L’insoutenable légèreté de la gifle

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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L’insoutenable légèreté de la gifle

11 juin 2021 – Un peu comme une sorte d’habitude ou de confidence à mes lecteurs, comme il m’arrive assez souvent d’hésiter entre plusieurs titres, d’en adopter un et de confier ensuite celui que je voulais mettre d’abord, – ce fut d’abord, avant de savoir ce que je mettrais dans ce texte en son début : “Les deux gifles du roi”. Là-dessus, j’aurais pu en rajouter dans le genre lointain mais avec un peu de hauteur du type-lévitation, ou bien “au-dessus de la mêlée”, pour vous dire : “J’ai attendu un peu de temps avant de réagir pour voir ce que serait la réaction des élites de ce grand pays”...

Et voici le résultat, – Veni, vidi, vici ! Oh, César, dictateur infâme, comme tu nous paraîs si loin et nous manquer à tous, malgré ta piètre vertu démocratique... Écoute, César, je ne suis pas venu, il n’y avait rien à voir, et surtout rien qui vaille la peine d’être vaincu.

Un qui m’a bien fait rire, c’est tout de même la Merluche. Arriver à nous la faire-tragique et menaçante, selon la phrase fameuse de son tweet, employant pour le cas un mot que je trouve à la fois inculte et naïf, comme on dit infantilement “les méchants”, comme s’il ne trouvait rien d’autre car effectivement comment arriver à faire essentialisation de cette néantisation (celle de la présidence) ? La dégringolade de cette intelligence (celle de Mélenchon, ici, ceci expliquant cela) est un phénomène fascinant, ou comment le talent, le verbe vif, la phrase bien faite, peuvent complètement se retourner, comme la calotte d’un gland, et hurler une inversion totale, et se rouler dans la farine moisie d’une sorte de médiocrité enfin retrouvée, comme on retrouve une vieille compagne disparue.

Comme l’observe Plotin, le malheureux que je croyais marqué par la sagesse tragique de son origine (Mélenchon est un “pays” à moi, puisque né à Staouéli, près d’Alger) s’est trouvé emporté par la proximité du Mal, – mais, hein ! Un mal-bouffe, sans jeu de mots c’est-à-dire Mal-bouffon, réductible au néant, le Mal dans notre temps, et la Merluche qui est aussi réduit que lui (que notre temps), pressé, contraint au rien, “jivarosisé” comme l’on dit de la tête complètement réduite de son ennemi réduit à presque-rien... Donc, la Merluche selon Plotin et moi plein d’indulgence, considérant qu’il n’est pas « mauvais en soi » (*) mais tristement victime d’une étrange ivresse de la démesure réduite à l’insoumission sans risque aucun.

Mais quoi, en un sens et vu d’une autre façon, l’aspect infantile de l’incident méritait la réaction infantile du mot qu’eut Mélenchon pour l’occasion : « Cette fois-ci vous commencez à comprendre que les violents passent à l’acte ? Je suis solidaire du Président »... Dire “Les violents” en cette circonstance et selon l’esprit des temps, c’est comme dire “le méchant” et “maman bobo”, – car ah là là, Louis XVI est de retour (de Varennes et en TGV), – “Aux tweets citoyens !” La dérision est bien la couleur dominante de l’immense simulacre vide que nous vivons, – toutes les teintes & nuances de la dérision.

Mais que je me raconte un peu...

Une fois l’émoi dissipé (très vite, comme à l’habitude), comme si nous avions de justesse évité un régicide, j’ai donc très-beaucoup hésité avant de décider, trois jours plus tard, de me lancer dans ce commentaire hasardeux. Outre les atermoiements autour du titre, la seule résolution prise était la publication de ce texte ci-après d’Anne-Sophie Chazaud, repris de l’excellente Fake-source qu’est RT-France du 9 juin 2021. La raison essentielle est une citation de Chazaud, de son livre “Liberté d’inexpression, – Nouvelles formes de la censure contemporaine” ( L’Artilleur, 2020), reprise dans les « Notes sur le wokenisme-seul (II) » du 28 décembre 2020.

Pour mon compte, la chose convenait à merveille à l’état d’esprit presque d’intuition sinon d’instinct où je me trouvais immédiatement après la gifle, de refuser, presque par réaction vitale, de sacrifier à la bouillie commune de commisération et à la novlangue de lamentation concernant cet attentat symbolique contre le “corps-marchan(t?)(d?)” du roi où tout le monde communiait,– car l’on communie, genou en terre, devant les Saintes-Reliques de la République Une, Vierge et Indivisible, sur l’autel de la sacralité des Deux-Corps-du-Roi ... (**)  Voici la citation de Chazaud, où l’on est autorisé à remplacer le “raciste” du minimum-syndical par un “royaliste-régicide” très sexy, – très New-Age, très Start-Up si vous voulez :
« Accepter de parler cette langue de la justification, de l’excuse, de la défense, de la preuve (non ! Je ne suis pas raciste, voyez comme je suis fréquentable, comme je suis bienveillant !) c’est être sur un terrain où l’on a déjà perdu... ».

Nous sommes dans des temps mauvais où la désacralisation ressemble un peu à la décentralisation : comment désacralisez-vous quelque chose qui n’a strictement rien de sacré ? Comme ces experts qui conseille de décentraliser une entité qui n’a plus ni forme ni centre. De même comprends-je à merveille que Macron est certes un déconstructeur, à ceci près qui mérite ma dérision que je ne vois plus rien de la moindre structure qu’il aurait à se mettre sous la dent. Autrement dit et pour inverser les caractères, le personnage n’a plus aucune aspérité où l’on pourrait accrocher l’élan d’une critique de belle allure ; lisse, mou & flou, sinueux & serpentin, informe & pointillé, insaisissable là où rien ne peut être saisi, personnage de tragédie-bouffe où la bouffonnerie étouffe tout ce qui prétend au tragique ; ainsi de sa désacralisation pour cause de sacralité égarée, ainsi de l’attentat réduit à la gifle symbolique.

Vous voudriez alors que l’on s’inclinât, la main sur le cœur, “Sire, c’est la France qu’on a giflée”, alors qu’il n’est question que de “République Une, Vierge et Indivisible”, marque déposée dont l’on psalmodie les incertaines vertus ? C’est au-dessus de mes forces, cela ; mauvais acteur, piètre figurant, disant entre ses dents à l’invitation de Volkoff qui en fit un de ses titres, avec son clin d’œil sardonique que je connais bien car je l’ai éprouvé : « Je suis moyennement démocrate ».

Pour autant, ne faites pas de moi le Diable, la “marque satanique” de la Bête-Immonde. Je ne suis pas un “violent”, ni un perturbateur attaquant les marques usées d’une icône dont la sacralité s’est depuis longtemps perdue dans les rigueurs du confinement d’une mémoire en cours de révision générale et de réécriture inclusive. J’ai bien entendu (du verbe “entendre”) le rythme martial des déclarations des dévots de la fonction sacrée, ointes de la légitimité du vote populaire. Je veux bien accepter l’idée que ce n’est pas bien cette gifle, que “c’est la France qu’on a giflée”, que l’on a mis en grand danger la formidable fiction des deux-Corps-du-Roi, qu’une telle gifle nous fait courir le risque, non d’une blessure grave ou d’un sacrilège nous entraînant dans une crise nationale mais certes d’un dévoilement qui vous indique rien de moins que ce qu’exprime l’exclamation célèbre du gamin de la fable d’Andersen : « Le Roi est nu ! »

(Ou bien, comme disait le colonel X [nom oublié] au roi Baudouin Ier, en septembre 1960, au Congo ex-belge après quelques semaines de désordres sanglants et indépendants puisqu’indépendance accordée : « Sire, ils vous l’ont cochonnée ! »)

Bref, je n’arrive pas à nous prendre au sérieux, par comparaison peut-être à ce que furent nos tragédies passées...

Pour finir, si, il y a quelque chose que je comprends. Me mettant à la place du régicide en puissance, voyant soudain survenir, à grande vitesse et même au pas de course, en manches de chemise mais pas en bras de chemise (ou le contraire ?), ce drôle de type façon “gendre idéal”, qui soudain ralentit à peine, s’inclinant légèrement “en marche”, le sourire carnassier et soudain les mains jointes à-la-Modi, – eh bien je comprends que le régicide-en-puissance ait paniqué, pris peur, etc., “Ah non, me touche pas”, et vlan ! Une gifle...  

(Voyez Lino Ventura se précipiter avec une détermination de bulldozer-gifleur vers la chambre d’Isabelle Adjani, sa fille, qu’il adore au-delà de tout...)

Pour finir au-delà de la fin, suivez donc mon conseil, cent et mille fois répété, et montrant à l’envi combien la dérision va bien au teint blafard (“privilège blanc”, c’est assuré) de cette époque en cette phase, contrôlée par les événements que régissent les dieux, de décomposition maîtrisée, tant pour la vitesse que pour la puanteur : « Va jouer avec cette poussière ».

Notes

(*) Ma citation favorite de Plotin, dans sa définition du Mal, avec les caractères en gras qui sont de moi, que Plotin me pardonne et que Mélenchon s’incline devant cette définition hautement inspirée :
« Car on pourrait dès lors arriver à une notion du mal comme ce qui est non-mesure par rapport à la mesure, sans limite par rapport à la limite, absence de forme par rapport à ce qui produit la forme et déficience permanente par rapport à ce qui est suffisant en soi, toujours indéterminé, stable en aucun façon, affecté de toutes manières, insatiable, indigence totale. Et ces choses ne sont pas des accidents qui lui adviennent, mais elles constituent son essence en quelque sorte, et quelle que soit la partie de lui que tu pourrais voir, il est toutes ces choses. Mais les autres, ceux qui participeraient de lui et s’y assimileraient, deviennent mauvais, n’étant pas mauvais en soi. »

(**) In extremis et a posteriori ratione, je rajoute cette note... Voyez combien cette théorie des “Deux-Corps” est d’une évidence métahistorique, mais aussi combien il peut arriver que les deux soient brutalement séparés et qu’alors il importe de choisir. Il s’agit de cette adresse à propos de Richelieu, du mousquetaire demi-dieu Athos à son fils Raoul qu’il a conduit à Saint-Denis pour s’incliner devant les tombeaux des rois de France, – citée dans le Glossaire.dde sur « Nos Trois-Mousquetaires ».
 « Raoul, souvenez-vous de cette chose, s’il a fait le roi petit il a fait la royauté grande… […] Ce règne est passé, Raoul, ce ministre tant redouté, tant craint, tant haï de son maître, est descendu dans la tombe, tirant après lui le roi qu’il ne voulait pas laisser vivre seul, de peur sans doute qu’il ne détruisît son œuvre, car un roi n’édifie que lorsqu’il a près de lui soit Dieu, soit l’esprit de Dieu. […] Raoul, sachez distinguer toujours le roi de la royauté ; le roi n’est qu’un homme, la royauté, c’est l’esprit de Dieu ; quand vous serez dans le doute de savoir qui vous devez servir, abandonnez l’apparence matérielle pour le principe invisible, car le principe invisible est tout… »

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Gifle de Macron : un peu de sérieux

Alors que l'indignation des politiques est unanime, l'essayiste Anne-Sophie Chazaud, tout en condamnant la violence physique, souligne que le manque de respect envers la figure du président de la République n’est que la suite logique de son mandat.

C’est une journée où chacun va faire débauche d’indignation afin de bien montrer son attachement à la République etc etc etc.

Soit.

La violence politique est condamnable, en tout cas moi je la condamne, raison pour laquelle d’ailleurs je m’émouvais ce matin de l’anniversaire de la mort atroce du jeune Louis XVII, supplicié par la terreur révolutionnaire perverse et psychopathique dont malheureusement une part de notre histoire républicaine est issue.

C’est aussi la raison pour laquelle je n’ai cessé de condamner l’usage débridé de la violence par la Macronie contre les opposants politiques et sociaux pendant de longs mois, laissant de nombreux Gaulois réfractaires suppliciés, éborgnés, estropiés, embastillés sans raison etc. Anne-Sophie Chazaud, philosophe et essayiste, est l'auteur de Liberté d'inexpression, nouvelles formes de la censure contemporaine aux Editions de l'Artilleur.

Concernant l’atteinte physique au corps du président de la République, naturellement, elle n’est pas tolérable au plan de la philosophie politique, au plan moral.

Toutefois, il convient de rappeler que si l’on ne saurait porter atteinte à ce que Kantorowicz nomme les “Deux corps du Roi”, le corps réel du régnant et le corps symbolique qui incarne la Nation, ceci se double d’un devoir sacré de la part de la personne qui donc incarne (au sens propre) cette fonction. 

En l’occurrence, ce corps, précisément parce qu’il ne lui appartient pas mais appartient de ce point de vue à toute la communauté nationale, doit être respecté à commencer par la mise en scène qu’en fait son propriétaire.

Je considère comme des atteintes à cette sacralité du corps symbolique du roi les frottis-frottas-selfies contre les corps des repris de justice aux Antilles, l’abaissement de la fonction lors de la fête de la musique de sinistre mémoire, l’abaissement encore de la mise en scène de ce corps (comme s’il n’était pas celui de la Nation ou alors comme si l’on pouvait en souiller l’image sans aucun respect) comme lors de la séance indigne MacFly et Carlito, et tutti quanti... Ce mandat n’aura été qu’une longue suite d’atteintes à la dignité de la fonction incarnée par ce corps physique et symbolique, comme autant de crachats ou d’insultes au visage des Français.

Bref, je considère qu’il ne faut guère s’étonner ensuite en faisant les vierges effarouchées que cette dimension symbolique ne fasse plus l’objet du moindre respect. Même s’il convient de le déplorer. Encore faut-il un peu de cohérence et ne pas en chérir les causes.

Le devoir, et le respect, c’est dans les deux sens et pour tout le monde.

Anne-Sophie Chazaud