L’Iowa dit : désordre, désordre, le Système...

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

   Forum

Il y a 3 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 2102

L’Iowa dit : désordre, désordre, le Système...

2 février 2016 – “A l’heure où j’écris ces lignes”, comme dit le lieu commun, la campagne présidentielle US a commencé (primaires de l’Iowa) et elle se trouve plongée dans un très-profond désordre. (Je veux dire : désordre par rapport à ce qu’exige le Système, et c’est l’essentiel.)  Puisque les premiers “faits” sont en notre possession et après avoir entendu ce qu’ils nous disent, – ou plutôt, ce que nous devrions en entendre, selon mon appréciation de la chose je le précise, – expédions-les très-succinctement en isolant ce qui importe :

• Chez les républicains, Trump (2ème) a fait moins bien que le courant de communication faisait attendre, mais la victoire de Cruz n’est pas tout à fait une surprise car il a été assez longtemps favori dans l’Iowa (malgré Trump). Par ailleurs et ceci est l’essentiel, on sait bien que, pour l’establishment républicain, Cruz ne vaut pas mieux que Trump et qu’il est même, pour certains milieux les plus influents de cet establishment, pire que Trump. Si l’on additionne les résultats des deux dont l’establishment ne veut pas entendre parler, on arrive à 52-54% des votes dans la machine politique républicaine de l’Iowa réputée verrouillée aux influences impies. C’est beaucoup. L’establishment, donc le Système, n’est pas content du tout.

• Et puis il y a la “surprise”, c’est-à-dire le résultat le plus spectaculaire : Sanders et Clinton pratiquement à égalité (à 99% du dépouillement, Clinton avait 49,8% des votes, Sanders 49,6%). C’est peut-être le pire résultat possible pour le Système qui a à prendre une décision dans la course côté-démocrate : liquider ou pas Hillary, selon son destin et ce qu’on lui trouverait comme remplaçant. Hillary n’a pas perdu mais en ne gagnant pas vraiment, sinon pas du tout selon les normes-Système, elle a montré, malgré les montagnes de fric investies et la notoriété de son expérience aux affaires, une extraordinaire vulnérabilité par rapport à ce que les choses devraient être (toujours selon le Système). Sanders, lui, le gagne-petit qui est arrivé sur le tard avec une bourse dopée aux piètres dons des particuliers, exulte et électrise ses partisans. L’establishment, donc le Système, n’est pas content du tout.

• Ajoutez le résultat de Sanders à ceux de Cruz-Trump et vous avez une idée de la vigueur d’un courant qu’on doit, selon le classement qui nous est propre, étiqueter antiSystème et qui déboule au cœur d’un processus fondamental du Système. L’establishment, donc le Système, n’est pas content du tout, mais alors pas du tout...

Les primaires de l’Iowa n’ont rien tranché, ni même suggéré une tendance quant aux résultats finaux (les deux candidats des deux partis). Cela n’a guère d’importance par rapport à ce qu’elles nous disent de la situation Système-antiSystème. Elles nous disent quelque chose d’essentiel de l’état du Système, et c’est absolument ce qui doit nous importer par-dessus tout : elles nous ont confirmé qu’il existe dans le processus électoral des USA un désordre considérable par rapport au verrouillage hermétique que le Système voudrait lui voir absolument appliquée dans ces temps où la moindre contestation antiSystème est perçue comme un terrible danger ; un désordre à cause de l’incertitude complète que cette affaire de l’Iowa a mise en évidence, dans une organisation dont l’unique et nécessaire vertu est la certitude. Je suis conduit à penser, selon mon jugement favori, que le désordre est le plus grand danger existant pour le Système, pour ce qui concerne les territoires, les institutions et les processus qui assurent son fonctionnement ; et quel territoire-institution-processus est plus important, d’un point de vue symbolique autant qu’opérationnel, et du point de vue de la communication, que celui de l’élection à la présidence des USA ? Le voilà ouvert à tous les vents, et particulièrement à celui de l’antiSystème qui a désormais le loisir de devenir tempête.

Là-dessus je reviens à naturellement à Hillary, l’héroïne malencontreuse de cette première bagarre, qui a fait l’objet de divers commentaires dans le texte du Journal dde.crisis du 31 janvier. On sait que, dans son cas, les résultats dans les primaires ne sont qu’une partie de l’équation, et que la plus grosse concerne ce que Ron Paul et tout le monde en général nomment désormais Emailgate. C’est de cela principalement, sinon exclusivement, dont je parlai hier, comme le notait un des lecteurs-commentateurs (“Vieux rebelle”) du texte. Là-dessus, j’ai un mot de plus à dire, qu’on pouvait distinguer dans telle ou telle phrase, mais qui mérite d’être beaucoup mieux mis en lumière : l’irresponsabilité, encore plus que l’illégalité. Et cela, voilà qui devrait si ce n’est déjà fait, lui faire le plus grand tort, à Hillary, voire la disqualifier.

Je parlai hier avec un interlocuteur habitué à ces positions à l’intérieur des institutions du Système, là où les questions de sécurité et de classification sont importantes et sont devenues, à cause des pressions et des occasions du système de la communication, le domaine qui est le plus sensible, avec des procédures de surveillance interne très puissantes, et où “la responsabilité des responsables” si j’ose dire est la plus engagée. Mon interlocuteur me disait sa stupéfaction devant cette affaire de l’Emailgate, et l’extraordinaire légèreté qu’avait montrée Clinton à cette occasion. On ne parle pas ici de sa corruption, de ses magouilles, etc., mais bien de cette légèreté de l’irresponsabilité dans l’utilisation mélangée des lignes officielles et des lignes privées, et dans le maniement d’informations ou de documents les plus secrets. La conclusion à laquelle nous arrivions est bien celle qui marque cette corruption décisive de la psychologie caractérisant tous ces dirigeants-Système ; à côté de leur soumission au Système, ou bien à cause d’elle que sais-je, une sorte de sentiment écrasant d’impunité ; on se dit nécessairement, selon le simple bon sens, “ils se croient tout permis”, et on arrive même à se dire finalement ceci qui correspond mieux à leur état de conscience réduite à une situation de veille minimale : “Non, simplement ils n’arrivent plus à concevoir que quelque chose ne leur soit pas permis”. Cette irresponsabilité confine à l'ivresse pure et simple.

Cela rejoint la remarque du colonel Lang, « One of the things that puzzles me about this has to do with Bill Clinton.  He had to know and he let her do this to herself. » J’avais été jusqu’à risquer une réponse qui engageait une certaine responsabilité machiavélique de Bill, mais après tout pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple : il y a aussi l’explication effectivement simple que, lui aussi, il est, comme sa femme, incapable d’imaginer une limite ou quelque prudence de responsabilité dans les actes que permettent de telles positions de pouvoir. Devant de telles mésaventures, on comprend que le Système soit excédé par ses “zombies-Système” qui ne sont même plus capables de se tenir. Nous souhaitons bonne chance à l’establishment pour trouver un remplaçant à la candidate favorite bien partie pour se dissoudre dans l’exercice de la grande démocratie américaniste, pour bloquer Sanders, l’épouvantable épouvantail sorti des urnes de l’Iowa.