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61042 décembre 2022 (17H00) – Qui a osé parlé de “désindustrialisation” de l’Europe (du bloc-BAO) ? Alors qu’une nouvelle industrie, l’‘industrie du factchecking’, s’est installée et se développe à une surprenante vitesse, promettant à nos âmes étonnées un nouvel âge d’or industriel dont la production essentielle sera une constante vérité factuellement affirmée, établie et verrouillée, et éternellement recommencée ? L’expression, je l’avoue, m’a séduit ; elle est sortie, pour mon compte, de plusieurs entretiens rassemblant Idris Aberkane et plusieurs médias de mauvaise réputation.
(Sur ‘LigneDroite’, Aberkane répondant à un moment, alors que l’expression lui était répétée : « Vous avez raison, c’est une industrie », l’autre expression employée, moins respectueuse étant « la mafia du factchecking »).
Car c’est bien en factcheckeurs industrieux que l’on s’acharne depuis 48 heures autour de la présidente de la Commission Européenne (CE) Ursula von der Leyen. Comme le précise RT.com, source douteuse mais fortement surveillée par l’‘industrie du factchecking’, on en remis une couche vertueuse hier :
« La Commission européenne affirme qu'elle ne voit “pas la nécessité de présenter des excuses” à l'Ukraine pour une déclaration, désormais supprimée, de sa présidente, Ursula Von Der Leyen, qui affirmait que l'armée ukrainienne avait à déplorer la perte de 100 000 morts dans son conflit avec la Russie.
» “Nous avons expliqué sur les médias sociaux les raisons et le contexte dans lequel cette déclaration a été faite”, a déclaré Dana Spinant, porte-parole de la CE, lors d’une conférence de presse à Bruxelles jeudi, après avoir été pressée par plusieurs journalistes d'expliquer comment l’incident s’est produit. »
Ceux qui vous disent que la chose n’est pas nouvelle, que l’un ou l’autre officiel (le général Miley, semble-t-il) l’a glissée au détour d’une phrase, ceux-là se trompent dans l’interprétation de la chose. Ce qui compte, ce n’est pas la justesse du chiffre, la nouveauté du décompte, la répétition éventuelle mais non signalée, etc., mais bien l’ampleur de l’événement de communication. A partir d’un certain niveau de bruit, quand l’on passe du “bas-bruit” au “copié-collé” général et repris partout, y compris dans les tranchées héroïques de la presseSystème, et quand la polémique devient un bruit de fond assourdissant, alors la chose existe ; l’événement a pris naissance et, comme le célébrissime sparadrap du capitaine Haddock, on ne peut s’en défaire.
C’est ainsi que Larry Johnson, qui s’était précipité sur la malheureuse von der Leyen, écrit fort justement un jour plus tard, comme un constat opérationnel fondamental :
« Ukrainian military fatalities is now an issue… »,
et prenant ‘an issue’ comme “un problème”, sinon une “crise”, – mais mieux encore par rapport à ce qui précède, “un événement” en soi.
Gardons pour l’instant la traduction classique pour laisser cette phrase d’introduction du texte de Johnson dans son contexte mais en gardant à l’esprit que c’est bien d’un ‘événement’ que je veux parler...
« Les pertes militaires ukrainiennes sont désormais un problème. Avant cette semaine, la plupart des analystes militaires occidentaux ont cru à la propagande ukrainienne selon laquelle la Russie perdait des troupes, mais que l'Ukraine se portait bien. Ce canard est mort. Un nouvel ami, Stephen Bryen, vient de publier un article dans l'Asian Times qui fournit une évaluation honnête et percutante du péril auquel l'Ukraine est confrontée. Stephen Bryen est membre de haut niveau du Center for Security Policy et du Yorktown Institute. Il a été haut fonctionnaire du ministère de la défense dans l’administration Reagan. Son article s’intitule “Les pertes militaires ukrainiennes sont un gros problème pour Biden” :
» “Les lourdes pertes de l'Ukraine sont un signal que la guerre de facto de Washington avec la Russie est en difficulté. Le président Joe Biden doit changer de cap ou faire face à une crise de sécurité nationale qui pourrait mettre fin à sa présidence...” »
N’épiloguons pas sur l’affirmation de Stephen Bryen (crise de sécurité nationale pour Biden qui, par ailleurs, veut bien parler avec Poutine, mais bon), – ce n’est mon propos... Mon propos est bien que notre fantastique système de simulacre répandu dans diverses versions d’une narrative conforme au ‘Camp du Bien’, produit de plus en plus d’‘événements” par les contradictions qu’il génère, multipliées du même coup autant par les incompréhensions courantes entre idiots corrompus du Système (je parle de la corruption de l’esprit, bien plus que l’autre) et la morgue surmultipliée des dirigeants de ces hordes d’idiots corrompus, portant aussi haut que possible ce caractère fortement mélangé (morgue multipliée par idiotie corrompue).
Le cas de la von der Leyen est exemplaire : elle veut bien faire rectifier par sa porte-parole mais pas plus et dans une confusion remarquable, et elle ignore superbement les aboiements de roquets des héros de Kiev, également idiots corrompus qu’elle couvre en général des fleurs les plus resplendissantes. Tout cela se passe dans les arcanes extraordinaires du simulacre encombré de narrative sur lesquelles il faut continuellement veiller à s’entendre.
Or, l’‘industrie du factchecking’ n’aime pas ça (l’attitude de von der Leyen) parce qu’il importe de respecter l’excellence de la grandeur de sa mission, sa sacralité en un sens : maintenir à tout prix la cohérence du simulacre. Von der Leyen a piétiné cette règle et ainsi commis un sacrilège ; mais encore, comme elle est d’autre part une des figurantes principales sinon la principale, je dirais même la “fulgurance principale” de cette grand’messe du ‘Camp du Bien’, et puis parce qu’elle est une femme après tout, on ne peut simplement pas l’éliminer... Cela est d’autant plus évident qu’elle campe sur ses positions avec une morgue prussienne, – même si je ne sais pas s’il s’agit d’une posture de la plus suprême habileté avec un vis-à-vis aussi héroïque et tant aimé des dieux qu’est le président Z.
Il s’agit là de rien moins qu’un nouveau front qui vient de s’ouvrir, inévitablement, comme une blessure béante dans le flanc du preux chevalier. Mon constat ne concerne pas la force du bruit qu’a fait la déclaration de la von der Leyen, et nullement à cause de l’importance du chiffre ni même de son éventuel caractère faussaire de révélation alors que l’un ou l’autre général en a déjà parlé. L’‘événement’ se trouve dans la caisse de résonnance du système de la communication dans lequel le simulacre est logé, et dans le défi bruyant ainsi lancé à l’‘industrie du factchecking’, désormais si importante comme une des créations les plus formidables de ce monde nouveau !
Et c’est bien cela, n’est-ce pas ? il y a “défi” parce qu’il y a “bruit” comme dans une sorte d’indignation, car dans cette partie qui se joue un défi ne peut être que bruyant. Il doit être bien compris, pour l’honneur de la chose, que tout défi lancé à l’‘industrie du factchecking’ comporte nécessairement une cause puissante de l’indignation la plus considérable. La von der Leyen n’avait plus toute sa tête à elle, elle n’entendait plus le bruit terrible qu’elle fit en offense à l’‘industrie du factchecking’.
Note de PhG-Bis : « Je dirais, pour simplifier les choses que PhG aime bien deviner d’une manière compliquée, que cela rejoint le conte fameux du “Mais le Roi est nu !” crié par le gamin au milieu de la foule recueillie, mais en un peu plus complexe effectivement. C’est donc un peu cela, “le Roi est nu !”, sauf que la von der Leyen n’a rien vu du tout du Roi bien qu’elle l’ait vu, sauf qu’elle n’a pas compris qu’en disant qu’il était nu, c’était comme si elle disait au milieu d’une foule recueillie “Mais le Roi est nu !”, avec tout le retentissement formidable de ce constat. C’est aussi simple que cela, n’est-ce pas, PhG ? »
Ce dont je parle est vraiment d’un simulacre où il importe que tous les participants, jusqu’aux figurants du plus haut vol, jusqu’à des figures qui mériteraient une sorte de Prix Nobel des Oscars, aient une sorte de croyance véridique dans la narrative qu’ils servent. C’est pour cette raison que je mélange Prix Nobel et Oscars : il y a quelque chose d’une vérité scientifique dans leurs postures, et quelque chose d’un grand acteur du cinématographe.
Mais l’on comprend bien que l’Oscar n’est acceptable que s’il y a Prix Nobel, n’est-ce pas ? Par conséquent, l’on doit absolument admettre, au-dessus de tout, que la “croyance véridique” dans le simulacre est bien ce qui importe plus que tout, et l’acteur oscarisé, lui, doit absolument “croire à son personnage”. C’est à ce point que quelque chose s’est brisé avec l’intervention de la von der Leyen, sans que je puisse dire qui est coupable, et si, d’ailleurs, il y a un ou une coupable. Une intolérable déchirure s’est faite dans le grand rideau rouge du simulacre, dont nul ne sait qui est le ou la responsable. Le désarroi est grand.
Le plus terrible, dans cette circonstance, est que l’‘industrie du factchecking’ est prise à son propre piège. Il faut qu’elle ‘factchècke’, c’est son devoir, mais qui doit-elle ‘factchécker” ? Malgré le titre d’hier, est-il concevable que ce soit la von der Leyen ? Pas vraiment, non, en raison de tout ce que l’on a dit de sa position... Si vous voulez, un Borrell pourrait être éliminé éventuellement, il compte pour du beurre ; même un Biden peut dire n’importe quoi et nul ne s’en émeut, on dirait même que c’est un signe de santé chez lui. Mais la von der Leyen !
Je crois que l’affaire est sur une mauvaise pente, désormais. Pour l’‘industrie du factchecking’, comment imaginer un destin exemplaire pour elle-même ? Elle qui a été créée pour enfin rétablir les grandes vérités du monde, pour établir un grand accord comme dans un orchestre virtuose entre les dirigeants polyphoniques et symphoniques des pays du bloc-BAO, alors que la cheffe d’orchestre serait mise en cause ?
Croyez-moi, il s’agit d’une affaire bien plus complexe que la terrible et sanglante bataille de Bakhmout, qui rappelle à certains les heures apocalyptiques de Verdun. C’est une bataille du bloc-BAO avec son double, devant un miroir comme s’il s’agissait d’un simulacre de bloc, au cours d’un épisode qu’on baptiserait “le missile et son double”, engagé dans une guerre incertaine où il se retrouve face à face avec lui-même, incapable de savoir qui est qui et où se trouve la sortie. Dans très peu, nous ne pourrons plus nous supporter nous-mêmes, nous et nos fantasmes.
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