L’“instant magique” a passé…

Bloc-Notes

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 1443

L’“instant magique” a passé…

Après un épisode, un “instant”, d'ailleurs révélateur, d’extrême confusion autour du massacre de Houla, du chef des diverses positions des grands acteurs internationaux, les choses se remettent en place. (En attendant un autre “instant magique” ? On verra.) C’est essentiellement le fait des Russes, qui, par l’une ou l’autre intervention, remettent leur pendule à l’heure pour l’édification de leurs “partenaires” du bloc BAO. Notons deux faits et déclarations à cet égard.

• Une déclaration courte mais significative venant directement de Poutine, puisque c’est son conseiller Dmitry Peskov qui parle à l’agence Tass, ce 30 mai 2012, dans une dépêche au titre significatif : “La position russe sur la Syrie ne changera pas”. Peskov parlait du déplacement de Poutine qui commence aujourd’hui, en Biélorussie, en Allemagne et en France… «Il est à peine possible de parler de quelque concession que ce soit que la Russie pourrait soi-disant faire sous des pressions… La politique étrangère de la Russie en général, et sur la Syrie en particulier, est absolument ouverte, constante et très bien équilibrée» Bref, il n’est pas question de changer la politique syrienne de la Russie, et certainement pas sous le force de pressions extérieures. (Complémentairement, on notera une déclaration du vice-ministre des affaires étrangères Gatilov, du 30 mai 2012, selon laquelle la Russie mettra son veto à toute proposition d'intervention extérieure en Syrie.) Voici qui meublera la conversation avec Merkel et (surtout) avec Hollande.

• Une déclaration du ministère des affaires étrangères russes critique les décisions prises par un certain nombre de pays de bloc BAO, ou en la circonstance du club bien connu des “Ami de la Syrie”. Le cas est assez simple : lorsqu’on soutient le plan Annan, qui est la position officielle de tous, cela signifie qu’on privilégie le dialogue et les négociations, et comment privilégier ceci et cela en coupant les contacts avec un des acteurs syriens, et institutionnellement le principal et le seul à avoir une légitimité ? (Selon Russia Today, le 30 mai 2012.)

«"We can comment on this decision only in view of international efforts to promote a peaceful settlement of the Syrian crisis,” the ministry’s spokesman Alexander Lukashevich said on Wednesday. As countries – members of the so-called Friends of Syria group – kick out Syrian diplomats “the most important channels, which could be used to share views and exert a constructive influence on the Syrian government for its encouragement to further steps to fulfill Kofi Annan's peace plan, turned out to be sealed off," he stated. Lukashevich pointed out that the West does not want to listen to Damascus, which is harmful for the situation in current circumstances.

»The official reiterated that Russia’s approach regarding the issue is based on different logic. “We do everything possible to reduce the degree of the confrontation between the Syrian sides. In this respect we maintain intensive contacts not only with the Syrian government, but also with various opposition groups,” Lukashevich stated as cited on the ministry’s official website. Moscow believes it is necessary to act strictly in compliance to Kofi Annan’s peace plan, “to which we see no alternative at the moment.”»

• … Cette idée d’une dualité dans l’approche russe de la situation syrienne (contacts avec l’opposition autant qu’avec le régime Assad), et, par conséquent, l’idée de l’intérêt principal pour le rétablissement de la stabilité avait été répétée par Lavrov lundi, après sa rencontre avec Hague le Britannique. (Novosti le 28 mai 2012 : « And Lavrov said the main thing for Moscow was not who was in power in Syria, but a successful implementation of Annan’s plan.») Elle avait été aussitôt saluée comme le signe d’une évolution fondamentale de la position russe vers les positions du bloc BAO, alors qu’elle ne faisait que répéter ce qui est dit par les Russes depuis des semaines, sinon des mois. (Voir notre texte du 30 mai 2012 : «Pour DEBKAFiles, du moins en début de texte, la partie est jouée, et Poutine manœuvre pour se désengager. “Lavrov tried to save his government’s reputation by declaring out of the blue that Moscow no longer backs Bashar Assad and his regime and fully endorses the UN envoy Kofi Annan’s mission.” Bon, DEBKAFiles brode un peu en présentant cela comme un événement extraordinaire : Lavrov a dit que la première priorité était de rétablir l’ordre plutôt que de soutenir l’un ou l’autre, ce qui a toujours été la politique officielle russe, et qu’il soutenait le plan Annan, ce que la Russie a fait dès l’origine, ayant été un des premiers pays à susciter, – contre le bloc BAO au départ, – la mission Annan…»)

Un aspect révélateur de ce débat et de la façon dont les déclarations sont interprétées pour intégrer la narrative qu'on affectionne, c'est qu’on retrouve cette même idée, bien avant le massacre de Houla, chez… Assad lui-même, sans que l’intéressé ne s’en émeuve outre-mesure. Le 16 mai 2012 (deux semaines avant le massacre), Novosti rapportait ce propos d’Assad sur la chaine de TV russe Russia24 : «[Les Russes] ne me défendent pas en tant que président. Ils ne défendent pas le régime, quoique je n'aime pas ce terme, mais la stabilité dans la région. Ils comprennent bien l'importance géopolitique et le rôle de la Syrie [au Proche-Orient] [L’absence de ce soutien provoquera un chaos qui,] après la Syrie, peut se propager partout. Ce n'est pas de la Syrie qu'il s'agit, mais de la stabilité internationale…» Tout est dit de la politique russe, par “‘le plus grand tyran de tous les temps’ du moment”, en des termes irréfutables, déjà évidents dans nombre de propos de Poutine… (Voir notre texte du 5 mars 2012 , expliquant comment la politique russe au Moyen-Orient, et notamment en Syrie, est nécessairement une politique de stabilité, en s’opposant à la politique US (du bloc BAO) : Poutine «pointed out that US foreign policy, including that in the Middle East, was expensive, inefficient and largely unpredictable.»)

• …De ce fait, on comprendra mieux l’intervention de l’ambassadrice US à l’ONU Susan Rice (Russia Today, le 31 mai 2012). Rice, qui a l’extrême double vertu d’être femme et Africaine-Américaine, semble être chargée, dans le team Obama, de l’expression de l’hystérie nécessaire à toute bonne politique syrienne aujourd’hui. Aussi nous dit-elle que, eh bien, l’on pourrait bien faire des choses contre la Syrie hors de l’ONU, si l’ONU ne donne pas son blanc-seing (entendez, gros sabots claquant sur les parquets rutilants de l’ONU, une intervention militaire sans vote de l’ONU) :

«US Ambassador to the UN Susan Rice has said that if the council does not take swift action to pressure Syrian authorities to end 14-month crackdown on the anti-government uprising, the Security Council members may have no choice but to consider acting outside the UN. “Members of the international community are left with the option only of having to consider whether they are prepared to take actions outside of the Annan plan and the authority of this council”»

Un peu gros, tout ça, Miss Rice. Hier, la Maison-Blanche disait “pas d’intervention militaire”, et le département d’État (Virgina Noland) “chouette, les Russes se rapprochent de nous”. La déclaration de Rice, qui ne vaut strictement rien pour elle-même, est simplement l’indice que les USA, après de fugitives espérances (Noland), ont mesuré la véritable position russe, qu’ils l’ont jugée inchangée, et qu’ils en ont profité, pour que d'un mal (pour eux) sorte un petit bien, pour lâcher une bulle de bande dessinée de plus pour contrer l’offensive permanente des bellicistes républicains contre Obama… La déclaration de Rice nous confirme que l’administration Obama joue aux manipulations utiles de la réalité comme on joue au billard, – à plusieurs bandes, chacun étant chargé de gérer une narrative différente. Où est la vérité ? Connaissant Obama comme on commence à le connaître, nous opterions pour le refus de tout engagement militaire direct, quelles que soient les conditions, simplement par soucis électoral, et cela à mesure inverse d’une rhétorique régulièrement menaçante pour tenter de contenir les républicains.

…Ainsi, tout se remet peu à peu en place, toujours dans la même impasse qu’est la crise syrienne. La séquence du massacre de Houla est plus que jamais l’objet de contestation, avant même que l’enquête du Conseil des droits de l’homme de l’ONU soit conduite à son terme. (Voir la critique serrée de Marinella Corregia, dans Russia Today le 31 mai 2012, de la méthodologie employée, avec transcription d’un coup de téléphone au porte-parole du Conseil, Rupert Scoville ; lequel Scoville ne parvient pas à démentir Corregia sur le fait que toutes les “sources” consultées pour cette enquête, sans mettre les pieds en Syrie, sont de cette sorte : «the opposition groups [the UN Human Rights Council] spoke to on the phone; the opposition they met in Turkey; and other ‘activists’ they met in Geneva…») Quant à Lavrov, il a téléphoné à Annan pour insister sur le fait qu’il faut que l’enquête soit menée d’une façon loyale, et plutôt sous le contrôle du détachement de l’ONU sur place en Syrie, ce qui implique que les Russes ont déjà leur idée à ce propos (Tass, le 30 mai 2012 : «So far it is necessary to hold an objective and unbiased investigation of the incident circumstances under the aegis of the UN Observation Mission in Syria»). Il est difficile de croire qu’une conclusion assurée en sera tirée, sur laquelle tout le monde s’accordera… On devrait donc retrouver, dans des conditions de tension encore accentuée, les mêmes oppositions entre “les amis de la Syrie“ et ceux qui s’opposent à la politique du bloc BAO, Russes en tête. La Syrie reste donc le baril de poudre bien connu, dans lequel, avec l’affaire du massacre de Houla, quelques tonnes de poudre supplémentaires ont été rajoutées.


Mis en ligne le 31 mai 2012 à 12H56