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8594 février 2003 — Des chiffres publiés récemment par l’INS américain (Immigration and Naturalisation Service) indiquent l’aggravation dramatique d’une crise américaine déjà sérieuse, qui se développe depuis le milieu des années 1980. Ces chiffres sont complètement passés sous silence, et cette crise elle-même est totalement ignorée après avoir constitué, avant 9/11, une priorité de l’administration GW Bush. On se trouve moins devant un montage ou un complot que devant le phénomène décrit par Warren Christopher du pouvoir américain incapable de s’intéresser à plus d’une crise à la fois.
Il s’agit de la crise de l’immigration clandestine, très fortement d’origine mexicaine (70%) ; il s’agit, en d’autres termes, de “l’invasion des États-Unis par le Mexique”, par Mexicains interposés, qui s’est effectivement imposée comme un phénomène spécifique depuis le milieu du mandat Reagan. Un article du Washington Times expose la situation.
« The population of illegal aliens in the United States more than doubled in the past decade, with more than 7 million, mostly Mexicans, now living here, according to a report issued yesterday by the Immigration and Naturalization Service. Annually, 350,000 illegals are believed to enter the United States, mainly from countries whose residents traditionally enter with visas and overstay, said the report based on the 2000 census and INS statistics. That's about 75,000 more than earlier INS estimates.
» ''The bottom line is America has lost control of its borders. It does not inspire confidence at a time of war when [terrorists] are trying to get into the country and blow you up,'' said Steven A. Camarota, director of research at the Center for Immigration Studies. ''The scale of illegal immigration can only be described as enormous,'' said Mr. Camarota. »
Un autre texte, que nous avons déjà signalé à nos lecteurs, donne l’idée de l’effet que ces nouvelles vont avoir dans certains milieux conservateurs américains. Il s’agit d’un article de Paul Craig Roberts, dans le même Washington Times. Paul Craig Roberts est un conservateur, évidemment proche du parti républicain ; son texte est une violente critique de l’attaque qui se prépare contre l’Irak, au nom de cette logique (ou plutôt de cette absence de logique) que les USA s’apprête à violer les frontières d’un État souverain alors qu’ils laissent leurs propres frontières ouvertes aux invasions.
« While President Bush prepares to violate Iraq's borders, our own are being overrun by people who are legally defined by the federal government as “preferred minorities.” The “preferred” designation means that new immigrants, legal or illegal, by basis of skin color are preferred to native-born white people in university admissions, federal contracting, private employment and promotions. This unconstitutional policy of reverse discrimination against native-born whites has been growing in magnitude for almost four decades, and no administration has done anything to stop it.
» Sooner or later whites will wake up to the realization that they are being marginalized in their own country, and they will cease to support the two political parties that have marginalized them.
» It wasn't Saddam Hussein who made white Americans second-class citizens in law. And it is not Saddam Hussein who is overrunning our borders. Mr. Bush finds it easier to go to war than to deal with the attacks on American identity at home. »
On pourrait commencer à observer que l’un des effets les plus graves de l’attaque du 11 septembre 2001 a été d’interrompre ce qui pouvait être un processus de stabilisation et de normalisation des relations entre le Mexique et les USA. Le processus semblait bien parti au début 2001, avec de bonnes relations entre le Mexicain Fox et l’Américain GW Bush, en tant qu’ancien gouverneur du Texas notamment, les deux hommes étant nouvellement installés comme présidents. Le processus impliquait la régularisation de la situation de la population immigrante mexicaine d’ores et déjà installée aux USA (on l’évaluait alors à 3 millions) en échange d’un effort concerté du Mexique pour freiner l’immigration.
Depuis, les liens Fox-GW se sont notablement dégradés, notamment à cause de l’attention portée par GW au seul terrorisme (voir la formule Christopher) et principalement à cause d’un désaccord grandissant entre Fox et les Américains sur la politique suivie et l’attaque de l’Irak (désaccord exprimé notamment par le Mexique lors de la session d’automne à l’ONU). Désormais, les deux pays ont des relations assez distantes alors que le contentieux de l’immigration clandestine prend la voie de devenir éventuellement explosif. Il est devenu par exemple beaucoup moins concevable de faire passer l’idée de GW Bush d’une amnistie des illégaux, comme on l’envisageait jusqu’au 11 septembre, autant à cause du climat nouveau établi entre les deux pays qu’à cause du gonflement des effectifs des clandestins signalé par l’INS.
Certains analystes de milieux conservateurs particulièrement inquiets de cette situation estiment que l’immigration va encore augmenter. Ils avancent le chiffre de près de 500.000 illégaux sur une année en 2005, c’est-à-dire une évolution vers des situations quasiment insupportables dans certaines parties des États-Unis. Ces milieux estiment que ces immigrants constituent « cinquième colonne potentielle dans certaines circonstances, comme celles de tensions entre les USA et le Mexique ». Il est difficile de savoir si ces évaluations sont surtout le fruit d’une paranoïa du complot ou si elles sont basées sur des évaluations précises et sérieuses ; d’autre part, leur simple existence indique une évolution psychologique importantes, et des tensions politiques prévisibles par conséquent.
Les conditions d’aggravation de la question de l’immigration illégale peuvent ramener au climat de 1982-85, où un bouclage de la frontière septentrionale par l’U.S. Army fut envisagé pour protéger les USA d’un flot migratoire brutal en cas de situation révolutionnaire au Mexique (les conditions semblaient s’y prêter alors). Dans ce cadre, un retrait de forces armées US d’Europe avait été envisagé. Cette fois, la situation est différente et plus grave en un sens : ce n’est plus un flot migratoire potentiel, c’est un flot migratoire d’ores et déjà existant ; et la crainte pourrait porter directement sur la situation aux USA même (alors qu’en 1982-85, c’est d’abord la situation mexicaine qui était préoccupante).
Cette aggravation des conditions générales de l’immigration clandestine aux USA porte également des menaces du point de vue de la politique intérieure. Cette idée est évidemment illustrée par le texte de Paul Craig Robert. Il s’agit de la menace de la cohésion du soutien conservateur à l’administration GW Bush. La question qui se pose est de savoir dans quelle mesure l’antagonisme grandissant entre les deux situations, — d’une part la poussée militaro-hégémonique (l’Irak et la suite probable), d’autre part l’instabilité de l’immigration clandestine — ne va pas finir par se refléter dans la droite américaine, avec une fracture possible au coeur de ces forces formant le soutien naturel de GW Bush.