L’Irak, à nouveau

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L’Irak, à nouveau


22 février 2008 — Faut-il oublier l’Irak? Non, il ne faut jamais oublier l’Irak, qui n’entend pas de son côté se faire oublier. Outre que le pays et ses troubles existent toujours dans le sens qu’on sait des événements courants, il s’avère que l’Irak pourrait revenir plus encore à une situation d’affrontement aggravé, comme nombre d’analystes en ont déjà exprimé la crainte.

Une excellente analyse de WSWS.org du 21 février nous fixe là-dessus. Elle nous précise que la situation en Irak est sur le point de (re)devenir explosive, avec les récents alliés sunnites bruyamment achetés à coups de subvention US, qui s’impatientent des promesses non tenues et jugent que les chiites continueront, selon les arrangements US, à tenir l’essentiel de la puissance du pays.

Des lois votées par le Parlement irakien le 13 février limitent les mesures levant les contraintes pesant sur les anciens membres (essentiellement sunnites) du parti Baas de Saddam Hussein. Les mesures de décentralisation du pouvoir (lois provinciales) sont également décevantes pour les sunnites. Tout se passe comme si les chiites gardaient l’essentiel du pouvoir alors que le ralliement des sunnites dans la bataille contre les terroristes islamistes impliquait la réciprocité politique d’un plus grand pouvoir dans leurs territoires. Par conséquent, la situation se détériore.

«The limited character of the concessions to Sunni demands coincides with growing frustration inside the ranks of the Awakening Councils. The primary motive for ending much of the insurgency last year was fear in the Sunni elite and population as a whole over the entrenchment of Shiite fundamentalist power. The bloody Sunni-Shiite civil war that developed throughout 2006 led to mass killings in Sunni areas and the expulsion of hundreds of thousands of Sunnis from Baghdad and other mixed areas.

«In desperation, tribal councils and Baathist-linked insurgent groups in western Iraq and the surrounds of Baghdad accepted US overtures for a deal. In exchange for a ceasefire and substantial bribes, they formed US-financed militias—which now number close to 80,000—to work with American units in hunting down and destroying Islamist groups that continued resistance. American troops prevent Shiite troops, police and militia from entering the areas under the control of the Awakening Councils. In Iraq’s capital, the US military has flung up 12-foot concrete walls around Sunni suburbs to protect them from Shiite militias, establishing little more than ghettos.

»The curbing of Sunni attacks on US forces has been a key factor in the substantial drop in American casualties. The collaboration, however, has not led to the hoped-for significant political openings for the Sunni elite or their followers. The Shiite parties view the Awakening Councils as a long-term threat to their power. Maliki has refused demands that the Sunni militias be recruited into the military or police.

»The tensions are now surfacing. In Diyala province, the Awakening Council has suspended all cooperation with the occupation and the government over allegations that the local Shiite police are continuing to launch pogroms against Sunnis. Over recent weeks there have been several more incidents in which US troops have allegedly mistaken the militiamen for insurgents and attacked them. A Sunni militia in Babil, close to Baghdad, temporarily suspended all collaboration this week over the US killing of three of its members and two women in separate incidents last Thursday and Friday.

»In the western Anbar province, the Awakening Council has issued an ultimatum to the provincial government to resign by April or it will use its 20,000-strong Sunni militia to overthrow it. The government is headed by the Sunni Iraqi Islamic Party, one of the few Sunni organisations to stand candidates in the 2005 ballot. Only 2 percent of the population of Anbar voted.»

Les risques intérieurs (US)

La situation en Irak est conforme à tout ce que nous savons du fonctionnement de la machine américaniste et des conditions du “surge” tel qu’il est apparu au jour le jour.

• Washington (l’administration Bush) avait besoin d’un répit dans la situation en Irak, essentiellement pour des motifs de politique intérieure, histoire de proclamer la “victoire”. Les USA se sont tournés vers les sunnites et leur ont promis beaucoup de choses, notamment des concessions importantes des chiites qu’ils se faisaient fort de garantir, s'ils se tournaient contre les islamistes. Les sunnites, qui n’ont jamais accepté de gaieté de cœur l’intervention des groupes islamistes (Al Qaïda) ont accepté le marché qui a impliqué du côté US de l’argent et l’extension des milices sunnites, armées par le soin des Américains.

• Aux chiites, les autorités US ont assuré que les contacts avec les sunnites, et les accords passés avec eux, n’impliquaient aucune altération fondamentale de leurs pouvoirs.

La manœuvre était destinée d’abord à gagner du temps dans l’immédiat. Elle y a réussi d’une façon générale, mais pour une durée qui pourrait bientôt apparaître bien trop courte (et, par ailleurs, pour des résultats complètement incertains puisque l’effet intérieur aux USA a été négligeable). Comme à l’habitude, les Américains ne se sont embarrassés d’aucune préoccupation à long terme, encore moins d’une préoccupation d’unification et d’intégration des diverses forces irakiennes. On ne peut même pas parler d’une pensée tactique efficace pour eux-mêmes (“diviser pour régner”) puisqu’il n’est pas question pour les USA de renforcer leur statut en Irak et que cette opération ne diminue en rien le pouvoir des chiites. Plus encore, ils se sont retirés en partie des opérations offensives pour limiter leurs pertes et se trouvent aujourd’hui en position opérationnelle marginalisée. De maîtres de jeu qu’ils croyaient être devenus, ils pourraient bien se retrouver en position d’être exclus du jeu pour l’essentiel, – à moins d’entreprendre une opération de “reconquête” de leurs positions au prix de pertes accrues, ce qui semble hors de question parce que le Pentagone ne veut pas en entendre parler.

Il s’agissait simplement d’une opération de relations publiques dont il apparaît aujourd’hui qu’elle pourrait avoir des conséquences extrêmement difficiles si, effectivement, les groupes sunnites entraient à nouveau en dissidence. Une telle occurrence pourrait conduire sur le terrain à une situation pire qu’en 2006 dans la mesure où les Américains seraient perçus comme étant sur la voie du désengagement, – ce qu’ils sont effectivement ; et parce que, d’autre part, leur présence et les moyens de pression politique dont ils disposent encore leur permettent d’interdire à une force quelconque d’acquérir l’autorité nécessaire pour exercer un contrôle général conduisant à un éventuel apaisement. (Les USA ont là leur rôle habituel, transposant au niveau politique l’équation désormais universelle de leur puissance en crise : invincibilité = impuissance. Ils sont assez puissant pour empêcher l’émergence d’une force stabilisatrice et totalement impuissant à exercer eux-mêmes cette action de stabilisation, – s’ils en ont encore le goût, pour ne pas parler des moyens et des capacités.)

C’est la poursuite de l’application de la “formule”, ou recette de l’effondrement de la puissance US. L’incapacité grandissante de susciter la stabilité, y compris en aménageant des conditions temporaires pourries de stabilisation artificielle, rend l’éventuelle explosion conséquente plus brutale. Un point intéressant, si cette aggravation se confirme, est l’effet sur la politique intérieure US en pleine campagne électorale.

Les Américains sont en grande majorité contre la guerre d’une façon générale, outre d’être contre l’engagement US. Une recrudescence des combats rendrait la situation irakienne encore plus insupportable à cette majorité. Les partisans d’un retrait immédiat seraient encore renforcés dans leur détermination. A cet égard, Obama a pointé le bout de son nez en annonçant qu’il effectuerait un retrait général et sans doute inconditionnel en 2009 s’il était élu. Cette prise de position engendrera du côté républicain, avec un McCain très dur sur cette question, un durcissement et une dénonciation des démocrates capitulards qui n’hésiteraient pas, selon l'interprétation républicaine, devant une évacuation catastrophique type Saïgon-1975. Encore une occasion de radicalisation de la campagne.