for his coalition.»

@PAYANT …Le tableau de la situation n’est pas si attrayant qu’auraient pu l’espérer les partisans washingtoniens d’Israël, et de Netanyahou particulièrement, avec la visite du même Netanyahou à Washington. Tout tournait à cet égard autour de l’impact de la convention de l’AIPAC et de l’action du lobby likoudiste auprès du Congrès, qui aurait du être décisif à cette occasion. Mais on le voit répétée ici, l’intervention du général Petraeus, c’est-à-dire du Pentagone directement, a eu un effet extrêmement important. Comme nous l’envisagions, cet effet est autant de fond que de forme. Le poids du Pentagone soudain lancé dans la bataille pèse d’un poids considérable, surtout présenté par Petraeus qui jouit d’un très grand prestige auprès du Congrès. L’influence de l’AIPAC et de Netanyahou a donc été très fortement contrecarrée par une force qui, de ce point de vue-là également (l’influence), équivaut largement à celle du Lobby.

D’où l’attitude dure du président Obama face à Netanyahou, malgré des atermoiements plutôt piteux de certains membres de l’administration qui ont précédé la rencontre. Le scepticisme de Cook reste pourtant complètement d’actualité, dans la mesure où la fermeté du président repose d’abord sur cette intervention décisive, pour l’actuelle situation de la crise, de Petraeus (et du Pentagone, par conséquent). Obama ne peut espérer obtenir de réels résultats que s’il affirme une fermeté qui lui soit propre, qui pèse vraiment sur sa politique, et cela n’est nullement assuré.

D’autre part et pour renforcer le jugement général, l’enjeu est sans doute très élevé, très considérable. Sur ce point, la crise s’est radicalisée, indiquant peut-être que son rythme propre pourrait dépasser les positions manœuvrières des acteurs, notamment Obama, et les enfermer dans des positions radicales de confrontation. Il apparaît que l’enjeu qui s’est imposé de plus en plus, effectivement presque sous la pression de la seule dynamique de la crise où le facteur international a joué son rôle, c’est bien une opération de “régime change”, avec la neutralisation de l’intransigeance de Netanyahou dans un nouveau gouvernement d’alliance avec Livni.

Le commentaire de Isi Leibler, cité par ailleurs par Cook pour un autre propos, et que nous citions déjà hier, est ici particulièrement significatif: Libler «decried “the frenzied anti-Israel climate engulfing the world” and went on: “There appears to be a [US]gameplan to force Netanyahu out of office and replace him with a more pliable leader. Ironically, the Obama administration was far more restrained about regime change in Tehran.”» Il faut noter comme sans aucun doute très importante la vigueur de la réaction de nombreux Israéliens devant ce que cette possible opération de “régime change” à Tel Aviv, sous la pression US, représente d’intrusion dans les affaires intérieures israéliennes, l’interférence dans la souveraineté du pays.

Bibi et la tactique maximaliste

Ce dernier point est important. Pour l’apprécier précisément, il faut tenter de s’abstraire du jugement sévère qu’on peut porter sur Netanyahou, sa politique, l’influence de l’AIPAC, etc. On admet alors que l’intention prêtée à Washington d’obtenir un changement de gouvernement relève effectivement de pressions pour une opération de “régime change” qui relève de l’interférence flagrante des USA dans la souveraineté nationale d’un autre pays, qui est d’ailleurs dans les habitudes des USA, qui prendrait dans ce cas un aspect particulièrement dramatique, explosif et impudent. On rétorquera que l’AIPAC fait un peu la même chose avec la souveraineté nationale des USA, mais il le fait avec le consentement du système qui reconnaît bien là l’un de ses comportements préférés (corruption, influence, mépris pour la souveraineté), – et, de toutes les façons, cela ne réduit en rien l’ignominie du procédé en général, donc pour les USA également, ajoutant à cela le constat que le système le suscite partout et dans tous les sens.

L’important est qu’une telle poussée de l’administration Obama serait effectivement perçue à cette mesure de l’ignominie, quelle que soit la vertu assez piètre de l’establishment israélien à cet égard, et susciterait, et suscite déjà des réactions de regroupement autour de Netanyahou même de la part de ceux qui désapprouvent au moins sa tactique brutale et de provocation. Nous sommes effectivement dans cette époque où les situations les plus viles peuvent amener, de la part d’acteurs qui ne valent guère mieux, des réactions qui sont par ailleurs justifiées et conformes à des principes hautement respectables.

Il apparaît bien inévitable que, dans cette perspective possible d’aggravation de la crise, la réaction de Netanyahou sera de tout faire pour renforcer ce regroupement. Cela signifie une intransigeance et un maximalisme encore plus grands, cette fois au nom de la souveraineté du pays, dans un pays exacerbé par un sentiment obsessionnel d’isolement, par le jugement paradoxal et paranoïaque d’être l’objet d’un complot général d’influence hostile et de pressions injustes, bref d’être dans une position assiégée de grande faiblesse alors que l’influence à son avantage exercée par ce pays, par tous les moyens, hors de ses frontières, est monstrueusement disproportionné par rapport à sa petitesse et à la faiblesse coupable de sa cause. L’attitude paranoïaque de Bibi n’est certes pas un cas isolé; elle reflète plutôt, en plus violent éventuellement, l’état général d’un pays conforté par le processus constant de “victimisation” appuyé en temps normal par toute “la communauté internationale”, alors que l’action de ce pays est exactement le contraire de celui d’une “victime”.

Ces diverses observations laissent peu d’espoir pour un apaisement du côté israélien et, au contraire, beaucoup de la probabilité que le durcissement US (et du reste), s’il se poursuit, suscitera un durcissement à mesure d’Israël. Comme cas de montée accélérée aux extrêmes, à partir de situations déjà extrêmes, on ne trouve guère mieux. Dans ce cas, encore, on voit mal comment un Netanyahou, bloqué dans l’extrémisme, dans un pays qui se radicaliserait, ce qui serait aussi le cas d’une Livni, pourrait accepter des pressions le conduisant à une situation de chute de son gouvernement et à un arrangement “de paix” avec la même Livni. C’est dans ce contexte que Cook observe qu’il ne voit guère qu’Obama ait “les tripes” de poursuivre jusqu’au bout, surtout si l’on songe au brouhaha de Washington, du côté de l’AIPAC et du Congrès, dans une telle perspective.

…Et pourtant, – on va de restrictions contradictoires en restrictions contradictoires dans cette situation, – la pression anti-israélienne du Pentagone (Petraeus et d’autres) ne se relâcherait pas, au contraire elle s’intensifierait puisqu’une situation de montée “aux extrêmes de l’extrême” comme celle qu’on évoque pourrait bien pousser Israël vers toutes les aventures, dans une “fuite en avant” désespérée. C’est là qu’on pourrait songer à l’“option” d’une attaque contre l’Iran pour “détourner l’attention” (drôle d’expression pour désigner une perspective si catastrophique). Cette perspective est, selon tout ce qu’on sait, encore plus effrayante pour les militaires US que l’absence d’un processus de paix israélo-palestinien, donc avec une réaction de ces mêmes militaires US, dans la situation de crise, encore plus marquée qu’avec l’intervention de Petraeus

On savait que la question israélo-palestinienne, la question israélienne, la question des rapports entre Israël et les USA, présentaient un cas fameux d’imbroglio politique et explosif à la fois. On semble atteindre un sommet inégalé dans ce sens. Il est vraiment très difficile d’envisager une échappée qui permette de sortir de cette crise sans mal profond, de retourner à l’antérieur “business as usual”, quelque injuste et scandaleux ait été ce business… Ou plutôt, non, – parce que, justement, l’injustice et le scandale de ce “business as usual” semblent, à la lumière de cette crise et de tout ce qu’elle expose au grand jour, être devenu insupportables.