L’Inde, ses avions et le Pakistan (et les Français)

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Le formidable marché d’avions de combat indien, dit MRCA ou MMRCA, pour 126 avions de combat et une somme approximative de $11 milliards, devrait être accéléré à cause de la situation pakistanaise, notamment la livraison accélérée de 50 chasseurs chinois J-17, prévue d'abord pour s'étaler sur les deux prochaines années et qui devrait être bouclée en moins d’une année. On cite ici Jay Menon, de Aviation Week & Space Technology, le 23 mai 2011, citant lui-même le ministre indien de la défense A.K. Antony.

«Indian Defense Minister A.K. Antony says India’s much-anticipated choice in its Medium Multi-Role Combat Aircraft (MMRCA) program could occur before the end of March 2012. India wants to expedite the deal in part because Pakistan is expecting a speedy delivery of 50 JF-17 aircraft, which originally were to be spread out over two years, according to defense ministry officials. […]

»Antony has expressed discomfort over this development. “It is a matter of serious concern for us. The main thing is, we have to increase our capability — that is the only answer,” he says…»

Une des caractéristiques des marchés d’armement indiens, c’est la lenteur, qui semble être, si l’on veut, une sorte de reflet procédural de cet immense pays, construit sur la durée, sur la tradition, sur la connaissance remontant à la nuit des temps, et aussi, par contraste moderniste, sur les pires pratiques bureaucratiques et démocratiques du Système auquel ce même pays a été conduit à souscrire, – puisque nul n’échappe au Système, en vérité. Pour cette raison, à laquelle s’ajoutent les formidables imbroglios de la diffusion de la décision, et, par conséquent, la difficulté de trouver ceux qu’il faut corrompre (la corruption est une pratique largement répandue en Inde, comme dans toute bureaucratie et toute démocratie), les décisions des grandes commandes d’armement sont extrêmement longues à se concrétiser. Le cas actuel des avions de combat semble complètement à l’inverse de l’habitude, et le déroulement du processus de sélection du marché MMRCA est très rapide et extrêmement précis. D’une certaine façon, on pourrait observer que ce déroulement est une surprise pour les participants, particulièrement pour les Français (Dassault Rafale).

La situation actuelle du marché MMRCA est caractérisée par une offensive courante de type anglo-saxonne, qui donne pour gagnant l’Eurofighter Typhoon (partout perçu comme britannique alors que cet avion est européen, produit par EADS, donc avec notamment la France comme partenaire). Des sources industrielles françaises confirment effectivement cette perspective, l’argument essentiel à cet égard étant que «les Britanniques sont incomparablement plus expérimentés que n’importe qui dans l’identification des points d’influence et de corruption, ou bureaucrates à corrompre, dans la bureaucratie indienne, pour parvenir à un résultat». Cette “expertise” britannique est au moins confirmée par le nombre ; selon ces mêmes sources, les Britanniques de BAE (qui travaille pour le Typhoon, toujours selon cette singulière situation signalée plus haut) seraient “entre 30 et 40” en Inde, sur ce marché MMRCA, tandis que Dassault n’aurait qu’un délégué permanent. En fait, les Français semblent étrangement détachés des perspectives indiennes ; Dassault semble absolument concentré sur le marché émirati (EAU) pour le Rafale (60 exemplaires), qui est perçu comme une formidable occasion pour développer diverses orientations technologiques et ouvrir la voie à des versions améliorées du Rafale en coopération avec les EAU.

Mais les uns et les autres ne semblent pas percevoir l’aspect nouveau, qui est signalé ici par le texte d’Aviation Week & Space Technology, à savoir l’urgence où se trouve l’Inde de rééquiper sa force aérienne en fonction du développement des forces pakistanaises. Le caractère étonnant de cette alarme est qu’elle est essentiellement et involontairement provoquée par l’activisme des USA, et nullement par une période d’antagonisme direct et pressant entre le Pakistan et l’Inde. C’est parce que la tension entre le Pakistan et les USA grandit que le Pakistan se tourne vers la Chine, s’équipe militairement d’armements chinois, et demande des livraisons rapides. Cette tension conduit la Chine à s’inquiéter des visées US et à soutenir le Pakistan. Parallèlement, l’Inde, dont les relations stratégiques avec les USA sont très ambiguës, s’inquiète néanmoins de l’armement pakistanais et veut accélérer son rééquipement militaire, – mais pas avec les USA.

Quoi qu’il en soit, cette alarme existe bien et elle semble être la cause de l’accélération des processus de décision indiens. Il est bien possible qu’elle conduise également à l’abandon, – au moins temporaire, le temps de l’alarme, – de cette tradition de lenteur bureaucratique et de corruption des mêmes canaux de décision indiens. Il n’est pas assuré que l’élimination des concurrents US du marché MMRCA ne soit pas en partie un signe de cette nouvelle tendance ; l’idée serait alors que les USA, évidemment également fort habiles dans l’activité de la corruption pour les marchés d’armement, n’ont pourtant pas réussi à se maintenir, y compris dans le “short list”, parce que leurs produits était de qualité très basse. Il n’est pas assuré, par conséquent, que les Indiens, pressés comme ils le sont, ne s’attachent pas d’abord aux capacités opérationnelles, plutôt qu’aux capacités corruptrices de leurs fournisseurs. Dans ce cas, comme on a pu le lire, le Rafale serait logiquement favori. Il n’est pas assuré, enfin, que les Français se soient aperçus de cette situation stratégique et que la situation bureaucratique indienne est, par conséquent, très différente de celle qu’ils perçoivent en théorie.


Mis en ligne le 25 mai 2011 à 12H49

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