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979Nous complétons et tentons de renforcer le texte de notre rubrique Faits & Commentaires du 9 juillet 2010. Il s’agit de la partie du texte où nous avançons l’idée que la puissance chinoise qui est, de l’aveu même des analystes américanistes-occidentalistes en pleine expansion de puissance vers ce que ces analystes estiment être le leadership mondial, cette partie où l’on observe que cette expansion se place à l’intérieur du système américaniste-occidentaliste et constitue de facto le bien fondé, la démonstration paradoxale de son excellence universelle..
Notre idée est que l’expansion chinoise n’a pas pour but ultime d’entériner le bien fondé de notre système par son expansion, qu’au contraire la Chine a en tête un modèle qui lui est propre, et qui est asiatique, tant économique que selon des structures traditionnelles qui lui sont propre. Notre seconde idée est que la Chine ne parviendra pas à cet objectif, simplement parce que le système (le nôtre) à partir duquel elle est obligée de développer sa puissance s’effondrera avant qu’elle n’y parvienne.
@PAYANT Nous proposons une illustration de cette appréciation selon un mode plus anecdotique que démonstratif, selon la façon du “climat” de la chose plus que de son argumentation, en décrivant une réunion qui a eu lieu récemment à Bruxelles. Cette description se place à l’intérieur d’un texte général de notre dernier dde.crisis de la saison, du 10 juillet 2010, avant la reprise le 10 septembre 2010. (Ce dde.crisis sera mis en ligne avec deux jours de retard, le 12 juillet 2010, nous l’avouons à cause de contraintes de travail plutôt pénibles ces derniers jours.) Le thème de ce numéro de dde.crisis est “la crise terminale de la raison humaine”. A l’intérieur du développement de cette rubrique de defensa se place effectivement ce passage, sous le titre «La certitude terminale de la raison humaine». On verra qu’il y est notamment question de Robert Cooper, dont nos lecteurs ont déjà souvent entendu parler.
«Ce qu’il faut mettre en évidence […], c’est l’extraordinaire affirmation du triomphe de la raison humaine par ceux-là mêmes qui en sont les gardiens fidèles et dévoués. Dans ce cas, il nous suffit de piquer telle ou telle structure du “bloc” américaniste-occidentaliste, pour trouver le spécimen qui nous importe... C’était Robert Cooper, haut fonctionnaire du Secrétariat Général de l’UE, ancien conseiller de Solana devenu conseiller de Lady Ashton par la grâce d’un organigramme pour l’instant bloqué, ancien inspirateur de Tony Blair et théoricien du néo-colonialisme, – qui parlait, le 1er juillet à Bruxelles, aux côtés de Nicole Gnesoto, devant une assistance très réduite et selon des règles (“Chatam house rules”) qui permettent d’ouvrir son cœur.
»L’on y discuta des valeurs de notre système et de la valeur de notre système et le Britannique Cooper, – qui s’estime “plus européen que Britannique”, depuis ce si long temps passé à Bruxelles, – plaida avec constance l’excellence de toutes ces choses. Son discours d’une grande douceur se colorait, notamment lors du temps des questions-réponses, d’un ton bien différent dans ses réponses et surtout ses conclusions: martelées avec vigueur, sans répartie possible, appuyées sur une certitude tenant de l’absolutisme de la raison. Le fond de la chose est bien connu: il n’y a rien qui surpasse ce système, il n’y a rien qui puisse le surpasser, de toutes les façons rien d’autre n’est possible, – oscillant ainsi du panégyrique sans limites au fameux TINA (“There Is No Alternative”) qui pourrait plutôt être pris pour l’argument ultime, l’argument du désespoir pour imposer la chose. Il y eut quelques désaccords. Lorsqu’on lui opposait les catastrophes et les crises qui s’empilent, les perspectives eschatologiques, les désastres qui frappent le monde, – le silence pour toute réponse, puisque rien dans les faits ne pouvait être contesté. Lorsqu’un officiel chinois, représentant de l’ambassade, lui fit remarquer que la Chine et de nombreux pays d’Asie ne partageaient pas cet enthousiasme pour bien des raisons, et que les partisans du système occidentaliste pourraient “avoir des surprises, dans quelques années, lorsqu’ils verraient l’évolution de cette région”, – entendant par là que cette évolution ne serait pas celle du “système TINA”, – le silence pour toute réponse...
Ainsi la raison occidentaliste, c’est-à-dire “la raison humaine” dans son ensemble, puisque le système occidentaliste prétend être la civilisation et l’avenir du monde à la fois, et que les moyens de sa puissance peuvent défendre ce statut quo pour quelques années encore, est-elle enfermée dans ses certitudes. On trouve ce phénomène chez les plus brillants, les plus distingués des gardiens du système, des représentants du dogme. Rien ne peut les faire changer. Lorsque l’obstacle insiste, notamment la réalité, – le silence pour toute réponse... […]
»Nous prenons cette description d’une séance de réflexion comme une mesure de la situation de “la raison humaine” face à “la crise terminale de la raison humaine”. Nous avons cité l’intervention de l’officiel chinois avec une intention à l’esprit, ne doutant pas un instant de la sincérité de son propos, et de la véracité de sa propre conviction, dans l’exposé qu’il fit des intentions de la Chine, de l’Asie, et de l’antique sagesse de cette partie du monde. Nous reconnaissons d’autant plus tout cela que nous pouvons dire notre conviction que l’intervenant se trompait, qu’il se trompe en croyant qu’un modèle de civilisation asiatique rénové s’imposera rapidement, à côté du modèle occidentaliste, éventuellement pour le concurrencer et le remplacer.
»Ce n’est nullement que ses arguments de fond ne soient pas justifiés et excellents; ils le sont, ceci et cela, et plus qu’à leur tour. Mais l’intervenant ignore deux choses: combien le modèle occidentaliste est, à la fois, plus puissant qu’il ne croit et plus proche de l’effondrement catastrophique qu’il ne croit. Cela implique simplement que nous sommes tous concernés, que nous sommes tous impliqués, que nous sommes tous révoltés, que nous sommes tous prisonniers.
»Il va de soi que les certitudes de monsieur Cooper, qui sont celles de milliers de cadres, gardes-chiourmes sophistiqués du système, peuvent être perçues comme partagées par des millions, voire des milliards de personnes. Il va de soi que ces garde-chiourmes disposent des leviers d’une puissance sans égale qu’ils n’hésiteront pas une seconde à utiliser pour protéger, non pour sauver le système, et prouver l’argument TINA, – et cette fois, le vacarme de la puissance sera une autre forme de “silence pour toute réponse”. Par conséquent, le Chinois aurait bien du mal, s’il y parvenait jamais, à développer son propre modèle, à, moins d’en faire une caricature complaisante du modèle de l’occidentalisme.
»Il va de soi, d’une façon tout aussi évidente, que cette puissance côtoie d’une façon vertigineusement proche, jusqu’à la toucher même, une vulnérabilité extraordinaire. La liste sans fin des catastrophes et des crises, des paralysies et des impuissances, n’est là que pour détailler la partition de l’ouverture de la phase finale de l’effondrement du système de l’occidentalisme, du système de l’idéal de la puissance, du système de la civilisation occidentale, du système de “la deuxième civilisation occidentale” ou de la “contre-civilisation”, – comme on peut l’appeler selon ses noms divers, compris ceux que nous avons proposés. Cet effondrement, dont nous ignorons sans hésitation ni le moindre doute la forme qu’il prendra, est maintenant un destin irréversible, irrésistible et extrêmement rapide. Comme nous l’avons fait comprendre dans ce qui précède, la puissance énorme du système, qui tient tout le monde dans ses rets, en s’effondrant entraînera tout le monde à en subir le choc terrible. C’est dire que, de ce point de vue, – et sans préjuger, surtout pas, de l’avenir, – c’est dire que notre Chinois sera emporté comme les autres et qu’il devra subir d’abord cette chute eschatologique avant de songer à se mettre à l’ouvrage.»
Mis en ligne le 10 juillet 2010 à 06H07