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221119 mai 2011 — Il est vrai que nous avons été frappés, une fois de plus, par la rapidité des événements, la “liquidation” de ben Laden (opération Geronimo, les 1er-2 mai) enchaînant très rapidement sur la “liquidation” de DSK. Nous ne croyons aucunement que le hasard puisse se manifester, ni le phénomène de la coïncidence, dans le chef des grands courants métahistoriques qui sont confrontés par leur propre dynamique à la folle poussée du Système, et qui alimentent, de l’extérieur, la bataille contre le Système, essentiellement sinon exclusivement en favorisant son processus d’autodestruction. Ainsi avons-nous recherché une proximité de similitude entre les deux événements.
Nous employons à dessein ce terme de “liquidation” pour les deux cas (ben Laden et DSK), non pour désigner la possibilité d’une volonté construite de liquider l’un ou l’autre personnage, quoi qu’il en soit par ailleurs et selon les circonstances, mais pour offrir une correspondance entre deux événements qui paraissent, dans leurs circonstances justement, très différents (liquidation physique de ben Laden, classé comme ennemi du Système, circonstances exceptionnelles menant à l’emprisonnement de DSK, classé comme soutien du Système). Nous utilisons le terme “liquidation” pour désigner un événement structurel dont nous jugerons qu’il apporte des effets considérables dans la situation du Système.
Par conséquent, “liquidation” pour “liquidation”, – la première physique et directe, la seconde professionnelle et systémique. Dans les deux cas, le terme, utilisé avec des guillemets, indique sa spécificité telle que nous l’entendons. Pour nous, il ne s’agit en aucun cas d’une liquidation physique, par les armes, comme celle de ben Laden, ni d’une liquidation professionnelle et politique, voire provoquée pour ceux qui affectionnent les complots (ils sont 57% en France, paraît-il), comme dans le cas de DSK. Il s’agit d’une “liquidation” comprise d’un point de vue essentiellement symbolique, avec les effets d’un événement symbolique sur la psychologie, par rapport à la place de la chose (ben Laden, DSK) dans le récit général (la narrative) de la Grande crise terminale que nous vivons.
Nous précisons aussitôt ce que nous entendons et ce qui nous importe dans ces événements, – et ce qui ne nous importe pas.
• Pour nous arrêter au fait le plus spectaculaire aujourd’hui, nous dirions que les circonstances de la “liquidation” de DSK n’ont pour nous aucun intérêt fondamental, par le principe que le fait lui-même, fortement symbolique, est infiniment plus important que les circonstances, qui ne sont justement que des accidents de circonstances. La question des “complots” est particulièrement révélatrice : il y en a dans tous les sens, de toutes les façons, avec un nombre de coupables présumés assez considérables, pour un nombre de raisons très diverses et souvent contradictoires. Cette abondance de biens allant dans des sens divers indique plus la situation chaotique de la raison devant l’événement qu’une appréciation convaincante et de réelle importance, – même s’il y a eu effectivement complot. Pour reprendre la thèse implicite de Joseph de Maistre sur la Révolution française, lorsque Maistre constate que «[l]es scélérats mêmes qui paraissent conduire la révolution, n'y entrent que comme de simples instruments; et dès qu'ils ont la prétention de la dominer, ils tombent ignoblement», – manifestement, Maistre se fiche du tiers comme du quart de savoir quel complot a eu raison des hébertistes, de Danton, etc., parce qu’il n’y a que le fait de leur chute qui importe. Si, demain, on apprend que DSK a été victime d’un complot monté par les SR américanistes ou du machiavélisme de Poutine, qu’est-ce que cela nous apporterait par rapport au fait fondamental de la “liquidation” et de la chute ? C’est l’accessoire par rapport à l’essentiel, même si les constructeurs des hypothèses de tel ou tel complot sont très satisfaits, de fort bonne foi, et peut-être défricheurs d’une vérité ou l’autre. Par conséquent, les circonstances ne nous intéressent pas.
• Nous nous sommes beaucoup étendus sur le cas DSK, parce que c’est le fait du jour, sans aucun doute, et qu’il est massivement présent dans le système de la communication. Le même raisonnement est valable pour nous pour les circonstances de la liquidation de ben Laden, y compris l’hypothèse largement développée d’avancer qu’il s’agit d’un faux ben Laden parce que le vrai serait mort depuis 2002. Le fait qui nous intéresse est que la mort officielle, donc la mort symbolique de ben Laden, paradoxalement saluée comme une “victoire” fondamentale pour les USA, est en réalité un événement terriblement déstabilisant pour la situation établie depuis 9/11 dans la mesure où elle nous prive du personnage qui structurait toute la narrative du bloc américaniste-occidentaliste.
• Tout cela doit être considéré selon une analyse fondamentale, qui impose une appréciation à mesure des deux événements. Ces “liquidations” n’ont aucun intérêt du point de vue politique, parce que la politique n’a plus d’intérêt ni d’existence réelle, reléguée qu’elle est, aujourd’hui, sur les marges du fondement des choses ; parce que plus personne, – nous insistons sur ce plus personne avec force et sommes prêts à en discuter avec tous les arguments du monde, dans tous les domaines, – parce que plus personne ne dirige plus rien de fondamental dans les choses essentielles des événements du monde, parce que l’eschatologisation de ces événements est partout évidente, parce que les multiples interférences, concurrences, heurts, alliances, mésalliances et désalliances des multitudes de pouvoirs au sein du Système empêchent absolument l’expression d’un pouvoir général capable d’organiser une politique générale. Alors, ce qui compte essentiellement, c’est la perception de l’événement et l’effet sur la psychologie, et alors les deux “liquidations” qui nous attachent dans ce texte doivent être appréciées comme deux événements symboliques d’une considérable force psychologique.
• Un autre point à mettre en évidence dans la poursuite du raisonnement est que ces deux “liquidation” sont déstructurantes pour le système. C’est pourquoi l’effet psychologique des deux “liquidations” sont d’abord déstabilisantes par rapport aux situations établies qui sont contrôlées par le Système, sans aucune considération de valeur et de vertu de ces situations ; même si ces situations étaient mauvaises, haïssables parce que favorables au Système, etc., notre perception est justement celle d’une déstabilisation, cela qui a pour premier effet le désarroi. C’est pourquoi nous parlons sans le moindre doute de “désarroi”, comme c’est le cas français évident pour DSK. La même sorte de “désarroi”, quoiqu’exprimé d’une autre façon, est perceptible avec le cas ben Laden dont la “liquidation” met radicalement en cause la narrative de la “guerre contre la Terreur”, c’est-à-dire la narrative existentielle de l’époque depuis 9/11. On le voit avec le remplacement de l’Afghanistan par le Pakistan dans les préoccupations US, comme si la guerre en Afghanistan n’existait plus guère et que l’on se tournait vers la perspective d’un conflit avec le Pakistan pour justement combler le vide conceptuel causé par la mort de ben Laden. Cela ne signifie pas qu’on soit attristé, catastrophé par la nouvelle, ou le contraire, mais qu’on se trouve soudain dans une situation déstabilisée par rapport à ce qui existait ; cela ne signifie pas qu’on prenne position pour ou contre le Système, mais qu’on ressent psychologiquement un bouleversement de la situation établie ; cela ne signifie pas que l’attaque du Pakistan est pour demain (il faudrait pouvoir) ni même que les USA vont rompre avec le Pakistan, mais bien que tout se passe comme si le monde sans ben Laden avait abouti à l’élimination du centre afghan de la crise et à la recherche d’un centre de substitution, par exemple au Pakistan, tentant par sa proximité et comme lieu de la “liquidation” de ben Laden… Cette déstabilisation implique un sentiment de fragilité, non pas des gens qui expriment ou ressentent ce désarroi, mais bien un sentiment de fragilité de la situation ainsi déstabilisées (dito, du Système, qui régit cette situation). La multitude de théories de complot dans tous les sens dans le cas de DSK n’est pas un signe impératif qu’il y a un complot, – ni le contraire d’ailleurs, et là n’est pas le propos, – mais un signe que la raison lutte désespérément pour écarter le désarroi en tentant de la rationaliser la “liquidation”, – oubliant, la raison, que le désarroi vient du fait lui-même (la “liquidation”) et nullement des circonstances.
Le Système qui régit le monde aujourd’hui est à la fois dans une situation de surpuissance extraordinaire, une situation de surpuissance que nous qualifierions d’hermétique dans le sens où cette situation est bouclée et inexpugnable ; et, en même temps, une situation de crise si profonde que nul n’en voit ni le terme ni le fond, et qui est essentiellement alimentée par le Système lui-même. C’est la situation de “puissance-impuissance” que nous avons souvent constatée, dans tous les domaines (récemment, le cas de la Libye ou du JSF), avec l’hypothèse, également exprimée souvent sur ce site, d’une dynamique d’autodestruction.
Dans le cas de DSK, nous avons mis l’accent sur la perception par certains d’une démarche d’autodestruction de DSK. Dernier cas en date, William Pfaff, dans un article du 18 mai 2011, choisit le titre de «The Self-destruction of Dominique Strauss-Kahn», et commence son texte par ces mots : «What can only seem the irresistible self-destruction of Dominique Strauss-Kahn…» Notre thèse est que cette “autodestruction” n’est pas celle de DSK en tant qu’individu, mais de DSK en tant que membre éminent du Système (directeur du FMI, éventuellement futur président de la république française). Dans ce cas, nous disons que c’est un acte d’autodestruction du Système s’exprimant par le biais de DSK. La même chose pourrait être dite pour la “liquidation” de ben Laden ; ceux qui l’ont décidée et accomplie ont cru le faire selon une logique qu’on pourrait considérer objectivement comme favorable au Système, notamment parce qu’elle montre la surpuissance du Système (voir les ricanements de Gates et de Mullen à ce propos) ; en réalité, comme nous l’avons montré, l’opération détruit un des facteurs importants de la stabilité structurelle du Système, notamment appuyée sur la narrative de la “guerre contre la terreur”.
L’hermétisme du Système, mentionnée plus haut, est un facteur essentiel de sa surpuissance. Elle a été réalisée, comme c’est normal, par un nombre indéterminée de verrous. Pour nous, ben Laden et DSK représentaient des verrous de l’hermétisme du Système, à des titres divers sinon contraires selon leurs positions respectives, sans qu’il soit nécessaire qu’eux-mêmes s’en expliquent ni même le réalisent, – mais des verrous sans aucun doute. Les deux verrous ont sauté, et ils ont sauté par l’action du Système. Dans le cas ben Laden, c’est évident ; dans le cas DSK, ce ne l’est pas moins, à cause des activités du Système suscitées par diverses caractéristiques, jalousies, hypothèses de machinations, etc., – un DSK menotté après les circonstances rocambolesques de son arrestation, la floraison des “complots”, le “désarroi”, la course à la direction du FMI dans une situation d’extrême tension financière au sein du Système, etc. (On ajoutera, accessoirement, l’élimination d’un homme qui avait de fortes chances d’être élu président en France, et dont on espérait qu'il aurait introduit ainsi, d’une façon ordonnée et assez rassurante, les principes de la globalisation au cœur de la structure du pouvoir français, qui reste rétif à cette orientation.)
Le résultat de la “liquidation”, le fait d’avoir fait sauter ces deux verrous, sans même réaliser la chose ni qu’il s’agissait de verrous, ni réaliser que le Système tient sa surpuissance notamment de son hermétisme et des verrous qui l’assurent, c’est évidemment un coup porté contre cette situation d’hermétisme. Lorsque nous disons que le Système est hermétique, nous soulignons par là que sa surpuissance s’exprime dans les deux voies essentielles de la puissance aujourd’hui. Il y a d’une part la puissance brute du système du technologisme, qui est si grande que rien ne peut être fait de structurant qui ne passe par les outils de cette puissance que contrôle, voire qu’engendre le Système, comme seule source de puissance matérielle et technique dans le monde. Il y a d’autre part la puissance d’influence du système de la communication, qui détermine la perception unique, et donc l’état de la psychologie. Cette formule idéale détermine l’hermétisme du Système, qui fait que rien n’est possible hors du Système. Bien entendu, toute cette superbe construction est régulièrement mise en cause, secouée, de plus en plus violemment, par la crise du Système et sa propre folie, qui fait s’interroger sur le fait de savoir si le Système est capable de se supporter lui-même. On a déjà vu bien des éléments de cette folie, dont par exemple l’utilisation contre lui-même du système de la communication, le phénomène des “systèmes antiSystème”, etc.
La “liquidation” des verrous (ben Laden, DSK) est un autre aspect de cette démarche. Elle apporte un élément important dans cette interprétation de la mise en cause de l’hermétisme du Système, lequel est une situation de structuration essentielle pour lui. Le Système tient notamment sa force de son enfermement, donc de l’enfermement de toute la puissance possible selon les normes qu’il a lui-même édictées. Cet enfermement interdit le recours aux références extérieures (d’où la thèse-slogan TINA, “There Is No Alternative”) et alimente l’idée que seul le Système est possible ; même si le Système représente, comme c'est notre conviction, le mal absolu pour notre situation terrestre du temps métahistorique courant, notamment comme “source de tous les maux”, sa situation d’hermétisme permet d’éviter la réalisation de cette évidence catastrophique pour lui en coupant tout rapport avec d’éventuelles références extérieures antagonistes. (Par exemple, cet hermétisme constitue, à notre sens, une barrière efficace contre l’acceptation, par les esprits, de l’“intuition haute” qui permet la mise en cause radicale du Système.) On voit combien cet acte d’autodestruction de la “liquidation” de verrous de son propre hermétisme constitue un pas important de plus dans le processus général d’autodestruction.
Les “liquidations” ainsi analysées constituent deux initiatives importantes sur la voie de l’autodestruction du Système, qui se traduit en réalité par sa déstructuration, – ou, si l’on veut, “auto-déstructuration”. Il est impossible d’en évaluer l’importance, si tel ou tel événement est décisif, etc. L’on doit simplement observer que c’est un outil nouveau qui s’ajoute à la panoplie de la démarche d’auto-déstructuration/autodestruction du Système. L’on dirait ainsi qu’il y a dans le chef du Système, comme par un phénomène de compensation relevant d'une situation métaphysique, autant de puissance, d’habileté, d’efficacité, dans sa démarche d’auto-déstructuration/autodestruction que dans la démarche d’établissement de sa puissance et de sa structure qui a présidé à l'installation de la position d’absolue domination qu’il exerce aujourd’hui. Il va de soi que cette voie est, bien entendu, la seule qui puisse venir à bout de lui ; elle est, si l’on ose dire, “en bonne voie”, et rien ne l’arrêtera.
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